De la mobilité dans l’enseignement supérieur

Publie par l-carraro le février 13th, 2018 dans la categorie Non classé Tags: , , ,  •  Pas de commentaires

Au sein du rapport que j’ai remis au Ministère en charge de l’Enseignement Supérieur (MESRI), j’ai insisté notamment sur la nécessaire mobilité des enseignants et enseignants-chercheurs. Ce billet est l’occasion de revenir sur le sujet, et de l’illustrer par mon cas personnel !

Rappelons tout d’abord les termes du problème. Il s’agit de préparer les jeunes, futurs diplômés, à aborder leur future trajectoire professionnelle qui sera complexe et multiforme, et nécessitera de fortes capacités d’agilité et de résilience, termes à la mode s’il en est.

Mais cela impose au premier chef aux enseignants de comprendre la réalité du monde économique, ses évolutions, ses contraintes, ses tendances… de manière à préparer leurs étudiants à un avenir marqué par la complexité et l’incertitude. On se rassure collectivement à l’aide du mantra bien connu « les enseignants sont aussi chercheurs », que l’on se répète en boucle pour signifier que ceci assure la pertinence et l’actualité des enseignements dispensés.

Je partage ce qui sous tend ce mantra mais il n’aborde qu’une facette de la question, et met totalement de coté l’aspect humain dans la relation enseignant/étudiant. Car au-delà des connaissances transmises nous savons que la question posée aux enseignants est celle des moyens mis en œuvre pour la construction de compétences chez les apprenants. On en vient ainsi aux questions évoquées plus haut. Pour cela il est essentiel que monde éducatif et monde économique s’interpénètrent, et cela commence par les femmes et les hommes. Ce qui signifie qu’il est important que des professionnels interviennent de façon importante au sein des cursus et qu’à l’opposé des enseignants interviennent dans la durée au sein des entreprises.

J’en profite pour répondre par avance aux partisans du moindre effort, contempteurs de l’immobilisme, qu’il ne suffit pas d’avoir des apprentis et un conseil, d’administration, de perfectionnement, des études ou autre, ouvert aux industriels pour se considérer comme étant au top de la porosité entre ces deux mondes !

Malheureusement, les études sur le sujet montrent que le nombre de postes de Professeurs Associés, les PAST, au sein des établissements a diminué d’environ 10% depuis 2000 pour atteindre environ 2500 au sein de l’ensemble des établissements dépendant du MESRI. Je rappelle que ces postes sont réservés à des professionnels qui, le plus souvent, interviennent à temps partiel dans les établissements et interagissent ainsi avec les équipes pédagogiques et les laboratoires.

Dans l’autre sens la réalité est encore plus préoccupante puisque en 2014/15 les dispositifs de disponibilité ou de détachement dans des entreprises privées ont profité à 31 enseignants-chercheurs sur un total de 50 533 ! Ceci alors que l’on peut trouver sur le site du MESRI un excellent document, datant d’avril 2017, intitulé vademecum des passerelles public-privé, qui fait le point sur les très nombreuses possibilités offertes aux enseignants-chercheurs. Mais la pratique de telles mobilités n’est valorisée par personne, contrairement par exemple à la mobilité internationale. Pourtant, à mes yeux, l’importance pour l’avenir de nos jeunes de tels mouvements de personnel, tant au niveau international qu’au sein d’entreprises, est de premier ordre.

J’en viens à mon expérience personnelle. Il se trouve que lorsque j’ai quitté la direction des Arts et Métiers fin février 2017, j’ai réalisé un certain nombre d’interviews au cours desquelles j’annonçais à la fois que j’allais réaliser une étude sur l’ingénierie pour le MESRI, puis que je comptais prendre une disponibilité pour démarrer une activité de consultant. Au passage je tentais ainsi de mettre mes actes en accord avec mes paroles.

Mal m’en a pris puisqu’après 2 mois de travail pour le compte du MESRI, j’ai eu la surprise de recevoir un email du « bureau de gestion statutaire et des rémunérations », qui avait lu une de mes interviews et qui me rappelait que si je souhaitais devenir « consultant privé », je devais obligatoirement saisir la commission de déontologie de la fonction publique. On fait mieux pour encourager ce type d’expériences. J’ajoute qu’étant professeur de l’Institut Mines-Télécom le MESRI n’était compétent d’aucune manière sur cette question.

Fort de ce soutien dans ma démarche, je me suis rapproché de l’Institut Mines-Télécom pour voir avec eux si des dispositifs – tels que ceux évoqués dans le vademecum évoqué ci-avant – étaient adaptés à mon cas, sachant que je souhaitais démarrer cette activité de conseil à compter du mois de septembre 2017. Le succès fut là encore au rendez-vous puisqu’on m’expliqua rapidement qu’aucun des dispositifs cités n’étaient adaptés – et donc qu’il ne fallait attendre aucune aide de quelque sorte que ce soit – mais surtout qu’il fallait que je saisisse la commission de déontologie !

J’ai donc déposé courant juin ma demande de disponibilité et l’Institut Mines-Télécom a saisi dans la foulée la commission de déontologie. Mes différents interlocuteurs m’avaient fait comprendre que ma future activité de consultant serait sans doute très limitée par la fameuse commission… J’ai attendu tout l’été la réponse de ladite commission, n’ai finalement jamais reçu de réponse, et ne sais même pas à ce jour si elle s’est penchée ou non sur mon cas.

Je ne me plains absolument pas ici de la façon dont j’ai pu être traité, mais cette petite histoire montre qu’il faut une motivation forte, voire très forte, pour franchir les hauts murs entre public et privé. Prochain épisode qui viendra sans doute : les modalités de ma future démission de la fonction publique. J’attends avec gourmandise l’intervention d’une personne qui, lisant ces lignes, ne manquera pas de me rappeler les conditions à remplir !

 

Introduction à la journée pédagogique de Mines Saint-Etienne

Publie par l-carraro le novembre 28th, 2017 dans la categorie Non classé  •  2 Commentaires

Mines Saint-Etienne a eu la gentillesse de me demander d’ouvrir son séminaire pédagogique le 28 novembre dernier, destiné à l’ensemble des acteurs de la formation, enseignants, techniciens, administratifs. Le texte qui suit donne les grandes lignes de mon intervention.

Il était un temps où l’activité des formateurs était plus simple. Les métiers étaient bien connus et évoluaient régulièrement, les carrières étaient rectilignes, les positions bien établies, dans un contexte de croissance continue. A cette stabilité du monde économique correspondait une stabilité non moins grande du monde éducatif. Tout allait pour le mieux dans un monde dans lequel les patrons ingénieurs se vantaient de n’utiliser que la règle de 3 et les enseignants passaient une grande énergie à peaufiner leurs enseignements  – j’ai fait partie de ceux-là – et à véhiculer une discours centré sur la fameuse phrase « on ne peut pas être ingénieur si on ne connaît pas… ». On complétait ensuite selon sa discipline : si on ne connaît pas le théorème de Bernoulli, si on ne connaît pas la théorie des dislocations, si on ne connaît pas le calcul tensoriel…

En ce temps-là que j’ai bien connu en temps qu’enseignant, que certains pourraient qualifier d’age d’or (à écrire sous forme d’injonction : dort !), ces différents acteurs tiraient donc à hue et à dia sans que les étudiants ne s’en émeuvent. Ils avaient le temps une fois diplômés pour faire la synthèse de ces visions divergentes, et finissaient en grande majorité par rejoindre les adeptes de la règle de 3 quand ils ne s’en déclaraient pas disciples pendant le temps de leurs études. Il faut avoir bien en tête que cette époque est relativement récente et a suivi – on l’oublie largement – des temps beaucoup moins stables.

C’est ainsi que mon propos va consister à confronter passé et avenir pour évoquer des pistes d’actions possibles pour le présent. Le passé de Mines Saint-Étienne, tel que restitué par Anne-Françoise Garçon dans son ouvrage « Entre l’État et l’usine – l’école des mines de Saint-Étienne au XIXe siècle», nous permettra de dégager quelques principes.

Le XIXe siècle et le début du XXe ont été en effet des périodes difficiles pour cette école, qui a du se battre pied à pied pour exister dans l’ombre d’une autre école des mines, l’Ecole des mines. C’est ainsi que l’école des mineurs de 1816, créée un peu avant que sa grande sœur ne soit recréée sous le titre d’école des mines a du attendre 1882 pour accéder à ce même vocable. Rassurons l’auditeur l’institution parisienne a profité de l’occasion pour devenir école supérieure des mines… Cette évolution fit suite à un combat constant contre le corps des mines qui veillait à ce que l’école stéphanoise reste cantonnée aux questions minières et ne touche pas aux questions scientifiques, car il fallait « conserver aux études le caractère de simplification qui appartient à l’école de Saint-Étienne » ! On permit alors à l’école, du bout des lèvres, de délivrer un « diplôme d’ancien élève de l’école des mines de Saint-Étienne apte à exercer les fonctions d’ingénieur ». Il fallu attendre encore quelques années pour obtenir la mention d’ingénieur civil des mines, d’ailleurs fort mal reçue localement car elle enfermait les diplômés dans les métiers de la mine, contrairement à la carrière qu’ils menaient. Je passe sur le fait que, lors de la première guerre mondiale, les élèves de l’école des mines de Paris furent enrôlés dans le génie quand ceux de Saint-Étienne rejoignirent l’infanterie…

Que retirer de ces quelques éléments ? Le fait que l’école stéphanoise ne dut son salut qu’à sa dynamique propre et sa capacité à prendre des initiatives quelquefois fort risquées, la carrière de ses diplômés, l’appui des entreprises minières et industrielles, et celui des anciens élèves. Car après la création de l’école centrale, et celle de l’école des mines de Douai, de nombreux esprits pensaient que l’existence de l’école de Saint-Étienne en quelque sorte coincée entre ces différents acteurs, ne se justifiait plus.

Après ce regard rapide vers le passé, tentons maintenant de nous projeter vers l’avenir. La période que nous traversons constitue semble-t-il un cas unique de révolution industrielle. Tentons d’expliquer les raisons d’une telle emphase. Rappelons pour cela qu’un objet quel qu’il soit nécessite pour sa réalisation trois types d’ingrédients : de la matière ou plus exactement des matériaux, de l’énergie qui transformer et mettre en forme ceux-ci, de l’information qui constituera le plan d’action de transformation de ces matériaux pour qu’ils mènent à l’objet désiré. Or nous vivons une véritable révolution sur ces trois sujets en même temps, avec il est vrai un focus médiatique très orienté vers l’information/le numérique, ce qui est unique dans l’histoire récente. A cela s’ajoute l’enjeu écologique auquel les civilisations passées n’ont jamais été confrontées, tout au moins à ce niveau. Et qui dit révolution technologique dit révolution sociale et sociétale. Ce qui signifie que nous abordons une époque de mutations encore plus profondes que celles que nous avons pu connaître.

Dans ce contexte les récents travaux du Conseil d’Orientation pour l’Emploi (COE) tentent d’éclairer l’avenir. Ce conseil, placé auprès du Premier Ministre, réalise un très important travail intitulé « Automatisation, numérisation et emploi ». Deux tomes sont publiés et un troisième est en cours de rédaction.

Ces mutations vont avoir un effet de première grandeur sur l’emploi, et au-delà la société. Le COE indique notamment que 50 % des actifs verront le contenu de leur emploi actuel notablement ou profondément transformé. Les compétences techniques mobilisées sont à la fois très variées interdépendantes, et et ne se limitent pas à l’aspect numérique en dépit de sa grande importance. Ce qui implique notamment que la définition des compétences techniques nécessaires pour des métiers dont on ignore le périmètre exact constitue un exercice d’une grande difficulté.

Face à une telle situation le chef d’établissement, le responsable de formation, l’enseignant, se trouvent devant une situation vertigineuse, où chacun peut se sentir placé au devant d’un mur qu’il s’agirait de franchir sans en connaître ni la hauteur ni la physionomie. En d’autres termes il s’agit de réaliser des formations préparant à l’exercice de métiers largement inconnus et que les jeunes formés devront pour beaucoup créer par eux-mêmes.

Les travaux du COE mais également de l’Académie des Technologies (l’industrie du futur : du système technique 4.0 au système social), joints au bon sens, nous indiquent des embryons de solution. Il faut passer d’une logique de produit à une logique de process. En d’autres termes l’enjeu est de former des professionnels employables à court terme évidemment mais aussi et surtout qui ont développé des capacités d’adaptation, d’agilité, de résilience qui assureront leur aptitude à s’adapter et à inventer l’avenir. Le COE indique ainsi que, outre les besoins en termes de compétences techniques, une part significative de la population active devra rapidement acquérir ou faire progresser ses compétences numériques générales, cognitives, sociales et situationnelles. On tient là une clef… mais la route est longue !

C’est là que la pédagogie intervient. Il ne s’agit pas seulement de développer les compétences techniques – y compris numériques – indispensables mais en même temps faire que le diplômé montre de réelles compétences d’adaptabilité, d’intelligence émotionnelle et situationnelle, de créativité, de capacité à prendre des risques et d’apprendre de ses échecs.

La route est longue en effet puisque notre système éducatif, jusques et y compris dans les écoles d’ingénieurs, est basé sur l’aversion au risque et la réussite individuelle. L’enseignant est le pivot de cette transformation éducative car c’est par elle ou lui que l’étudiant pourra progresser. Cela implique d’évidence une évolution des pratiques pédagogiques qui offrent à l’étudiant des situations dans lesquelles il pourra développer les compétences et capacités techniques et non techniques brossées rapidement ci-avant. Ces situations ne peuvent se limiter à des séances d’apport de connaissances dans un environnement stable et bien délimité mais doivent offrir des opportunités, je le dis volontairement dans le désordre, de développement de connaissances entre pairs, d’utilisation d’outils collaboratifs, de création d’objets, de produits ou de concepts, de compréhension des opportunités et des limites technologiques autant qu’éthiques des outils de l’intelligence artificielle, de classes inversées ou renversées, etc.

Ceci impose à l’enseignant – le pivot – de faire évoluer sa posture et son rapport à l’étudiant. Car comment développer la mobilité mentale, l’aptitude à la prise de risques, la capacité à apprendre de ses échecs, si l’on se place soi-même dans des situations contrôlées où le risque est minimisé. L’enseignant doit donc de mon point de vue expérimenter jour après jour, modifier ses pratiques, faire des erreurs, être capable de les reconnaître y compris vis-à-vis de ses étudiants. Ma propre expérience d’enseignant m’indique que l’étudiant accepte très facilement ce type de démarche car il y voit un respect et une ambition qui lui sont entièrement consacrés.

Last but not least, on peut craindre que ces expérimentations pédagogiques mènent à des voies de garage et s’éloignent de l’objectif d’une formation d’ingénieurs. Déjà j’espère que les arguments qui précèdent montrent que l’erreur voire l’échec n’ont pas de caractère de gravité, bien au contraire. Mais, je rejoins là l’histoire de cette école ainsi que mon vocabulaire de statisticien, un moyen de maîtriser la dispersion des initiatives consiste à connecter de manière intime les réflexions et initiatives conduites du monde de l’entreprise. Et pour cela tous les canaux méritent d’être mobilisés : liens institutionnels, liens pédagogiques, liens personnels, mobilités temporaires d’industriels à l’école et d’enseignants dans les entreprises. Et ceci concerne toutes les catégories d’entreprises, du grand groupe à la PME ou l’ETI, en passant par les startups, les indépendants ou les acteurs de l’économie sociale et solidaire… Ce lien organique a sauvé cette école par le passé ; il devrait contribuer à assurer son avenir.

En définitive, pour revenir à cette activité si noble qu’est la formation, laissez-moi partager avec vous une conviction exprimée sous forme de slogan qui, je l’espère, transpire des lignes qui précèdent : enseigner c’est créer pour l’autre.

 

Le système de formation en ingénierie – un dispositif à faire évoluer globalement

Publie par l-carraro le novembre 10th, 2017 dans la categorie Non classé Tags: , , , , , ,  •  4 Commentaires

Le précédent post posait quelques éléments du constat relatif au dispositif de formation en ingénierie, tel que j’ai pu le faire au printemps dernier.

Il s’agit ici, tout en rendant public mon rapport, d’expliciter les grandes lignes qui sous tendent les propositions faites. Je reviendrai dans d’autres billets sur des points particuliers qui font débat, de manière justement à alimenter ce dernier.

On a vu lors du constat combien les dispositifs de formation étaient fragmentés et hétérogènes. On a vu également que les liens avec l’emploi méritaient de progresser, puisque les questions de sortie professionnelle au niveau intermédiaire et de besoins d’ingénieurs étaient mal traitées. Ces éléments, qui ne constituent pas un fait nouveau, deviennent extrêmement préoccupants à l’heure où les économies se transforment en profondeur sous la pression des technologies, en premier lieu numérique, mais également pour des raisons écologiques et sociales qui se font chaque jour plus prégnantes.

Sur ces questions on notera que le rapport du Conseil d’Orientation pour l’Emploi, publié en plusieurs temps (tome 1, tome 2 et tome 3 à venir) indique que la moitié des emplois existants verrait son contenu notablement ou profondément transformé par les évolutions technologiques. On remarquera d’ailleurs que l’étude montre que les enseignants font partie de cette population. Par ailleurs, l’évolution des compétences des actifs impliquée par ces transformations est centrée sur deux aspects. Le premier qui vient immédiatement à l’esprit est celui de l’augmentation des compétences numériques, nécessaires pour vivre dans un monde digitalisé. Le second est centré sur les compétences sociales (travail en équipe, intelligence sociale), situationnelles (autonomie, apprendre à apprendre), ainsi qu’en littératie et numératie, ces dernières concernant moins les niveaux de qualifications post bac.

En d’autres termes la structure de l’économie et celle de l’emploi sont engagées dans une transformation aussi rapide que profonde. Face à cela, la structure éducative dans son ensemble doit accompagner le mouvement, voire l’anticiper si l’on pense aux attendus de l’enseignement supérieur.  Cette nécessité a dirigé l’ensemble des préconisations faites, qui visent à une transformation globale, centrée sur le métier, du système de formation supérieure en ingénierie.

Pour cela les différentes parties prenantes ont toutes une responsabilité éminente et doivent agir, car le temps est compté.

L’État tout d’abord qui est garant de la cohérence d’ensemble, et doit se saisir de quelques sujets brûlants : carrière et mobilité des enseignants-chercheurs, pilotage et évaluation des formations dans leur ensemble (CPGE et BTS ne sont par exemple pas gérées à ce jour comme des formations du supérieur), rééquilibrage entre formation initiale et formation professionnelle, sortie professionnelle au niveau intermédiaire bac+2/bac+3.

Les organisations qui regroupent des acteurs du monde éducatif : CPU, CDEFI, CGE bien sûr mais également ADIUT, Figure, CDUS… Ces organisations ont tout intérêt à réunir leurs forces, en sortant des débats de positionnement habituels, pour réfléchir aux évolutions du système de formation et à ses interactions avec le monde socio-économique.   De telles réflexions, centrées sur les compétences des jeunes formés et non sur les questions institutionnelles, favoriseraient en outre le décloisonnement des acteurs.

En outre la querelle franco-française, on pourrait dire picrocholine en revenant à Rabelais, autour de l’ingénieur diplômé et du diplômé ingénieur doit cesser ! En particulier il semble essentiel que Figure porteur des masters d’ingénierie, les écoles d’ingénieurs et la CTI engagent des discussions pour clarifier la situation et sortir par le haut de la configuration actuelle marquée par des précautions de langage, du type « nous formons des ingénieurs mais nous ne diplômons pas des ingénieurs », qui pourraient au mieux faire sourire en d’autres temps.

Les établissements ou regroupements d’établissements ont une responsabilité forte puisqu’ils constituent les acteurs premiers du système. Ils ont des marges de manœuvre pour favoriser la mobilité de leur personnel enseignant, et doivent les utiliser. Ils ont également des possibilités de mise en valeur de leurs enseignants particulièrement efficaces, inventifs, impliqués. Et bien qu’ils le fassent et en même temps le fassent savoir, sans attendre tout de l’État.

Leur mode de relation avec la sphère économique doit également se transformer de manière à faire évoluer leurs cursus avec souplesse et réactivité. Car si l’on regarde derrière le rideau, la situation est souvent préoccupante quoi qu’en disent les acteurs. Les conseils de perfectionnement ou toute autre instance prospective et ouverte sur employeurs et syndicats de salariés doivent être généralisés à une échelle ou une autre, et leurs conclusions suivies de faits. Sur ce point l’échelle du territoire et de ses besoins en termes d’emploi semble particulièrement pertinente et pourrait également contribuer au rapprochement des acteurs.

Les enseignants enfin sont en première ligne pour permettre aux jeunes diplômés de développer les compétences scientifiques et techniques, sociales et humaines, la capacité à prendre des risques, la résilience dont ils auront besoin pour construire et transformer l’entreprise demain. De ce point de vue, leur propre capacité à prendre des risques, à comprendre les besoins de leurs étudiants, à inventer, leur mobilité intellectuelle ou professionnelle, constitue un facteur clef de succès. Rappelons en effet que former c’est créer pour l’autre.

En conclusion de ce billet, je me permets d’insister sur le fait que mon rapport ne prétend pas à la parfaite adéquation de toutes les recommandations faites, rappelons qu’il s’agit du travail de 6 mois d’une personne seule. Il prétend par contre sensibiliser tous les acteurs à l’urgence de la situation et au dépassement des clivages et habitudes de pensée, et leur donner des pistes pour l’action.

L’avenir du pays dépend de notre capacité collective à nous dépasser mais tout autant à nous réunir… le lecteur comprendra que je ne parle là que des acteurs de la formation supérieure en ingénierie !

Le système de formation en ingénierie – le constat

Publie par l-carraro le octobre 31st, 2017 dans la categorie Non classé Tags: , , , , , ,  •  4 Commentaires

J’ai eu la chance, après la fin de mon mandat aux Arts et Métiers, de me voir confié par la DGESIP une mission d’analyse des formations du supérieur en ingénierie. Je me permets d’ailleurs de souligner – continuité du service de l’Etat – que cette mission a été donnée par la précédente équipe à destination de la suivante. Ce travail qui s’est étalé de mars à septembre m’a permis de revisiter l’ensemble du paysage, avec une totale liberté d’esprit puisque je ne représentais à cette occasion d’autre intérêt que l’intérêt général.

J’ai donc entamé cette mission sans aucun a priori et l’ai structurée en 3 temps. Le premier temps a été celui de la prise de connaissance. Il s’est donc concentré sur la lecture de nombreux rapports et la rencontre de parties prenantes variées, avec des questions générales sur leur perception de l’avenir, sur les difficultés qu’ils rencontrent, les idées qu’ils aimeraient voir émerger et leurs projets. Le second temps a été celui du bilan et de la structuration de propositions autour de 5 axes. Tout cela s’est achevé dans un troisième temps avec de dernières rencontres qui m’ont permis d’affiner les recommandations présentées dans le rapport.

Ce premier billet a pour objet de partager les éléments saillants du constat que j’ai pu effectué à l’issue de la première étape de mon travail. Le billet qui suivra mettra en exergue quelques points du rapport qui me semblent nécessiter un débat large, d’où sa présence ici. Ce qui constitue de fait le quatrième temps de ce travail, de manière à favoriser le débat, et surtout la prise d’initiatives. Car mon rapport s’adresse en premier lieu au commanditaire qu’est la DGESIP bien évidemment mais tout autant aux différentes parties prenantes de nos formations supérieures en ingénierie.

Le premier élément qui m’est apparu est celui de l’extrême cloisonnement des différentes catégories d’acteurs, des universités aux écoles d’ingénieurs en passant par les IUT ou les CPGE. Ceci en dépit des très nombreux contacts des écoles avec les universités, du fait que les IUT sont intégrés aux universités et des doubles inscriptions des étudiants de classes préparatoires à l’université, etc. De ce fait chacun pense l’avenir de ses formations sans interagir avec les autres, à quelque niveau que ce soit.

Pourtant ces questions sont évidemment liées aux besoins de compétences des entreprises et de la société, qui ne s’expriment que rarement avec une segmentation par type de diplômes. Et même si cela était, comment définir le rôle d’un technicien en maintenance – activité très impactée par la révolution numérique – en se désintéressant de celui des autres niveaux de qualification au sein de son équipe ? Des structures de promotion et de défense des intérêts des uns et des autres existent, mais on cherche des lieux de partage et de réflexion qui traversent ces frontières, centrés typiquement sur l’évolution des compétences et des qualifications. D’aucuns diront que les regroupements prévus par la loi Fioraso peuvent héberger ces réflexions. Ce n’est que rarement et partiellement vrai. Rarement car – pour ne citer qu’elles – les ComUEs ont dépensé beaucoup d’énergie sur les questions de structures et de partage de pouvoirs. Partiellement car il ne faut pas oublier que les CPGE et les STS, parties intégrantes de l’enseignement supérieur, restent non concernées par cette évolution.

Au-delà du cloisonnement, les systèmes de formation sont également très hétérogènes avec des modalités de cadrage et d’évaluation très différentes. On trouve ainsi des BTS dont le programme et l’examen sont définis au niveau national et des diplômes de licence ou licence professionnelle qui laissent une large initiative aux acteurs dans le cadre général de l’accréditation et de la carte nationale des formations. Cette hétérogénéité entraîne des modes de fonctionnement au quotidien très variables, avec en particulier pour certaines formations des rigidités et des constantes de temps incompatibles avec l’accélération des mutations de l’économie et de l’emploi.

Par ailleurs, pour revenir sur les questions d’emplois et de prospective, il est à noter que le consensus sur les besoins d’ingénieurs en France n’est pas du tout établi, via des analyses et des prises de position allant d’un fort besoin de croissance à une absence de tension sur le marché de l’emploi. Le seul point commun à ces positions reste le fort besoin de spécialistes en numérique. Il faut noter sur ce point que l’impact du numérique sur la définition même des métiers traditionnels semble très peu abordé alors que le sujet traverse toutes les formations, sans exception. Ce relatif désintérêt – ou plutôt ce manque d’action – s’explique en premier lieu par des raisons évidentes mais pour autant inacceptables : difficulté intrinsèque du sujet, impact très fort sur les compétences des enseignants et sur les équipements… En d’autres termes prendre le sujet dans son ensemble mène les structures de formation à subir les mêmes transformations radicales que les entreprises. On peut comprendre, tout en le regrettant, que ce ne soit pas facile à aborder.

J’ai également été frappé par les retours des responsables de formation professionnelles courtes (bac +2 ou bac+3) à propos des poursuites d’études. On observe en effet une forte dérive de ces formations avec une poursuite d’études qui croit année après année. Or il ne sert à rien de blâmer ces responsables, alors que leurs étudiants choisissent de poursuivre leur cursus, même – et surtout ! – après avoir eu une expérience professionnelle (stage, alternance) dans l’entreprise. Car la différence de salaire et au-delà de carrière et de reconnaissance sociale est sans commune mesure avec l’effort de deux ou trois années d’études supplémentaires permettant d’atteindre un niveau master.

Dernier élément de constat, la statistique publique est toujours le parent pauvre de l’enseignement supérieur, alors que l’évolution des rôles respectifs de l’Etat et de ses opérateurs, concentrant les directions centrales sur le pilotage et la stratégie doit aller de pair avec des outils de pilotage performants. Force est de constater que nous n’en sommes toujours pas là puisque, par exemple, nous sommes encore réduits aux pannels pour connaître le devenir des étudiants inscrits dans un type de cursus. Ceci à l’heure du big data ! De sérieux progrès méritent d’être faits dans des délais brefs (j’avais déjà noté ce problème en 2007 et « on » m’avait répondu que c’était en cours de réflexion…).

 

Discours d’adieu aux Arts et Métiers

Publie par l-carraro le février 25th, 2017 dans la categorie Non classé  •  1 Commentaire

A l’occasion de la fin de mon mandat (février 2012 – février 2017) de directeur général des Arts et Métiers, j’ai prononcé un discours reproduit ci-après.

C’est avec beaucoup de plaisir et tout autant d’émotion que je vous accueille ici, aux Arts et Métiers, pour la dernière fois. Un tel moment, outre celui de la satisfaction passablement égoïste de vous rassembler, est l’occasion d’aborder plusieurs sujets, qui me semblent importants pour notre Ecole. Je vais donc profiter de cette occasion pour vous parler ici de bilan, de convictions, le tout – vous me reconnaîtrez là – teinté d’avenir bien évidemment.

Bilan tout d’abord. Comme vous le savez je suis arrivé aux Arts et Métiers début 2012, repéré et motivé initialement par les anciens élèves de l’école qui venaient de prendre conscience que l’école était en grand danger et que le salut ne pouvait venir de leur point de vue que d’une personne extérieure à la communauté Arts et Métiers, non impliquée dans les actions passées. C’est ainsi que je suis arrivé dans un établissement qui en dépit de ses qualités intrinsèques, dont le reparlerais très largement, rencontrait de sérieuses difficultés, sans que la prise de conscience soit véritablement au rendez-vous.

Le modèle de formation était le résultat de nombreux compromis avec les forces en présence, qui menaient à une maquette pédagogique ressemblant davantage à celle d’un lycée technique, et tentait de courir après une omnicompétence technologie jour après jour de plus en plus illusoire. Ceci alors que d’une part les compétences scientifiques et technologiques étaient bien présentes et que d’autre part la prise de conscience du besoin vital d’industrie dans notre pays était enfin au rendez-vous. Il demeurait un modèle de fin de cursus – le PJE pour les intimes – ne permettant pas à nos jeunes d’aborder leur carrière professionnelle avec l’expérience indispensable de la vie de l’entreprise. Accessoirement, la Commission des Titres d’Ingénieur venait de nous adresser un lourd avertissement avec une habilitation réduite à délivrer le titre d’ingénieur.

Par ailleurs, l’école semblait se désintéresser des formations qui ne relevaient pas de la formation d’ingénieurs dite historique alors que les besoins du marché se multipliaient.

Sur le plan de la recherche, les rapports de la Cour des comptes s’accumulaient pour demander à l’école de s’assurer d’une bonne maîtrise de sa stratégie de recherche, à finalité économique, et de la pertinence du modèle économique en place. Nous en étions fort éloignés puisque dans mes relations avec la structure de gestion – associative – de notre recherche partenariale, je naviguais en permanence au bord de la gestion de fait et autres associations transparentes. Par ailleurs la structure associative gestionnaire de notre recherche partenariale cumulait les déficits d’exploitation. Dans le même temps l’engagement quotidien des acteurs de la recherche en général et de la recherche partenariale en particulier était au rendez-vous, avec un label Carnot essentiel pour notre établissement – qui a d’ailleurs été renouvelé l’été dernier (je salue ici son directeur Philippe Véron) –, mais cela se déroulait dans un contexte éminemment flou, ouvrant notamment la porte aux abus – certes peu nombreux mais pour autant totalement inacceptables –.

Plus globalement, l’école était réputée pour sa richesse – on m’avait indiqué lors de mon recrutement qu’il y avait 30M€ en caisse – qui allait de pair avec la faiblesse de sa gestion. De ce fait l’école n’avait pas encore bénéficié en 2012 du passage aux RCE – il faudra attendre 2015 pour cela – ; celui-ci devant succéder à une réforme statutaire permettant à l’établissement d’avoir les moyens de ses ambitions et à la direction générale d’insuffler et déployer la stratégie de l’établissement. Mon premier rapport d’étonnement concerna ce point, avec un établissement de plus de 1000 agents dans lequel la culture administrative était assez rudimentaire et les procédures hétérogènes et essentiellement orales.

Avant d’aller plus loin il me faut marquer un temps. Marquer un temps tout d’abord pour signaler que je ne trouvais pas un établissement dans lequel mes prédécesseurs avaient démérité. Pour n’en citer que deux, je salue très amicalement mon prédécesseur immédiat, Jean-Paul Hautier, qui par son engagement a permis à l’établissement de voir ses statuts modifiés, afin de lui donner des chances pour l’avenir. Je salue ici également la mémoire de Guy Gautherin, qui dirigea l’école de 1991 à 2001 et créa la direction générale de toutes pièces, suite à la réforme statutaire de 1990 qui fit émerger l’établissement public réseau. J’ai tenté de leur faire suite avec enthousiasme et modestie, et je ne doute pas qu’il en sera de même de mon successeur.

Marquer un temps également pour dire combien les personnels de cette école sont attachés à elle et à son identité, et ont la volonté de la faire progresser. Simplement le système statutaire dans lequel nous étions plongés jusqu’en novembre 2012 ne permettait en rien de mener des réformes en profondeur et contribuait de fait à une utilisation très sous optimale du denier public.

Pour revenir au bilan, on comprend que dans le contexte dans lequel je suis arrivé il m’a fallu aller vite. A mon arrivée d’ailleurs un audit financier diligenté par les services de Bercy indiquait que l’école avait 2 ans devant elle avant de connaître le déficit. Prédiction qui s’est avérée parfaitement exacte puisque notre compte de résultat de 2014 a fait apparaître une perte de plus de 3 M€. Heureusement, nos actions en termes de mutualisation, de dématérialisation, de politique achats, d’optimisation de nos moyens humains, et plus largement de considération des projets qui engagent l’école en coût complet, nous ont permis de redresser la situation avec un exercice faiblement bénéficiaire en 2015 à hauteur de 250 k€ alors que celui de 2016 qui sera présenté en mars prochain nous mène à un excédent de 1,5 M€. L’école va enfin pouvoir investir, et donc assurer sa pérennité. C’est l’occasion de remercier Xavier Chateau et ses équipes, DRH initialement puis avec un portefeuille élargi notamment aux finances, sans lequel rien n’aurait été possible.

Les actions engagées ont visé à traiter tous les sujets que j’évoquais précédemment. Le PJE a été transformé en stage de fin d’études pour le plus grand bien de nos étudiants, et plus largement une maquette pédagogique rénovée a été adoptée, en lien avec les compétences de nos campus, j’y reviens dans un instant. L’école a par ailleurs développé son offre de formation, tant en apprentissage qu’en formations sous statut étudiant. Sur ce dernier point je me dois d’évoquer le bachelor de technologie que nous avons été les premiers en France à introduire à l’automne 2014, prenant ainsi une avance nette sur nos concurrents. Ces sujets ont été traités grâce à la ténacité et la compétence de Laurent Champaney, DGA formation, avec l’appui de toutes les équipes tant nationales que locales. J’en profite pour les remercier chaleureusement.

Nous avons par ailleurs transformé la structure associative qui gérait notre recherche partenariale en une société anonyme, filiale à 100% de l’établissement public. Cette situation nous permet d’avoir une politique homogène, d’adopter un modèle économique pérenne, et de maximiser notre efficacité dans nos relations avec le monde économique. Sur le plan de la recherche encore nous avons conduit une action délicate autour de la coloration de nos campus, de manière à ce que l’esprit de concurrence qui pouvait exister précédemment fasse place à un esprit de coopération, chaque campus ayant quelques points forts qui le distinguent à l’intérieur de l’établissement réseau que nous formons et encore davantage vis-à-vis de l’extérieur. Je salue ici très amicalement l’action efficace des DGA en charge de la recherche et de l’innovation qui se sont succédés, MM. El Mansori et Iordanoff, ainsi que celles de toutes les équipes, au sein de cette direction mais également au niveau des laboratoires de l’école.

Sujet enfin qui n’apparaissait pas à mon arrivée, la loi Fioraso de 2013 a conduit l’école à mener un véritable combat, presque contre nature, avant et après la publication de cette loi, afin de convaincre les pouvoirs publics de l’intérêt d’un grand établissement de technologie national au service de cette politique. Nous y sommes parvenus au prix d’efforts incroyables, et c’est l’occasion pour moi de remercier ici le DGA Alexandre Rigal qui a eu la lourde charge de conduire ce dossier vital. Ses équipes, là et ailleurs, ont également été mobilisées par de nombreux projets et dossiers ; je les en remercie.

Dernier point, ce fut d’ailleurs le second élément de mon rapport d’étonnement, l’école n’était pas habituée au débat structuré et structurant au sein de ses instances, en premier lieu au niveau du conseil d’administration. Vous savez que la modification statutaire que le gouvernement a finalisé l’été dernier, dont les médias se sont fait largement l’écho, avait pour objet de rééquilibrer cette instance en diminuant le poids de nos anciens élèves dans la gouvernance. Ce n’est pas mon propos ici. Un point important, dont je revendique la paternité et dont j’avoue être fier, est la montée en puissance des élus du personnel, avec en particulier l’élection d’un vice-président à notre CA, en l’occurrence une vice-présidente. Je me permets ici de saluer le courage et l’engagement de Véronique Favier qui a relevé le gant depuis septembre dernier et construit jour après jour le contenu de ce poste essentiel pour notre école.

Je m’arrête là dans l’énumération, même si je pourrais parler encore très longtemps à propos de relations entreprises, de mécénat, de relations internationales pour lesquelles nous engrangeons de premiers succès, du réseau d’établissement que nous construisons autour de notre école, des ComUEs de façon générale et de la ComUE heSam en particulier. Permettez-moi d’ailleurs de saluer ici très amicalement de nombreux représentants d’heSam, dont son Président, ainsi que des chefs d’établissements membres actuels ou bientôt passés de cette communauté ! J’ai tant appris à leurs cotés, y compris quand j’ai eu la lourde tâche de présider ce regroupement.

Mais il est temps de vous faire partager quelques convictions en regardant devant.

La première est celle de la grandeur et de la nécessité du service public. J’ai l’habitude d’affirmer haut et fort, typiquement dans une assemblée de chefs d’entreprise, que je suis fonctionnaire. Je ne fais pas cela par bravade et encore moins par provocation, mais plutôt pour exprimer qu’en tant que tel je dois à mon pays un engagement total, désintéressé, et que mon efficacité dans l’action doit être à la hauteur de la leur. Car le pays a besoin de fonctionnaires, non pour réglementer l’épaisseur du lard sur la tranche de jambon, mais pour servir la communauté française qui est la nôtre. Je ne connais personnellement pas de mission plus noble, ni plus enthousiasmante. Mais qu’on s’entende bien, quand je parle de service public pour ce qui concerne notre école, cela passe par une remise en question quotidienne et surtout une relation chaque jour plus importante avec le monde économique. Pour frôler le trivial, l’école doit dépasser les 50% de ressources propres dans les années qui viennent, ce qui impactera évidemment encore notre organisation, même si cela se fera sans doute dans des proportions moindres que ce que nous avons connu. Car, comme j’aime à le répéter, la porosité entre le monde des entreprises et notre école doit augmenter encore de manière significative ; c’est notre passé glorieux et c’est notre avenir.

La seconde réflexion que je veux vous faire partager aujourd’hui est très banale, et pourtant essentielle, à savoir que les actions ne se conçoivent et ne se construisent qu’à plusieurs. J’ai évoqué précédemment les membres du comité exécutif, équipe dont la solidité et la solidarité a permis de tenir le cap sur une mer quelquefois agitée, voire très agitée, voire tempétueuse. Je salue au-delà tous les membres de l’équipe de direction, avec une pensée particulière pour les directeurs de campus qui ont eu la lourde charge de déployer et assumer les réformes sur le terrain. Le ciment humain qui nous réunissait nous a permis d’atteindre nos objectifs, et ce ciment était constitué d’ingrédients simples : ambition commune, écoute, respect, solidarité dans les moments difficiles. Au-delà je veux saluer ici toutes les personnes avec qui j’ai pu interagir pendant ces 5 ans, particulièrement celles qui m’ont accompagné dans l’action à quelque niveau que ce soit, du professeur des universités au technicien en passant par la personne chargée de l’accueil, Jeanine Delhalle pour ne pas la nommer. Toutes ces personnes ont contribué, contribuent jour après jour, à faire grandir notre école, et cela seul compte. Qu’ils et elles en soient remerciés très sincèrement.

Un mot sur l’avenir maintenant pour terminer ce discours sans doute un peu trop long ! La force principale de notre école est celle de la qualité de ses personnels, de ses étudiants, et au-delà de la communauté de ses anciens élèves. Profitant d’une position de l’école considérée, sans doute à raison à une époque, comme confortable et presque inexpugnable – en tout cas indiscutable –, une grande partie de notre énergie collective s’est dissipée en frottements divers. Ce phénomène s’est particulièrement illustré ces derniers mois mais a accompagné la totalité de mon mandat. Les enjeux pour demain ne sont pas de savoir qui a le pouvoir sur qui dans notre microcosme, mais de savoir plutôt comment notre école va contribuer au développement de notre pays, à son échelle et dans son champ de compétences, dans un contexte international hautement compétitif que nous connaissons tous. Cela nécessitera une sorte d’union sacrée entre les différentes parties prenantes, que j’appelle de mes vœux.

C’est à ces conditions que notre établissement rendra le service qui est attendu de lui, et particulièrement vis-à-vis de l’industrie qui est au cœur de nos préoccupations. Je n’espère rien d’autre, et ne me suis engagé pour rien d’autre pendant ces 5 années, l’école le vaut bien et le pays l’attend.

Les grandes écoles et leurs alumnis

Publie par l-carraro le novembre 25th, 2016 dans la categorie Non classé Tags: , ,  •  1 Commentaire

Il est de notoriété publique que j’ai connu ces derniers temps une période de très forte tension avec l’association des anciens élèves de mon école. Cela m’a d’ailleurs conduit à prendre la décision de ne pas solliciter un second mandat à la tête d’Arts et Métiers ParisTech (voir l’interview que j’ai donnée à Educpros).

Pourtant je reste convaincu de l’importance de réseaux d’alumnis forts et structurés, qui peuvent agir en support au développement des établissements. Ce billet, basé sur mes diverses expériences, va tenter de dégager quelques principes qui concernent au premier chef les écoles mais également les universités.

 Premier principe : le sentiment d’appartenance se construit au cours des études

Comme chacun le sait je suis universitaire, et mes diplômes initiaux ont tous été obtenus à l’Université Lyon 1. Dans ce cadre il ne m’est jamais venu à l’idée que je pouvais participer à une association de diplômés pour au moins deux raisons. Tout d’abord cette grande université scientifique regroupe des formations très variées sur des sites distants, avec le plus souvent des bâtiments dédiés à un secteur, ce qui n’aide pas aux interactions entre étudiants inscrits dans des UFR ou des départements différents. Avec actuellement 45000 étudiants inscrits, on conçoit que la constitution d’une identité commune n’est pas des plus simples.

Mais il est vrai également qu’au cours de mes études, je n’ai à aucun moment été sensibilisé au fait que la présence d’un réseau de diplômés pouvait être d’une quelconque utilité. A cette époque, je crois que de telles considérations ne venaient à l’esprit de personne, enseignants, personnels, étudiants. Je parle ici d’années assez lointaines, les années quatre-vingt, mais ma récente découverte du site de Lyon1 Alumni montre à l’évidence que l’activité de cette association reste très faible, et fort éloignée du potentiel donné par ses 10000 diplômés par an. Il est vrai que la lessiveuse institutionnelle dans laquelle les établissements sont plongés depuis quelques années ne simplifie pas outre mesure la tâche.

A l’autre extrémité du spectre on retrouve bien sûr l’école des Arts et Métiers. L’attachement à un réseau d’élèves et d’anciens élèves se construit dès l’arrivée à l’école et, de ce point de vue, la si décriée Période de Transmission des Valeurs (anciennement usinage) contribue de façon déterminante à cette prise de conscience. Comme le rappelait un ancien président de l’association des ingénieurs Arts et Métiers, la force de celle-ci n’est pas due au hasard ou à une alchimie mystérieuse ; elle est le résultat d’un process. En d’autres termes la pertinence d’un réseau de diplômés se construit dans les esprits au cours des études, et ceci à travers des occasions multiples : activités étudiantes, préparation à l’emploi, aide ponctuelle à la vie de chacune et chacun, invitations diverses, attribution de bourses… C’est cette capacité à accompagner au quotidien la scolarité des étudiants qui rend palpable et concrète l’intérêt d’un réseau d’anciens. Et dans ces conditions un cercle vertueux commence à s’enclencher, car le réseau se renforçant augmente ses capacités d’action, offre davantage de services, et donc son pouvoir d’attraction de développe.

Deuxième principe : les alumnis pour les alumnis

Mais le process précédent que j’ai très rapidement esquissé induit un risque majeur. Tel que décrit précédemment on observe que les diplômés se préoccupent beaucoup des étudiants, ce qui peut les détourner de l’objet principal d’une association d’anciens élèves qui est d’offrir des opportunités et des services à ses membres.

A partir de là, et c’est une chose particulièrement ancrée à l’association des alumnis des Arts et Métiers, il est aisé de glisser du support à la vie étudiante à l’intervention sur les questions pédagogiques, puis à la vie de l’établissement dans son ensemble. Je ne conteste pas ici la présence de l’association des alumnis dans les instances de l’établissement – elle me semble indispensable, saine et salutaire – mais remet en cause bien davantage la volonté de s’immiscer dans la vie quotidienne. Cette dérive est tout à fait notable si l’on se réfère aux statuts de cette association. On y lit que ladite association, outre des objectifs usuels autour de l’aide à ses membres à pour but « d’assumer auprès des Pouvoirs Publics une mission d’auxiliaire pour l’étude de tous les moyens propres à :

– orienter vers l’Ecole un recrutement de qualité,

– accorder sans cesse son enseignement à l’évolution des sciences et des techniques,

– faciliter aux élèves l’accès aux compléments de culture dans tous les domaines de la formation générale de l’ingénieur « 

On voit là que l’association, dans son objet, ne se contente pas d’aider l’école lorsque cette dernière lui demande ou de participer aux réflexions sur la stratégie de l’établissement mais se considère comme légitime pour intervenir sur des questions d’orientation ou de formation.

Il nous semble qu’un équilibre doit être trouvé pour que les actions essentielles d’une association d’alumni se focalisent sur les services aux alumni, tout en développant des actions vers les étudiants.

Troisième principe : l’établissement est le pivot du système

Maintenir cet équilibre n’est pas chose facile, notamment du fait que si les actions réalisées au cours des études sont insuffisantes, la dynamique vertueuse ne sera pas au rendez-vous. A contrario si ces actions se multiplient et s’amplifient elles risquent de déborder sur l’activité de formation des étudiants, voire sur celle de l’établissement. Dans un tel cas le risque majeur est d’ailleurs celui de voir des étudiants déboussolés, se tournant vers les alumni pour guider leur avenir au détriment de l’établissement dont c’est la raison d’être.

C’est la raison pour laquelle l’établissement doit rester maître de l’ensemble de ses dispositifs pédagogiques, y compris et surtout pour ce qui concerne l’interface avec le monde de l’entreprise : conférences de professionnels, propositions de projets et de stages, contrats industriels, promotion de l’établissement, accompagnement professionnel des étudiants… Dans tous ces cas c’est à l’établissement de spécifier et cadrer ce qu’il entend faire.

Mais spécifier et cadrer ne signifie pas agir seul. Les alumni interviennent là en mettant leurs compétences au service des actions engagées par l’établissement au profit de ses étudiants. C’est là qu’un cercle vertueux peut s’enclencher, permettant aux trois acteurs d’interagir avec profit :

– l’établissement met la capacité de ses alumnis au service de son développement et de la qualité de sa foramtion

– les étudiants profitent d’une formation dynamisée par l’intervention des alumnis, et en comprennent la pertinence

– les alumnis trouvent un lieu d’intervention favorable qui leur permet en outre de renforcer leur réseau

Ces quelques principes n’ont pas pour ambition de faire théorie, mais ils sont de bon sens. Force est de constater que dans de nombreux établissements, tant universités qu’écoles diverses, nous en sommes encore loin – pour des raisons fort variées et quelquefois opposées -. S’ils peuvent être utiles à certains, j’en serais tout à fait ravi.