Les grandes écoles et leurs alumnis

Il est de notoriété publique que j’ai connu ces derniers temps une période de très forte tension avec l’association des anciens élèves de mon école. Cela m’a d’ailleurs conduit à prendre la décision de ne pas solliciter un second mandat à la tête d’Arts et Métiers ParisTech (voir l’interview que j’ai donnée à Educpros).

Pourtant je reste convaincu de l’importance de réseaux d’alumnis forts et structurés, qui peuvent agir en support au développement des établissements. Ce billet, basé sur mes diverses expériences, va tenter de dégager quelques principes qui concernent au premier chef les écoles mais également les universités.

 Premier principe : le sentiment d’appartenance se construit au cours des études

Comme chacun le sait je suis universitaire, et mes diplômes initiaux ont tous été obtenus à l’Université Lyon 1. Dans ce cadre il ne m’est jamais venu à l’idée que je pouvais participer à une association de diplômés pour au moins deux raisons. Tout d’abord cette grande université scientifique regroupe des formations très variées sur des sites distants, avec le plus souvent des bâtiments dédiés à un secteur, ce qui n’aide pas aux interactions entre étudiants inscrits dans des UFR ou des départements différents. Avec actuellement 45000 étudiants inscrits, on conçoit que la constitution d’une identité commune n’est pas des plus simples.

Mais il est vrai également qu’au cours de mes études, je n’ai à aucun moment été sensibilisé au fait que la présence d’un réseau de diplômés pouvait être d’une quelconque utilité. A cette époque, je crois que de telles considérations ne venaient à l’esprit de personne, enseignants, personnels, étudiants. Je parle ici d’années assez lointaines, les années quatre-vingt, mais ma récente découverte du site de Lyon1 Alumni montre à l’évidence que l’activité de cette association reste très faible, et fort éloignée du potentiel donné par ses 10000 diplômés par an. Il est vrai que la lessiveuse institutionnelle dans laquelle les établissements sont plongés depuis quelques années ne simplifie pas outre mesure la tâche.

A l’autre extrémité du spectre on retrouve bien sûr l’école des Arts et Métiers. L’attachement à un réseau d’élèves et d’anciens élèves se construit dès l’arrivée à l’école et, de ce point de vue, la si décriée Période de Transmission des Valeurs (anciennement usinage) contribue de façon déterminante à cette prise de conscience. Comme le rappelait un ancien président de l’association des ingénieurs Arts et Métiers, la force de celle-ci n’est pas due au hasard ou à une alchimie mystérieuse ; elle est le résultat d’un process. En d’autres termes la pertinence d’un réseau de diplômés se construit dans les esprits au cours des études, et ceci à travers des occasions multiples : activités étudiantes, préparation à l’emploi, aide ponctuelle à la vie de chacune et chacun, invitations diverses, attribution de bourses… C’est cette capacité à accompagner au quotidien la scolarité des étudiants qui rend palpable et concrète l’intérêt d’un réseau d’anciens. Et dans ces conditions un cercle vertueux commence à s’enclencher, car le réseau se renforçant augmente ses capacités d’action, offre davantage de services, et donc son pouvoir d’attraction de développe.

Deuxième principe : les alumnis pour les alumnis

Mais le process précédent que j’ai très rapidement esquissé induit un risque majeur. Tel que décrit précédemment on observe que les diplômés se préoccupent beaucoup des étudiants, ce qui peut les détourner de l’objet principal d’une association d’anciens élèves qui est d’offrir des opportunités et des services à ses membres.

A partir de là, et c’est une chose particulièrement ancrée à l’association des alumnis des Arts et Métiers, il est aisé de glisser du support à la vie étudiante à l’intervention sur les questions pédagogiques, puis à la vie de l’établissement dans son ensemble. Je ne conteste pas ici la présence de l’association des alumnis dans les instances de l’établissement – elle me semble indispensable, saine et salutaire – mais remet en cause bien davantage la volonté de s’immiscer dans la vie quotidienne. Cette dérive est tout à fait notable si l’on se réfère aux statuts de cette association. On y lit que ladite association, outre des objectifs usuels autour de l’aide à ses membres à pour but « d’assumer auprès des Pouvoirs Publics une mission d’auxiliaire pour l’étude de tous les moyens propres à :

– orienter vers l’Ecole un recrutement de qualité,

– accorder sans cesse son enseignement à l’évolution des sciences et des techniques,

– faciliter aux élèves l’accès aux compléments de culture dans tous les domaines de la formation générale de l’ingénieur « 

On voit là que l’association, dans son objet, ne se contente pas d’aider l’école lorsque cette dernière lui demande ou de participer aux réflexions sur la stratégie de l’établissement mais se considère comme légitime pour intervenir sur des questions d’orientation ou de formation.

Il nous semble qu’un équilibre doit être trouvé pour que les actions essentielles d’une association d’alumni se focalisent sur les services aux alumni, tout en développant des actions vers les étudiants.

Troisième principe : l’établissement est le pivot du système

Maintenir cet équilibre n’est pas chose facile, notamment du fait que si les actions réalisées au cours des études sont insuffisantes, la dynamique vertueuse ne sera pas au rendez-vous. A contrario si ces actions se multiplient et s’amplifient elles risquent de déborder sur l’activité de formation des étudiants, voire sur celle de l’établissement. Dans un tel cas le risque majeur est d’ailleurs celui de voir des étudiants déboussolés, se tournant vers les alumni pour guider leur avenir au détriment de l’établissement dont c’est la raison d’être.

C’est la raison pour laquelle l’établissement doit rester maître de l’ensemble de ses dispositifs pédagogiques, y compris et surtout pour ce qui concerne l’interface avec le monde de l’entreprise : conférences de professionnels, propositions de projets et de stages, contrats industriels, promotion de l’établissement, accompagnement professionnel des étudiants… Dans tous ces cas c’est à l’établissement de spécifier et cadrer ce qu’il entend faire.

Mais spécifier et cadrer ne signifie pas agir seul. Les alumni interviennent là en mettant leurs compétences au service des actions engagées par l’établissement au profit de ses étudiants. C’est là qu’un cercle vertueux peut s’enclencher, permettant aux trois acteurs d’interagir avec profit :

– l’établissement met la capacité de ses alumnis au service de son développement et de la qualité de sa foramtion

– les étudiants profitent d’une formation dynamisée par l’intervention des alumnis, et en comprennent la pertinence

– les alumnis trouvent un lieu d’intervention favorable qui leur permet en outre de renforcer leur réseau

Ces quelques principes n’ont pas pour ambition de faire théorie, mais ils sont de bon sens. Force est de constater que dans de nombreux établissements, tant universités qu’écoles diverses, nous en sommes encore loin – pour des raisons fort variées et quelquefois opposées -. S’ils peuvent être utiles à certains, j’en serais tout à fait ravi.

 

 

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Article du on vendredi, novembre 25th, 2016 at 10:47 dans la rubrique Non classé. Pour suivre les flux RSS de cet article : RSS 2.0 feed. Vous pouvez laisser un commentaire , ou un trackback sur votre propre site.

Un commentaire “Les grandes écoles et leurs alumnis”

  1. Claude ROCHE dit:

    Visiblement l’auteur hésite entre « alumni » et le barbarisme « alumnis ». Alumni est un pluriel, ce qui donne tout son sel à la phrase où Sinclair Lewis, pour ridiculiser son héros Babbitt, lui fait dire « The U. is my own Alma Mater, and I am proud to be known as an alumni »

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