Comités de sélection : lourds ou légers ?

Je suis resté quelque peu éloigné de ce blog du fait d’une activité passablement intense au cours des derniers mois. Parmi mes occupations de directeur s’est placée en bonne position la question des recrutements des enseignants-chercheurs. Et je partage ici mes pensées quant à la lourdeur et la légèreté de l’exercice.

Lourdeur tout d’abord car il faut rappeler que pour chaque poste mis au concours, un comité de sélection ad hoc doit être mis sur pied. Ce comité doit comprendre des enseignants-chercheurs de l’établissement et au moins autant d’enseignants-chercheurs extérieurs. Le CA restreint de l’université tient une place prépondérante puisqu’il intervient successivement pour la validation de la structure de chaque comité, puis le nom des personnes choisies pour le comité, puis au retour des résultats du comité pour examiner voire modifier les propositions de nomination du comité. Le lecteur comprendra facilement que dans une une université de taille moyenne, les compétences effectives du CA restreint pour juger de la pertinence de la présence d’un enseignant-chercheur dans un comité, ou de l’adéquation d’un candidat sélectionné par le comité de sélection, est faible voire très faible. Ceci pour la simple raison qu’il existe au mieux un membre scientifiquement compétent du domaine concerné dans le CA restreint.

Lourdeur encore quand un directeur d’école interne doit quémander auprès de l’administration la liste des candidats sur un poste ou les CV des candidats classés par un comité de sélection.

Lourdeur toujours dans le fonctionnement même des comités, qui s’approche quelquefois dangereusement du comique. Pensez à la solitude du président de comité de sélection lorsqu’un membre extérieur le prévient à la dernière minute de son incapacité à participer. Il doit trouver, avant même que le comité ne se réunisse, une bonne âme parmi les enseignants-chercheurs internes à l’établissement, qui accepte de ne pas venir de manière à conserver un comité équilibré. Malheur à lui s’il découvre en séance qu’un extérieur manque à l’appel car il doit alors annuler la réunion pour la convoquer ultérieurement !

Lourdeur enfin, notamment en termes de coût, quand on observe le déplacement incessant des enseignants-chercheurs qui rendent service en participant à des comités de sélection sur tout le territoire français en tant que membre extérieur. Tout cela génère un trafic significatif pendant les mois d’avril-mai et perturbe significativement la vie de nos établissements.

On peut s’interroger avec quelque raison sur les motivations d’un tel processus. Il s’agit on le sait avant tout de combattre les recrutements locaux et de recruter le « meilleur » candidat. Et comme la confiance dans les capacités des universités à recruter leurs collaborateurs n’est pas au rendez-vous, on multiplie les règles – chacune ayant une justification raisonnable – pour être certain que le processus de recrutement n’est pas biaisé. Mes observations, sur un échantillon certes non représentatif, me laissent à penser que les recrutements plus ou moins bidonnés restent une pratique courante.

J’en viens à la légèreté. Car il faut ajouter un détail concernant les comités de sélection : les candidats ont en général 20 minutes pour exposer leurs travaux et leurs perspectives avant d’entamer une discussion avec les membres du comité. Restons optimistes et considérons que l’on passe une heure pour dialoguer avec le candidat. Il est tout à fait incroyable que l’on se permette de recruter un futur collaborateur – pour 30 voire 40 ans car on parle de postes de fonctionnaires, sur la base d’un dossier, d’un exposé et d’une discussion bâclés en moins d’une heure. Il est d’autre lieux où dans une situation analogue on demande au candidat de préparer un cours en temps limité avant de l’exposer, de vivre à l’intérieur du laboratoire pendant plusieurs jours, etc. De ce point de vue, ce processus de recrutement est d’une légèreté insoutenable et les collègues connaissent tous les nombreuses erreurs de recrutement dont il faut ensuite faire son affaire pendant des décennies.

J’ose à peine dire en conclusion qu’il n’est fait appel à aucune compétence en ressources humaines, ou d’industriels lorsqu’il s’agit de futurs enseignants dans une école d’ingénieurs. Car là, je sens que mes collègues universitaires ne manqueront pas de me clouer au pilori…

En tout cas, pour reprendre un ancien post, l’autonomie des universités dans la définition de leurs processus de recrutement reste très encadrée pour un résultat qui demeure plus que médiocre.

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Article du on mardi, mai 24th, 2011 at 18:28 dans la rubrique Non classé. Pour suivre les flux RSS de cet article : RSS 2.0 feed. Vous pouvez laisser un commentaire , ou un trackback sur votre propre site.

5 commentaires “Comités de sélection : lourds ou légers ?”

  1. F. Pierron dit:

    Excellente analyse que je partage totalement. Une des solutions possibles est la mise ne place d’un vrai système de titularisation (type ‘tenure-track’) pratiqué par la plupart des universités au niveau international, qui permettrait de limiter les conséquences d’une erreur de recrutement. On pourrait alors revenir à un système plus souple et moins encadré permettant de traiter les recrutements dans de bonnes conditions. Il faut noter aussi qu’en l’absence de gestion des ressources humaines dans la fonction publique, et avec nos modes de fonctionnement de type ‘démocratique’, l’enjeu des recrutements est souvent celui du contrôle des structures de fonctionnement (luttes de territoire).

    Enfin, je pense aussi qu’il est indispensable de laisser plus d’autonomie aux jeunes chercheurs. Le fait de le placer dans une équipe (souvent sous le contrôle direct d’un PR) implique que les critères de recrutement ne sont pas toujours centrés sur les qualités scientifiques propres des candidats mais sur le fait de savoir s’il va pouvoir intégrer le ‘clan’ qui le recrute. Autonomie et responsabilité, ces deux aspects sont indissociables, au niveau des établissements mais aussi des individus.

  2. O. Ridoux dit:

    Quand on veut mal faire, on peut toujours, quel que soit le règlement. Il ne faut donc pas juger les comités de sélections sur le mal faire qu’ils permettent encore, mais plutôt sur le mieux faire qu’ils ont permis.

    J’ai participé à de nombreuses commissions de spécialistes et, depuis la réforme, j’ai présidé de nombreux comités de sélection. Pour moi, le progrès est évident. Que les comités de sélection ne soient pas encore idéaux, c’est évident aussi, mais de là à les condamner globalement, il y a un pas.

    Contre les commissions de spécialistes : j’y ai vu le plus souvent des commissions de non-spécialistes. En effet, l’élitisme ambiant de notre profession conduit le plus souvent à choisir des hyper-spécialistes champions de leur domaine, plutôt que des collègues porteurs d’une vaste culture mais qui ne seraient pas champions. Le résultat est des évaluations, particulièrement les rapports fait sur les dossiers des candidats, largement entachés d’incompétences, et qui le plus souvent se limitent à une analyse métrique du dossier. La vaste culture n’est pas plus au rendez-vous avec les comités de sélections, mais au moins la compétence est là. Autre faiblesse des commissions de spécialistes, leur taille. Elles étaient bien trop grosses, et engendraient des comportement de collégiens : apartés, messes basses, membres qui n’écoutent pas et à qui il faut tout répéter. Vous parlez de la solitude du Président, ici elle est bien réelle. Ici encore, la taille plus réduite des comités de sélection améliore les choses.

    Il est vrai que la rigidité des règles de composition des comités de sélection est déroutante, mais je crois qu’il vaut mieux les intégrer que tenter de lutter contre. Votre exemple est significatif : devoir faire sortir un membre local pour répondre à la défection d’un membre extérieur. Je ne me suis jamais senti en difficulté de devoir le faire. Il suffit d’expliquer à tous les membres, dès le début, que cela peut arriver et comment on procédera. Il est vrai que se sentir sur un siège éjectable est moins confortable que s’installer dans le fauteuil de membre de commission de spécialistes, mais ce n’est qu’une question d’égo mal placé. Il suffit de dire aux membres du comité de sélection pourquoi ils sont là.

    Je reconnais volontiers que face à la perspective de voir son comité passer en dessous du seuil où il peut fonctionner le Président est bien seul ; il sent parfois une ambiance de Chronique d’une mort annoncée. Mais l’origine de cette difficulté n’est pas dans le comité de sélection, elle est dans notre fascination pour l’hyper-spécialiste champion de son domaine. Ce n’est pas à la réglementation du recrutement de changer cela, c’est d’abord à nos procédure d’évaluation. Si on était moins fasciné par ces champions, si ces champions se sentaient moins flattés qu’on fasse appel à leur hyper-spécialisation, on saurait faire appel à des profils plus ouverts, plus cultivés, et les membres pressentis accepteraient moins légèrement de participer à un comité de sélection. J’ai vu des cas où au moment de placer les deux réunions du comité, un membre, souvent extérieur, annonce qu’il est en mission pour plusieurs semaines à l’étranger ; je ne peux pas croire qu’il ne le savait pas bien avant !

    Passons aux autres avantages des comités de sélection : la parité entre membres locaux et membres extérieurs. Ces derniers n’ont plus à s’excuser de ne pas être de la famille ! On doit passer un peu de temps à leur expliquer le contexte, mais une fois cela fait, ils jouent pleinement leur rôle, et apportent réellement le regard exogène qu’on attend. Un avantage technique enfin, que j’ai découvert par la pratique. La possibilité d’utiliser la visio-conférence. On pourrait y voir une forme dégradée de réunion, mais c’est beaucoup mieux que ça. Cela rend indispensable de discipliner les débats, cela oblige le respect de tour de parole, cela rend les débats beaucoup plus sereins ! Cela ne se fait pas automatiquement, mais finalement c’est un très bon prétexte pour imposer une discipline de réunion. Je n’ai jamais vu dans un comité de sélection les comportements de collégiens dont je parlais plus haut.

    J’ai quand même vu ou ouï-dire de comités de sélection catastrophiques, mais je crois que le grand invariant est que les gens essayaient juste de faire fonctionner les comités de sélection comme des commissions de spécialistes. Alors là, évidemment, rien ne va plus.

    Enfin, je suis en total désaccord avec votre appréciation du niveau de compétence des membres du CA des universités moyennes. Le niveau de compétence est sûrement bas, mais cela ne s’arrange pas avec les grosses universités puisqu’il y a plus de domaines à gérer pour un même nombre de membres du CA. Il faudrait juste que ces membres apprennent la modestie et se dispensent de faire du zèle. Malheureusement, le rôle magique qu’on a donné au CA a juste l’effet inverse !

    Quant à l’accusation de légèreté, je n’y crois pas. Le concours proprement dit n’est que la partie émergée d’un processus qui a commencé bien avant. Par la force des choses, les spécialistes qui composent le comité de sélection connaissent plus ou moins les candidats, ou au moins leurs équipes, ou les conférences ou revues où ils ont publié. Les candidats ont pu avoir des contacts préalables avec les équipes du laboratoire qui va peut-être les accueillir. Notre profession est une profession de contacts et d’échanges. Le comité de sélection arrive à la fin de tout ça, et constate si le candidat a été capable de contacts et d’échanges fructueux. Il est vrai qu’à ce jeu on ratera toujours le génie isolé, mais je ne suis pas sûr que ce soit un profil intéressant. Enfin, le recrutement ne peut pas se donner la responsabilité d’être pertinent pour 30-40 ans. C’est un objectif idiot, car tout change, les gens comme les institutions. Tel qui paraissait très adapté à la situation courante, ne l’est plus quand la situation change. Tel autre qui paraissait aussi adapté connaît des problèmes personnels qui sapent ses compétences. L’objectif qu’on peut assigner à une procédure de recrutement doit être bien plus modeste : recruter pour la situation courante et l’avenir prévisible, en espérant que la personne recrutée pourra prendre toute sa dimension rapidement en s’intégrant suffisamment harmonieusement pour participer avec les autres aux changements qu’on ne connaît pas encore.

  3. Franck Scherrer dit:

    l,intérêt des arguments échangés tiens en ce qu’ils concernent l’impact des conditions concrètes de mise en œuvre sur la qualité des recrutements, sujet qui est assez essentiel. J’ai également eu une longue expérience de président ou membre de commission de spécialistes, plus courte mais intense, de président ou membre de comités de sélection, et, après avoir rejoint une université nord-américaine, je viens de procéder à trois recrutements de professeurs dans le département que je dirige. Comme toujours, la possibilité de comparer différents systèmes débouche sur un point de vue relativiste. il m’apparait aujourd’hui qu’aucune règle formelle si rigide soit-elle n’a un impact mécanique sur la qualité de la prise de décision.

    Ainsi j’étais sorti de l’expérience des comités avec la certitude que la présence majoritaire des membres extérieurs apportaient une plus-value indispensable, voire un véritable bol d’air par rapport au système des commissions. Or, dans la pratique des recrutements dans mon université nord-américaine, tout se fait en interne, avec l’unique concours des professeurs du département et des organes de décision propres à l’université, l’idée même de faire participer à la prise de décision des professeurs d’autres universités étant totalement incongrue pour mes collègues. Au vu du déroulement du processus de recrutement, je ne suis plus si sûr de ma certitude: L’appel aux collègues extérieurs aurait été utile dans certains cas, mais ne m’apparait plus comme naguère indispensable. Je précise que mon université n’interdit pas formellement de recruter ses propres docteurs, comme c’est le cas ailleurs.

    Toute la différence tient en fait dans la capacité pragmatique de tirer des leçons et d’apporter des modifications concrètes tout en restant dans un cadre légal, qui me parait rétrospectivement beaucoup plus difficile en France. Le temps d’entrevue avec les candidats est trop court, un temps d’immersion dans le département préférable? il suffit de faire adopter cette modification par les collègues du département et de leur demander un peu plus de leur temps pour la prochaine fois. Les candidats à un poste affiché ne sont pas satisfaisants? L’affichage est prolongé de 6 mois et un démarchage plus actif est organisé. On veut en savoir plus sur un candidat? On peut prendre son téléphone et solliciter des avis supplémentaires (c’est là où l’avis des collègues extérieurs interviennent).Il est possible qu’un tel pragmatisme se soit déjà manifesté ici où là en France afin de faire évoluer positivement la pratique des comités de sélection. Il reste que l’hyper juridisme qui accompagne généralement leur mise en œuvre, et qui traduit essentiellement un manque de confiance, n’est pas une condition favorable pour une telle évolution.

  4. Newly-MCFed dit:

    Très bonne analyse. Juste une remarque: je viens de faire en tant que candidate à un poste de maître de conférences la campagne de recrutement. Je me suis rendue à 4 entretiens, et j’ai eu DIX MINUTES pour présenter mes travaux et enseignements à 3 d’entre eux et CINQ MINUTES pour le dernier. Les entrevues ont duré de 30 à 45 minutes, pas plus.
    Je confirme aussi ce qui est dit dans les commentaires sur les spécialistes amenés à juger des dossiers dans des sous-disciplines qui ne sont pas les leurs. Cela donne lieu à des discussions assez stériles sur l’utilité de telle recherche et la centralité de telle autre…

  5. Gildas L., sociologue, MCF dit:

    Sur ces questions de recrutement on a souvent affaire à tout et son contraire et les possibilités d’agir, par voie de recours ou de lancement d’alerte en cas de recrutements-cooptations extrêmement personnalisés, sont des plus limitées. Au point, parfois, que l’on peut soi-même avoir honte de son inaction en la matière… Ou de son impossibilité formelle d’agir. Tel est actuellement mon cas.
    Sociologue, MCF en UFR STAPS (Sciences et techniques des activités physiques et sportives), membre élu de la 74e section du CNU et manifestement pourvu d’une bonne réputation de moralité professionnelle, j’ai été dernièrement informé et saisi à multiples reprises par des candidats aux concours locaux de MCF d’une situation fort problématique touchant l’UFR STAPS de Rennes 2. Je la résume telle qu’elle m’a été rapportée (et confirmée par les éléments en ma possession)avec l’espoir que je puisse intervenir avant décision du CA de l’université :
    Bien qu’ayant pris soin de ne pas figurer parmi les membres du comité de sélection, le directeur d’une équipe de recherche s’est « arrangé » pour faire classer en 1 sa propre épouse sur un poste de MCF « sciences sociales » en STAPS. Celle-ci présente un CV qui démarre au niveau master 1 et s’achève par une thèse de sociologie préparée en seulement deux ans sous la direction de celui qui fut le prédécesseur de son époux à la tête de l’équipe de recherche (en réalité apparaissent trois années d’inscription en thèse, mais la première a été consacrée à la préparation d’un M 2 en STAPS). Selon les informations recueillies par les plaignants, l’entrée initiale en M 1 de sociologie de l’intéressée aurait notamment été obtenue par la validation d’acquis d’une expérience de commerçante ! Sur les 10 articles figurant sur son CV en ligne, seul 1 est en nom propre et 6 sont cosignés par l’époux (la quantité des articles étant aujourd’hui la norme en STAPS, l’intéressée a été qualifiée dans cette section mais manifestement pas en sociologie, spécialité de la thèse)… Bref, on aura compris que l’on est manifestement là face à une confusion entre affaires familiales et affaires professionnelles, l’époux recrutant l’épouse via un comité de sélection probablement fort complaisant. Comment comprendre en effet que parmi de nombreux candidats ayant souvent passé plus de huit années à se former et à obtenir leur doctorat la candidate finalement retenue a été celle qui ne présentait qu’un total de 5 ou 6 ans d’études supérieures spécialisées ?
    Finalement, qu’ai-je fait face aux demandes qui m’étaient adressée par des candidats scandalisés et qui exprimaient bien souvent le désespoir angoissé de l’injustice ? RIEN, vraiment RIEN ! Que pouvais-je faire ? Interpeller le président de l’université concernée qui soutient fortement le nouveau projet de JE déposé par l’époux ? Convaincre des candidats malchanceux sur le poste concerné à déposer un recours au risque qu’ils se grillent pour de futurs recrutements ? Interpeller le ministère ?… Les conditions formelles du recrutement ayant manifestement été respectées je ne voyais vraiment pas comment intervenir pour tenter d’entraver ce qui m’apparait au bout du compte fort scandaleux. Quand on songe de surcroît que l’époux est ou a été expert à l’AERES, membre nommé au CNU et actuellement candidat aux nouvelles élections au CNU, c’est à désespérer de son univers professionnel d’existence.
    Face aux candidats malchanceux, j’ai sincèrement honte de mon inaction et/ou de mon impossibilité formelle d’agir face à de telles situations. Je leur demande indulgence. Je me sens aussi mou qu’une vache qui regarde passer les trains… Et ce n’est pas agréable !

    GL

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