A l’occasion de la fin de mon mandat (février 2012 – février 2017) de directeur général des Arts et Métiers, j’ai prononcé un discours reproduit ci-après.
C’est avec beaucoup de plaisir et tout autant d’émotion que je vous accueille ici, aux Arts et Métiers, pour la dernière fois. Un tel moment, outre celui de la satisfaction passablement égoïste de vous rassembler, est l’occasion d’aborder plusieurs sujets, qui me semblent importants pour notre Ecole. Je vais donc profiter de cette occasion pour vous parler ici de bilan, de convictions, le tout – vous me reconnaîtrez là – teinté d’avenir bien évidemment.
Bilan tout d’abord. Comme vous le savez je suis arrivé aux Arts et Métiers début 2012, repéré et motivé initialement par les anciens élèves de l’école qui venaient de prendre conscience que l’école était en grand danger et que le salut ne pouvait venir de leur point de vue que d’une personne extérieure à la communauté Arts et Métiers, non impliquée dans les actions passées. C’est ainsi que je suis arrivé dans un établissement qui en dépit de ses qualités intrinsèques, dont le reparlerais très largement, rencontrait de sérieuses difficultés, sans que la prise de conscience soit véritablement au rendez-vous.
Le modèle de formation était le résultat de nombreux compromis avec les forces en présence, qui menaient à une maquette pédagogique ressemblant davantage à celle d’un lycée technique, et tentait de courir après une omnicompétence technologie jour après jour de plus en plus illusoire. Ceci alors que d’une part les compétences scientifiques et technologiques étaient bien présentes et que d’autre part la prise de conscience du besoin vital d’industrie dans notre pays était enfin au rendez-vous. Il demeurait un modèle de fin de cursus – le PJE pour les intimes – ne permettant pas à nos jeunes d’aborder leur carrière professionnelle avec l’expérience indispensable de la vie de l’entreprise. Accessoirement, la Commission des Titres d’Ingénieur venait de nous adresser un lourd avertissement avec une habilitation réduite à délivrer le titre d’ingénieur.
Par ailleurs, l’école semblait se désintéresser des formations qui ne relevaient pas de la formation d’ingénieurs dite historique alors que les besoins du marché se multipliaient.
Sur le plan de la recherche, les rapports de la Cour des comptes s’accumulaient pour demander à l’école de s’assurer d’une bonne maîtrise de sa stratégie de recherche, à finalité économique, et de la pertinence du modèle économique en place. Nous en étions fort éloignés puisque dans mes relations avec la structure de gestion – associative – de notre recherche partenariale, je naviguais en permanence au bord de la gestion de fait et autres associations transparentes. Par ailleurs la structure associative gestionnaire de notre recherche partenariale cumulait les déficits d’exploitation. Dans le même temps l’engagement quotidien des acteurs de la recherche en général et de la recherche partenariale en particulier était au rendez-vous, avec un label Carnot essentiel pour notre établissement – qui a d’ailleurs été renouvelé l’été dernier (je salue ici son directeur Philippe Véron) –, mais cela se déroulait dans un contexte éminemment flou, ouvrant notamment la porte aux abus – certes peu nombreux mais pour autant totalement inacceptables –.
Plus globalement, l’école était réputée pour sa richesse – on m’avait indiqué lors de mon recrutement qu’il y avait 30M€ en caisse – qui allait de pair avec la faiblesse de sa gestion. De ce fait l’école n’avait pas encore bénéficié en 2012 du passage aux RCE – il faudra attendre 2015 pour cela – ; celui-ci devant succéder à une réforme statutaire permettant à l’établissement d’avoir les moyens de ses ambitions et à la direction générale d’insuffler et déployer la stratégie de l’établissement. Mon premier rapport d’étonnement concerna ce point, avec un établissement de plus de 1000 agents dans lequel la culture administrative était assez rudimentaire et les procédures hétérogènes et essentiellement orales.
Avant d’aller plus loin il me faut marquer un temps. Marquer un temps tout d’abord pour signaler que je ne trouvais pas un établissement dans lequel mes prédécesseurs avaient démérité. Pour n’en citer que deux, je salue très amicalement mon prédécesseur immédiat, Jean-Paul Hautier, qui par son engagement a permis à l’établissement de voir ses statuts modifiés, afin de lui donner des chances pour l’avenir. Je salue ici également la mémoire de Guy Gautherin, qui dirigea l’école de 1991 à 2001 et créa la direction générale de toutes pièces, suite à la réforme statutaire de 1990 qui fit émerger l’établissement public réseau. J’ai tenté de leur faire suite avec enthousiasme et modestie, et je ne doute pas qu’il en sera de même de mon successeur.
Marquer un temps également pour dire combien les personnels de cette école sont attachés à elle et à son identité, et ont la volonté de la faire progresser. Simplement le système statutaire dans lequel nous étions plongés jusqu’en novembre 2012 ne permettait en rien de mener des réformes en profondeur et contribuait de fait à une utilisation très sous optimale du denier public.
Pour revenir au bilan, on comprend que dans le contexte dans lequel je suis arrivé il m’a fallu aller vite. A mon arrivée d’ailleurs un audit financier diligenté par les services de Bercy indiquait que l’école avait 2 ans devant elle avant de connaître le déficit. Prédiction qui s’est avérée parfaitement exacte puisque notre compte de résultat de 2014 a fait apparaître une perte de plus de 3 M€. Heureusement, nos actions en termes de mutualisation, de dématérialisation, de politique achats, d’optimisation de nos moyens humains, et plus largement de considération des projets qui engagent l’école en coût complet, nous ont permis de redresser la situation avec un exercice faiblement bénéficiaire en 2015 à hauteur de 250 k€ alors que celui de 2016 qui sera présenté en mars prochain nous mène à un excédent de 1,5 M€. L’école va enfin pouvoir investir, et donc assurer sa pérennité. C’est l’occasion de remercier Xavier Chateau et ses équipes, DRH initialement puis avec un portefeuille élargi notamment aux finances, sans lequel rien n’aurait été possible.
Les actions engagées ont visé à traiter tous les sujets que j’évoquais précédemment. Le PJE a été transformé en stage de fin d’études pour le plus grand bien de nos étudiants, et plus largement une maquette pédagogique rénovée a été adoptée, en lien avec les compétences de nos campus, j’y reviens dans un instant. L’école a par ailleurs développé son offre de formation, tant en apprentissage qu’en formations sous statut étudiant. Sur ce dernier point je me dois d’évoquer le bachelor de technologie que nous avons été les premiers en France à introduire à l’automne 2014, prenant ainsi une avance nette sur nos concurrents. Ces sujets ont été traités grâce à la ténacité et la compétence de Laurent Champaney, DGA formation, avec l’appui de toutes les équipes tant nationales que locales. J’en profite pour les remercier chaleureusement.
Nous avons par ailleurs transformé la structure associative qui gérait notre recherche partenariale en une société anonyme, filiale à 100% de l’établissement public. Cette situation nous permet d’avoir une politique homogène, d’adopter un modèle économique pérenne, et de maximiser notre efficacité dans nos relations avec le monde économique. Sur le plan de la recherche encore nous avons conduit une action délicate autour de la coloration de nos campus, de manière à ce que l’esprit de concurrence qui pouvait exister précédemment fasse place à un esprit de coopération, chaque campus ayant quelques points forts qui le distinguent à l’intérieur de l’établissement réseau que nous formons et encore davantage vis-à-vis de l’extérieur. Je salue ici très amicalement l’action efficace des DGA en charge de la recherche et de l’innovation qui se sont succédés, MM. El Mansori et Iordanoff, ainsi que celles de toutes les équipes, au sein de cette direction mais également au niveau des laboratoires de l’école.
Sujet enfin qui n’apparaissait pas à mon arrivée, la loi Fioraso de 2013 a conduit l’école à mener un véritable combat, presque contre nature, avant et après la publication de cette loi, afin de convaincre les pouvoirs publics de l’intérêt d’un grand établissement de technologie national au service de cette politique. Nous y sommes parvenus au prix d’efforts incroyables, et c’est l’occasion pour moi de remercier ici le DGA Alexandre Rigal qui a eu la lourde charge de conduire ce dossier vital. Ses équipes, là et ailleurs, ont également été mobilisées par de nombreux projets et dossiers ; je les en remercie.
Dernier point, ce fut d’ailleurs le second élément de mon rapport d’étonnement, l’école n’était pas habituée au débat structuré et structurant au sein de ses instances, en premier lieu au niveau du conseil d’administration. Vous savez que la modification statutaire que le gouvernement a finalisé l’été dernier, dont les médias se sont fait largement l’écho, avait pour objet de rééquilibrer cette instance en diminuant le poids de nos anciens élèves dans la gouvernance. Ce n’est pas mon propos ici. Un point important, dont je revendique la paternité et dont j’avoue être fier, est la montée en puissance des élus du personnel, avec en particulier l’élection d’un vice-président à notre CA, en l’occurrence une vice-présidente. Je me permets ici de saluer le courage et l’engagement de Véronique Favier qui a relevé le gant depuis septembre dernier et construit jour après jour le contenu de ce poste essentiel pour notre école.
Je m’arrête là dans l’énumération, même si je pourrais parler encore très longtemps à propos de relations entreprises, de mécénat, de relations internationales pour lesquelles nous engrangeons de premiers succès, du réseau d’établissement que nous construisons autour de notre école, des ComUEs de façon générale et de la ComUE heSam en particulier. Permettez-moi d’ailleurs de saluer ici très amicalement de nombreux représentants d’heSam, dont son Président, ainsi que des chefs d’établissements membres actuels ou bientôt passés de cette communauté ! J’ai tant appris à leurs cotés, y compris quand j’ai eu la lourde tâche de présider ce regroupement.
Mais il est temps de vous faire partager quelques convictions en regardant devant.
La première est celle de la grandeur et de la nécessité du service public. J’ai l’habitude d’affirmer haut et fort, typiquement dans une assemblée de chefs d’entreprise, que je suis fonctionnaire. Je ne fais pas cela par bravade et encore moins par provocation, mais plutôt pour exprimer qu’en tant que tel je dois à mon pays un engagement total, désintéressé, et que mon efficacité dans l’action doit être à la hauteur de la leur. Car le pays a besoin de fonctionnaires, non pour réglementer l’épaisseur du lard sur la tranche de jambon, mais pour servir la communauté française qui est la nôtre. Je ne connais personnellement pas de mission plus noble, ni plus enthousiasmante. Mais qu’on s’entende bien, quand je parle de service public pour ce qui concerne notre école, cela passe par une remise en question quotidienne et surtout une relation chaque jour plus importante avec le monde économique. Pour frôler le trivial, l’école doit dépasser les 50% de ressources propres dans les années qui viennent, ce qui impactera évidemment encore notre organisation, même si cela se fera sans doute dans des proportions moindres que ce que nous avons connu. Car, comme j’aime à le répéter, la porosité entre le monde des entreprises et notre école doit augmenter encore de manière significative ; c’est notre passé glorieux et c’est notre avenir.
La seconde réflexion que je veux vous faire partager aujourd’hui est très banale, et pourtant essentielle, à savoir que les actions ne se conçoivent et ne se construisent qu’à plusieurs. J’ai évoqué précédemment les membres du comité exécutif, équipe dont la solidité et la solidarité a permis de tenir le cap sur une mer quelquefois agitée, voire très agitée, voire tempétueuse. Je salue au-delà tous les membres de l’équipe de direction, avec une pensée particulière pour les directeurs de campus qui ont eu la lourde charge de déployer et assumer les réformes sur le terrain. Le ciment humain qui nous réunissait nous a permis d’atteindre nos objectifs, et ce ciment était constitué d’ingrédients simples : ambition commune, écoute, respect, solidarité dans les moments difficiles. Au-delà je veux saluer ici toutes les personnes avec qui j’ai pu interagir pendant ces 5 ans, particulièrement celles qui m’ont accompagné dans l’action à quelque niveau que ce soit, du professeur des universités au technicien en passant par la personne chargée de l’accueil, Jeanine Delhalle pour ne pas la nommer. Toutes ces personnes ont contribué, contribuent jour après jour, à faire grandir notre école, et cela seul compte. Qu’ils et elles en soient remerciés très sincèrement.
Un mot sur l’avenir maintenant pour terminer ce discours sans doute un peu trop long ! La force principale de notre école est celle de la qualité de ses personnels, de ses étudiants, et au-delà de la communauté de ses anciens élèves. Profitant d’une position de l’école considérée, sans doute à raison à une époque, comme confortable et presque inexpugnable – en tout cas indiscutable –, une grande partie de notre énergie collective s’est dissipée en frottements divers. Ce phénomène s’est particulièrement illustré ces derniers mois mais a accompagné la totalité de mon mandat. Les enjeux pour demain ne sont pas de savoir qui a le pouvoir sur qui dans notre microcosme, mais de savoir plutôt comment notre école va contribuer au développement de notre pays, à son échelle et dans son champ de compétences, dans un contexte international hautement compétitif que nous connaissons tous. Cela nécessitera une sorte d’union sacrée entre les différentes parties prenantes, que j’appelle de mes vœux.
C’est à ces conditions que notre établissement rendra le service qui est attendu de lui, et particulièrement vis-à-vis de l’industrie qui est au cœur de nos préoccupations. Je n’espère rien d’autre, et ne me suis engagé pour rien d’autre pendant ces 5 années, l’école le vaut bien et le pays l’attend.