Deux sujets, relatifs à des faits récents concernant mon école, expriment une certaine impatience de ma part à voir les choses évoluer.
Le premier a trait aux modes de recrutement et d’avancement des enseignants-chercheurs. Le décret fixant le statut des enseignants-chercheurs indique notamment qu’une personne souhaitant candidater à un poste de Maître de Conférences ou de Professeur doit auparavant avoir un diplôme ad hoc, ce que l’on comprend, mais doit également être qualifié par une instance nationale qui s’appelle le Conseil National des Universités (le CNU). Cette qualification est obtenue après examen par la section compétente du CNU. Ces sections, qui représentent grosso modo une discipline, fonctionnent dans les faits de manière très différente, certaines ne considérant que les activités de recherche – pardon de publications – d’autres considérant également la qualité pédagogique et l’implication administrative. J’ajoute que les collègues qui naviguent aux interfaces – lieux de progrès et d’innovation reconnu par tous – sont très mal considérés par chaque section, chacune pouvant renvoyer la balle aux autres en disant que l’activité de M. X est très intéressante mais hors du spectre de la section.
Tout cela pour dire que la présence de ces sections concoure à l’uniformité des profils et la banalisation des parcours. L’autonomie de recrutement des universités reste donc très encadrée, sans oublier que l’évolution de carrière de la moitié des enseignants-chercheurs est également décidée par le CNU. Quand aurons-nous le courage politique de rendre nos universités vraiment autonomes ? Car quel chef d’entreprise voudrait diriger une structure dans laquelle ses marges de manœuvre en termes de ressources humaines restent marginales ?
Autre sujet, moins essentiel, mais tout autant absurde de mon point de vue. Il s’agit de ce que les spécialistes appellent la compétence négative, principe apparemment explicité dans le code de l’éducation dans son article L952-1, qui indique :
Sous réserve des dispositions de l’article L. 951-2, le personnel enseignant comprend des enseignants-chercheurs appartenant à l’enseignement supérieur, d’autres enseignants ayant également la qualité de fonctionnaires, des enseignants associés ou invités et des chargés d’enseignement.
Ce texte d’apparence anodine empêche les établissements relevant du Ministère de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche de sous-traiter des parties de formation à des entreprises puisqu’elles ne sont pas mentionnées explicitement dans le passage qui précède. En conséquence, il est possible d’embaucher un vacataire de l’entreprise X pour réaliser un certain enseignement. Par contre, il n’est pas possible d’effectuer une commande auprès de cette même entreprise, dans le cadre d’un partenariat par exemple. Le lecteur même peu au fait de ces questions comprendra aisément que ce mode de fonctionnement rend certaines opérations impossibles.
Pourtant dans le cadre des formations d’ingénieurs que je connais bien, il est souvent extrêmement formateur, et d’ailleurs demandé explicitement par la Commission des Titres d’Ingénieur, de faire intervenir des professionnels. Ce n’est donc possible que sur le principe des vacations. J’ajoute que nombre de consultants ne peuvent pas intervenir en tant que vacataires car ne respectant pas les conditions d’emploi des-dits vacataires…
Je ne sais pas si la route vers l’autonomie est droite, mais la pente est forte, à l’évidence !
[…] Lire le billet du directeur de Telecom Saint-Etienne intitulé Les universités autonomes… ou pas ? […]
Bonjour à tous !
L’Université a quelques difficultés à réaliser sa mue.
Au cours de l’année 2009-2010 j’ai eu la responsabilité de la Professionnalisation du service des Doctorants, à la fac de Paris Ouest Nanterre. Je précise que je viens du privé, journaliste orienté Management, donc un carnet d’adresses et surtout le désir que les Docteurs de Sciences Sociales trouvent un job à la fin de la THèse.
J’ai été surprise par l’incompétence de ma hiérarchie directe, des lenteurs administratives,du refus de faire entrer des sponsors du privé pour créer des activités pour les Doctorants …
Fort heureusement, je suis Secrétaire de l’Association Doctopolis et là nous avons levé des fonds, crée une première journée nationale sur le recrutement et les réseaux sociaux, succès, nous préparons une grande autre journée pour octobre 2011.
Difficile de collaborer avec des personnalités ancrées dans des postulats anciens, qui ne peuvent perdurer en 2011 …
L’Université a donc une lourde et grande responsabilité vis à vis de ces diplômés à bac + 5 , Docteurs … attention vous ne serez pas Maître de Conférence,et le Privé est une nébuleuse où votre diplôme est quasi inconnu … Bref , chapitre suivant de la Thèse après soutenance, comment gérer son intelligence recherche pour la rendre attractive pour le secteur privé … Si vous avez une recette, je veux bien investir !
Monsieur,
Le président d’une université est-il assimilable à un « chef d’entreprise »? Pour que cette assimilation soit valable, encore faudrait-il qu’une université soit à son tour assimilable à une entreprise quant à son mode de fonctionnement.
Connaissez-vous beaucoup d’entreprises dans lesquelles le « client » (l’étudiant) serait l’auteur de 80% du « produit » (la formation)? Remplacez « entreprise » par « administration », « client » par « usager », « produit » par « service » et vous verrez qu’une université n’est pas plus assimilable à une administration. Connaissez vous beaucoup d’entreprises dans lesquelles le produit de la recherche-maison ou « des tours de main » serait immédiatement et consubtantiellement mis à la disposition du plus grand nombre, juqu’au « extrémités de la terre » (l' »universitas » est, par définition « catholikè » = universelle)?
Ni entreprise, ni administration, l’Université est un « être du troisième type », une communauté de maîtres et d’étudiants (les premiers étant aussi « étudiant » (au sens du participe présent) et les étudiants participant progressivement au magistère (par des pratiques didactiques, l’initiation progresive à la recherche, le développement de leur autonomie intellectuelle et de la conscience de leur responsabilité sociale).
Celà dure depuis le décret « Habita » de l’empereur Frédéric Ier au milieu du XIIe siècle. Nous sommes donc un type de maison original, ancien et dur à cuire.
L’autonomie, oui , mais d’abord l’autonomie intellectuelle, dans le respect de notre spécificité.
Vous êtes libres de vos propositions, mais ne les appuyez pas sur des assimilation hâtives et dangereuses, plus que suggérées par des milieux dirigeant qui, en France et à l’inverse du tableau offert par tous les autres pays, ont appris depuis l’âge de 17 ou 18 ans, à contourner soigneusement l’université, voire à la mépriser (Dieu merci, cela commence, lentement, à changer!).
Cordialement.
Pr. Jean-Luc FRAY
Directeur du Master « Cultures, Territoires, Patrimoine »
CLERMONT UNIVERSITE (Université Blaise Pascal)
Cher collègue,
je suis – comme vous j’imagine – un pur produit du système universitaire, et j’en suis fier ! De plus mes remarques ne me sont pas dictées par je ne sais quel lobby mais par ma pratique quotidienne de pédagogue, entièrement tournée vers l’avenir de mes étudiants, qui n’est pas partagée par tous les collègues, je le déplore.
Ce qui n’empêche pas que je suis en plein accord avec votre remarque sur le fait que l’université n’est ni une administration ni une entreprise. Mais ceci n’a rien à voir avec l’autonomie qui ne nous est délivrée qu’à doses homéopathiques. Et vous savez bien que nombre d’universités à travers le monde, tout aussi illustres, fonctionnent sur des bases singulièrement différentes des nôtres.
Au passage, le débat que nous menons ici est un bon exemple de ce que doit être l’Université !
Cordialement
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Moi même docteur en sciences, j’ai toutes les difficultés du monde à me faire qualifier. J’ai fait une thèse adossée à un sujet Industriel dans lequel « tout n’était pas publiable » (comprendre que certaines parties étaient confidentielles).
J’ai enseigné pas mal d’heures et fut un enseignant très apprécié de mes étudiants.
Mon « nombre de publication » est considéré comme trop faible pour mériter d’être qualifié. Je ne retrouve pleinement mes compétences dans aucune des sections CNU, et pourtant, mon savoir faire est très prisé des entreprises. Je l’ai d’ailleurs partagé – et le partage encore – dans certaines écoles d’ingénieur.
A croire qu’en France, il est plus important de publier des articles qui ne seront lus que par une poignée de spécialistes à travers le monde, que de produire quelque chose qui conduira à une avancée industrielle, et peut être la création d’emplois.
Je ne peux même plus dire que je suis surpris de voir le discours de la modernité -identifié à l’entreprise et elle-seule – servir de paravent à des énoncés sans fondement ou à une hubris de pouvoir. Mais tout de même ! Un intervenant a justement dit que les chefs d’établissement n’étaient pas des chefs d’entreprise, parce que les étudiants contribuent en effet au « produit », parce que nous sommes un service public qui ne peut avoir la rentabilité pour seul critère, parce que ce sont souvent des apports de formation généraliste, non-rentables , qui rendent les diplomés capables d’évoluer, de rebondir devant les changements des postes et des besoins de compétence.
Au demeurant je pense qu’il faut une vision bien mythique de l’entreprise pour croire que son « chef » fait les embauches, il y a pour cela des services de GRH, des compétences, des diplômes et des dossiers restituant des expériences qui permettent de jauger les candidats. Quant les chefs recrutent sans regarder de prés cela donne l’épisode des branquignols enquêteurs qui est en train de nuire tant à l’entreprise Renault
Que les CNU puissent être améliorés et prendre en compte une plus grande variété de critères, pourquoi pas. Etre à l’origine de brevets, en sciences dures, est un des critères pertinents de jugement…mais je vois mal au demeurant comment on trouve des brevets sans avoir une formation théorique solide dont les publications peuvent être un indicateur non absurde.
Y ayant siégé huit ans je n’y vois dans les CNU ni une instance parfaite, ni une machine a reproduire le corps à l’identique, sauf à considérer de façon manichéenne que tout ce qui est à la fois étatique et national doit être éradiqué. Il se trouve que pour recruter des personnes dont une part de la compétence et du métier est d’être chercheur, il faut des chercheurs. Ayant siègé deux fois dans des jurys d’agrégation du supérieur (instance et mode de recrutement bien plus « tradi » encore que les CNU) il m’est arrivé de recruter comme collègue, full professor, une personne qui n’avait pas le bac mais dont le dossier manifestait une inventivité intellectuelle remarquable, de donner la statut de professeur à des personnes de moins de trente ans et tres prometteuses. Pas besoin donc de supprimer une instance nationale pour avoir de l’attention aux marges, aux profils atypiques, même s’il est vrai que les chercheurs au carrefour de deux ou trois disciplines peuvent y trouver un handicap.
Ajoutons que les postes d' »associés » permettent de profiter, parfois sur des durées de 6, 9, 10 ans du précieux concours des professionnels des métiers et compétences les plus diverses. Pour qui connait le systéme français, laisser les « chefs d’entreprise universitaire » libres du recrutement, c’est assurément augmenter les risques du clientélisme, de la priorité aux médiocres mais dociles et aux copains. Notre système de recrutement n’est pas idyllique (et il faudrait dire que le système Pecressien et « autonome » des comités de séléction a décuplé les possibilités de clientélisme que laissaient ouvertes les vieilles commissions de spécialistes), mais ne le soignons pas avec le pavé de l’ours !
Erik NEVEU
Ancien membre du CNU et de jurys d’agrégation, ancien directeur de Sciences Po Rennes