Que de temps perdu pour réformer l’enseignement supérieur et la recherche en France

Dans un article paru dans le supplément « Universités & grandes écoles » du Monde en date du 17 octobre 2013, le président de la Conférence des Présidents d’Université, Jean-Loup Salzmann juge opportun d’adresser une attaque en règle en direction des grandes écoles, en évoquant notamment ce que « tout le monde sait, et les étudiants s’en aperçoivent lorsqu’ils intègrent une école, que les cours ne sont pas de très bonne qualité. »

J’ai réagi de la manière suivante, en envoyant à ce même quotidien une contribution, publiée par ce dernier dans la rubrique Idées.

Outre la légèreté d’un propos pour le moins approximatif et calomnieux, la méthode est choquante et doit interroger tous les citoyens sur l’état actuel de leur enseignement supérieur. Nous avons l’impérieuse obligation de nous ressaisir et de cesser de prendre en otages des générations entières d’étudiants dans des querelles stériles de lutte de pouvoir. Quelle crédibilité peut-on aujourd’hui nous accorder quand les seules avancées que nous pouvons proposer à la société française se résument à des stigmatisations permanentes entre deux clans et des réformes de structures bureaucratiques sans impact dans la vie quotidienne des jeunes que nous formons ? Sans parler du fait, qu’une fois encore, les déclarations faites par un « camp » le sont par des acteurs qui ignorent tout de l’autre et se fondent sur des idées reçues très éloignées de la réalité.

Ces déclarations nous obligent à sortir des discours convenus, elles sont la preuve de notre échec collectif et nous confrontent à la réalité : nous perdons notre temps à réformer l’Enseignement supérieur et la recherche en France. Non pas que toute réforme soit inutile. Bien au contraire, nous avons pris conscience de la nécessité de nous occuper de la formation de nos étudiants et de notre recherche académique bien trop tard. Mais nous continuons de perdre du temps car nous réformons notre système dans l’entre-soi, entre universitaires. Sans aucune prise en compte de l’extérieur et même pire, avec une certaine peur de l’extérieur. Comme nous restons entre nous, nous en profitons pour régler nos comptes : qui de l’université ou de l’école absorbera l’autre ? Combien de voix pèse mon établissement dans un regroupement fait en fonction du nombre d’étudiants, du nombre de divisions ? Ceci alors que notre enseignement supérieur et notre recherche ont besoin de structures légères et réactives.

Toutes les réformes, toutes couleurs politiques confondues, sont toutes tombées dans le piège de la réforme des structures avant d’encourager les projets. Pendant que nous parlons de gouvernance, de regroupements, de savoir si ceux-ci s’appelleront plutôt des PRES ou des CUE, s’ils seront fédératifs ou confédéraux, le reste du monde avance. Les universités suisses sont devant celles de la France. Le classement de notre pays en matière d’autonomie de son enseignement supérieur et de sa recherche parmi 28 pays, ou länder, européens nous fait péniblement osciller entre la 24ème et la 28ème place – parfois devant ou parfois derrière – Chypre, la Grèce et la Bulgarie.

Les dernières déclarations du président Salzmann ne sont que le dernier avatar de discussions franco-françaises. Nous sommes tous responsables des défaillances de notre système d’orientation parce que nous avons menti pendant des années à nos jeunes. Non, faire une école d’ingénieurs en France ne coûte pas plus cher que d’aller à l’université (75 % d’entre elles sont publiques). Il faut arrêter de crier à la reproduction des élites alors même que nous avons complexifié à l’excès l’accès à l’information sur l’orientation pour nos jeunes à tel point que seules les familles initiées peuvent encore en comprendre les méandres. Croire que la dualité grandes écoles/universités est une exception française est l’aveu même d’une incapacité à d’observer le reste du monde. Nous sommes le seul système au monde à refuser de voir cohabiter sur de mêmes sites des universités technologiques à côté d’un système académique pluridisciplinaire. Il faut admettre la cohabitation de deux modèles dont les missions sont différentes mais répondent toutes deux à un besoin du pays. A-t-on déjà entendu des grandes écoles contester l’existence des universités ?

Sommes-nous suffisamment irresponsables pour pêle-mêle rejeter la faute sur les défaillances de notre système d’orientation et nous enfermer dans le dénigrement permanent, plutôt que d’apporter des réponses collectives ? Il faut arrêter les agressions infondées et arrogantes. Affirmer que les enseignements dispensés dans nos établissements ne sont pas de qualité, c’est tout à la fois faire injure à nos enseignants et enseignants-chercheurs, ainsi qu’aux entreprises qui font confiance chaque année à nos diplômés. Nous n’attendons pas 60 mois comme les masters d’université pour afficher un taux d’insertion professionnelle de nos diplômés de 93 %. Je dirige l’une des plus anciennes et des plus grandes écoles françaises d’ingénieurs. Je suis fier des compétences des 45 000 anciens élèves encore en vie de cet établissement. Résumer leur qualité au seul dynamisme de leur réseau d’anciens, c’est insulter leur contribution depuis plus de deux siècles au dynamisme économique de la France, à leur professionnalisme unanimement reconnu par le monde professionnel. Dans quel état serait la France aujourd’hui si elle n’avait pu compter sur ses ingénieurs quand les universités refusaient encore il y a peu de parler de professionnalisation?

Que l’on comprenne bien mes propos, car ceux sont ceux d’un universitaire de formation qui connaît de l’intérieur les deux systèmes dont il parle. Il ne s’agit pas de fustiger l’un ou de dévaloriser l’autre, mais plutôt de réunir l’ensemble de l’enseignement supérieur et de la recherche au service de notre pays, en respectant les valeurs et identités de chacun.

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Article du on lundi, octobre 28th, 2013 at 22:36 dans la rubrique Non classé. Pour suivre les flux RSS de cet article : RSS 2.0 feed. Vous pouvez laisser un commentaire , ou un trackback sur votre propre site.

7 commentaires “Que de temps perdu pour réformer l’enseignement supérieur et la recherche en France”

  1. Pierre Dubois dit:

    J’ai déjà fait référence à votre billet d’humeur fondé dans ma chronique : http://blog.educpros.fr/pierredubois/2013/10/25/il-faut-exfiltrer-le-soldat-salzmann/

  2. Dominique Crozat dit:

    Bonjour,

    Guerre stérile en effet mais pas qui reste l’horizon des cadres du Ministère: transformer nos fac en Grandes écoles puisque c’est leur idéal.
    Le système des Grandes Ecoles était une excellente idée au milieu du 20e siècle alors que la France était encore ce qu’aujourd’hui on nomme un pays en voie de développement; cela a permis de disposer plus rapidement que d’autres pays de cadres actifs et efficaces.
    Aujourd’hui, la pérennisation d’un système qui aurait dû rester provisoire pénalise fortement l’ensemble de l’enseignement supérieur français: les grandes écoles (et les classes prépas!) absorbent une part majeure des crédits d’enseignement au détriment de la majorité des étudiants, relégués dans les Universités. Au moment où l’Etat se désengage, ce n’est plus tenable.
    C’est nécessaire car le niveau d’exigences en matière d’études augmente et nous sommes à la traine (comparez le nombre de journalistes thésés dans la rédaction du Monde et celle du New York Time, c’est édifiant!). Or, les études généralistes du système prépas/Grandes Ecoles posent un problème pédagogique: chaque année mon département reçois 2 à 5 étudiants issus des prépa en L1 et une trentaine en M1. Or, les étudiants venus de ces univers ont beaucoup de problèmes pour s’intégrer à la recherche; ce monde trop bien cadré qu’on leur a inculqué peine à s’adapter à une démarche de doute et de spéculation.
    Par ailleurs, les lobbys des Grandes Ecoles exercent aussi une pression sur les débouchés avec des cas comme le monopole du Concours d’ingénieur de la fonction publique territoriale: depuis 4 ans, je suis membre du jury de ce concours et suis sidéré par le niveau de la plupart des candidats, comparés à nos meilleurs M2 un universitaires.
    Par ailleurs, il faudrait adapter à l’évolution de la société: ainsi nos CEMAGEF, Supagros etc. formeront bientôt plus d’ingénieurs qu’il n’y a maintenant d’exploitants agricoles dans ce pays et ceux-ci ont maintenant un problème d’emploi manifeste: on les voit candidater dans n’importe quel domaine (l’urbain, le développement durable, etc.) où ils se font étaler…
    Par ailleurs, ces grandes écoles montrent leurs limites: OK pour produire des ingénieurs (mais l’Université le fait aussi bien à moindre coût), au-delà le recrutement aléatoire des enseignants de certaines de ces écoles pose un problème en recherches: ce n’est pas un hasard si, depuis plus de dix ans, elles viennent « draguer » les facs pour accéder aux thésards. Le souci c’est aussi le niveau de ces thésards: j’appartiens à une de ces UMR qui ont développé beaucoup de collaborations, intégré trois équipes et beaucoup d’étudiants venus de ces univers; d’un côté c’est génial pour nous: multiplication par trois des effectifs de l’UMR et beaucoup d’argent. Par contre, à l’heure du renouvellement de quadriennal, le débat est vif: nous avons le sentiment que notre labo s’est transformé en bureau d’études et, intellectuellement, le nouveau projet est tiré vers le bas par ces organismes extra-universitaires…
    Reste un dernier niveau d’ambiguïté: la frontière entre les Grandes Ecoles et les officines privées (Ecoles de commerces en particulier, mais il y a pire)n’a jamais été tracée avec netteté. Et là, il n’y a plus de véritable recherche, les recrutements sont d’un niveau vraiment discutable, etc. Aujourd’hui la réussite du processus de Bologne permet aux facs de se positionner avec succès sur le marché de la formation des cadres sups dans tous les domaines(je fais de la publicité comparative pour mon master en utilisant les données diffusées par Sup de Co Toulouse et c’est nettement en mon avantage!). Il faudrait donc faire un peu le ménage…
    Bref, d’accord pour discuter et rebrasser les cartes mais dans des conditions saines, en mettant à plat l’ensemble du système: ce sont toujours aux Universités de faire les sacrifices; fermons les Grandes Ecoles qui ne servent plus à rien, supprimons les monopoles indus dont bénéficient les GE (ainsi tous les masters pro devraient pouvoir délivrer des diplômes d’ingénieurs!, intégrons les classes prépas dans les facs (avec des profs de fac)et, pourquoi pas ? intégrons les GE dans les Universités dans des conditions saines, pas avec des statuts dérogatoires comme dans les actuels PRES.

    D. Crozat

    Réponse rapide et non construite depuis un aéroport où je suis en attente. Je suis ouvert à un débat plus construit.

  3. Tizel dit:

    La fac lorgne sur les bons élèves de prépas, qui en retour fuient la fac pour ne pas avoir à subir ces premières années où certains élèvent semblent être atterris par hasard.

    La différence de moyens fac/écoles d’ingénieur est faussée. Ramenons le cout par élève au cout par élèves validant son année, voire au cout par élève ayant décroché un emploi. Je ne suis pas sur que ce soit les grandes écoles qui coutent le plus cher à la société.

  4. Dominique Crozat dit:

    Cet argument fréquent est totalement faux:
    1- les stats de réussite englobent les machines à échec que sont les facs de droit (moins d’un quart de réussite en première année) et surtout de médecine (moins de 10%) ainsi que les cursus attractifs pour les étudiants mal ou pas orientés: infocom (environ 30%) voire dans une moindre mesure pyscho (40%). La quasi totalité des autres formations de 1ère année de fac ont des taux de réussite égaux ou supérieurs à 60%.
    2- Ces stats sont toujours données sur un an et non trois (la licence): la proportion d’étudiants qui valident leur diplôme sur 4 ans au maximum est bien supérieure à celle de la première année (60 à 80%). Les réorientations en fin de première année, dues à la déficience de l’information préalable donnée dans les lycées, expliquent ce décalage.
    Idem sur la question des coûts:
    1- ces formations dites « d’élite » peuvent sélectionner les entrants et ne s’en privent pas. C’est interdit pour la fac (sauf quelques dérogations récentes sur des critères de nombre et non de résultats antérieurs). Il faut donc assurer une service (ouverture de cours et de TD) pour tous les inscrits, même les absents-décrocheurs.
    2- Vous devriez savoir que depuis le ministère Allègre, les Universités sont pénalisées financièrement puisqu’un ratio inscrits/présents aux examens est appliqué sur la DGF.
    Au final, dans les Universités de lettres et sciences humaines, environ 50% des étudiants obtiennent leur licence en 3 ans pour un coût (argent public) inférieur à 10 000 euros chacun; environ 15% l’obtiennent en 4 ans pour un coût global d’environ 12 000 euros. Dans le même temps, deux ans de prépa coutent à la collectivité 15 000 euros par étudiant, 3 ans 21 000. Pour la petite moitié des lycéens de prépa qui échouent les concours d’entrée aux grandes écoles s’y rajoute une année de fac pour valider leur licence (environ 4000 euros) ou, pour ceux qui réussissent, 3000 à plus de 20 000 euros par an. Pour comparer, 3 ans d’école maternelle coutent plus de 10 000 euros…
    Mais les coûts des grandes écoles correspondent à ceux des universités de la plupart des pays développés (2000 à 10 000 dollars): droits d’inscription, éventuellement complétés des dotations publiques: en comparaison, l’Université publique française a peut-être beaucoup de défauts mais un excellent rapport qualité-prix dans la zone OCDE!

  5. l-carraro dit:

    J’accepte le débat, y compris quand il contient de forts aspects idéologiques, mais je n’accepte pas les chiffres fantaisistes.
    Je vous suggère d’examiner l’excellent RERS (Repères et Références Statistiques) dans sa dernière livraison de 2013, page 267, publié sous la responsabilité des Ministères en charge de l’enseignement supérieur et de l’éducation nationale.
    On y parle de la réussite en licence et on y voit que la réussite en 4 ans en licence est de 39% (27,1% de réussite en 3 ans) pour la dernière cohorte observée, soit celle de 2007. Cette réussite a malheureusement tendance à se dégrader lentement au fil du temps, mais elle n’est pas impactée par le domaine d’études choisi en L1. Elle est par contre très fortement dépendante du milieu social de l’étudiant : de 31,6% pour les plus défavorisés à 44,9% pour les plus favorisés.
    Je vous invite également à étudier l’article page 212 qui donne des résultats sur une pannel de 12000 bacheliers 2008. Cette étude complète la précédente.
    Ces quelques éléments invitent me semble-t-il, non à se lancer des anathèmes, mais plutôt à regarder la réalité en face et tenter de réagir après l’avoir analysée.
    C’est en tout cas mon souhait le plus cher, loin des querelles picrocholines entre universités et grandes écoles, car l’enjeu est celui de la formation de la jeunesse.

  6. Cécile dit:

    Bonjour. Merci pour cet article. Je suis étudiante; je suis des cours de PCSI (http://www.optimalsupspe.fr) et je me sens concernée par ce sujet car il est temps de revoir tout le système éducatif pour ainsi suivre cours de la vie actuelle.

  7. Jean-Philippe dit:

    Moi qui suis en classes préparatoires je viens de lire un article d’un ancien élève d’école d’ingénieur qui donne son avis sur le système grandes écoles (https://groupe-reussite.fr/blog/2017/03/24/ecole-ingenieur-travail/), j’ai trouvé cela assez intéressant pour le partager.

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