Le système de formation en ingénierie – un dispositif à faire évoluer globalement

Le précédent post posait quelques éléments du constat relatif au dispositif de formation en ingénierie, tel que j’ai pu le faire au printemps dernier.

Il s’agit ici, tout en rendant public mon rapport, d’expliciter les grandes lignes qui sous tendent les propositions faites. Je reviendrai dans d’autres billets sur des points particuliers qui font débat, de manière justement à alimenter ce dernier.

On a vu lors du constat combien les dispositifs de formation étaient fragmentés et hétérogènes. On a vu également que les liens avec l’emploi méritaient de progresser, puisque les questions de sortie professionnelle au niveau intermédiaire et de besoins d’ingénieurs étaient mal traitées. Ces éléments, qui ne constituent pas un fait nouveau, deviennent extrêmement préoccupants à l’heure où les économies se transforment en profondeur sous la pression des technologies, en premier lieu numérique, mais également pour des raisons écologiques et sociales qui se font chaque jour plus prégnantes.

Sur ces questions on notera que le rapport du Conseil d’Orientation pour l’Emploi, publié en plusieurs temps (tome 1, tome 2 et tome 3 à venir) indique que la moitié des emplois existants verrait son contenu notablement ou profondément transformé par les évolutions technologiques. On remarquera d’ailleurs que l’étude montre que les enseignants font partie de cette population. Par ailleurs, l’évolution des compétences des actifs impliquée par ces transformations est centrée sur deux aspects. Le premier qui vient immédiatement à l’esprit est celui de l’augmentation des compétences numériques, nécessaires pour vivre dans un monde digitalisé. Le second est centré sur les compétences sociales (travail en équipe, intelligence sociale), situationnelles (autonomie, apprendre à apprendre), ainsi qu’en littératie et numératie, ces dernières concernant moins les niveaux de qualifications post bac.

En d’autres termes la structure de l’économie et celle de l’emploi sont engagées dans une transformation aussi rapide que profonde. Face à cela, la structure éducative dans son ensemble doit accompagner le mouvement, voire l’anticiper si l’on pense aux attendus de l’enseignement supérieur.  Cette nécessité a dirigé l’ensemble des préconisations faites, qui visent à une transformation globale, centrée sur le métier, du système de formation supérieure en ingénierie.

Pour cela les différentes parties prenantes ont toutes une responsabilité éminente et doivent agir, car le temps est compté.

L’État tout d’abord qui est garant de la cohérence d’ensemble, et doit se saisir de quelques sujets brûlants : carrière et mobilité des enseignants-chercheurs, pilotage et évaluation des formations dans leur ensemble (CPGE et BTS ne sont par exemple pas gérées à ce jour comme des formations du supérieur), rééquilibrage entre formation initiale et formation professionnelle, sortie professionnelle au niveau intermédiaire bac+2/bac+3.

Les organisations qui regroupent des acteurs du monde éducatif : CPU, CDEFI, CGE bien sûr mais également ADIUT, Figure, CDUS… Ces organisations ont tout intérêt à réunir leurs forces, en sortant des débats de positionnement habituels, pour réfléchir aux évolutions du système de formation et à ses interactions avec le monde socio-économique.   De telles réflexions, centrées sur les compétences des jeunes formés et non sur les questions institutionnelles, favoriseraient en outre le décloisonnement des acteurs.

En outre la querelle franco-française, on pourrait dire picrocholine en revenant à Rabelais, autour de l’ingénieur diplômé et du diplômé ingénieur doit cesser ! En particulier il semble essentiel que Figure porteur des masters d’ingénierie, les écoles d’ingénieurs et la CTI engagent des discussions pour clarifier la situation et sortir par le haut de la configuration actuelle marquée par des précautions de langage, du type « nous formons des ingénieurs mais nous ne diplômons pas des ingénieurs », qui pourraient au mieux faire sourire en d’autres temps.

Les établissements ou regroupements d’établissements ont une responsabilité forte puisqu’ils constituent les acteurs premiers du système. Ils ont des marges de manœuvre pour favoriser la mobilité de leur personnel enseignant, et doivent les utiliser. Ils ont également des possibilités de mise en valeur de leurs enseignants particulièrement efficaces, inventifs, impliqués. Et bien qu’ils le fassent et en même temps le fassent savoir, sans attendre tout de l’État.

Leur mode de relation avec la sphère économique doit également se transformer de manière à faire évoluer leurs cursus avec souplesse et réactivité. Car si l’on regarde derrière le rideau, la situation est souvent préoccupante quoi qu’en disent les acteurs. Les conseils de perfectionnement ou toute autre instance prospective et ouverte sur employeurs et syndicats de salariés doivent être généralisés à une échelle ou une autre, et leurs conclusions suivies de faits. Sur ce point l’échelle du territoire et de ses besoins en termes d’emploi semble particulièrement pertinente et pourrait également contribuer au rapprochement des acteurs.

Les enseignants enfin sont en première ligne pour permettre aux jeunes diplômés de développer les compétences scientifiques et techniques, sociales et humaines, la capacité à prendre des risques, la résilience dont ils auront besoin pour construire et transformer l’entreprise demain. De ce point de vue, leur propre capacité à prendre des risques, à comprendre les besoins de leurs étudiants, à inventer, leur mobilité intellectuelle ou professionnelle, constitue un facteur clef de succès. Rappelons en effet que former c’est créer pour l’autre.

En conclusion de ce billet, je me permets d’insister sur le fait que mon rapport ne prétend pas à la parfaite adéquation de toutes les recommandations faites, rappelons qu’il s’agit du travail de 6 mois d’une personne seule. Il prétend par contre sensibiliser tous les acteurs à l’urgence de la situation et au dépassement des clivages et habitudes de pensée, et leur donner des pistes pour l’action.

L’avenir du pays dépend de notre capacité collective à nous dépasser mais tout autant à nous réunir… le lecteur comprendra que je ne parle là que des acteurs de la formation supérieure en ingénierie !

Tags: , , , , , ,

Article du on vendredi, novembre 10th, 2017 at 15:24 dans la rubrique Non classé. Pour suivre les flux RSS de cet article : RSS 2.0 feed. Vous pouvez laisser un commentaire , ou un trackback sur votre propre site.

4 commentaires “Le système de formation en ingénierie – un dispositif à faire évoluer globalement”

  1. mal-pensant dit:

    Les universités scientifiques d’un certain poids ont su développer des écoles internes d’ingénieurs qui ont décroché l’habilitation CTI sans difficulté (ce qui prouve bien qu’elles savent faire) et bien avant que les CMI (qui ne parviennent toujours pas à trouver leur public) ne soient inventés. Le CMI c’est un pur assignat universitaire qui n’a été créé que pour tenter de siphonner les écoles. Leur création de toute pièce a introduit encore plus d’incohérence. Voilà une formation qui n’a pas de vivier, pas de reconnaissance, pas de débouchés identifiés, la cohérence ce serait de les refermer au plus vite.

  2. caracou dit:

    Bonjour
    Je vous remercie d’avoir relevé les faibles taux de réussite dans les BTS et les UT (1/4 environ d’échec dans les 2 cas), dont on ne parle jamais, les licences générales étant un bouc émissaire tellement plus facile à mitrailler… en mettant en exergue que ce n’est pas la formation supérieure qui est en défaut, ni le processus de sélection (BTS / DUT) ou de non sélection (Licence) puisque pour chacune d’entre elle, c’est essentiellement la typologie du bac (général, technologique, professionnel) qui est le déterminant de la réussite ou de l’échec (même si cela n’est pas dans les mêmes proportions).
    Par ailleurs j’apprécie votre analyse demandant le décloisonnement, la réflexion collective, mais si l’échelon local est pertinent pour nombre de ces dialogues, sans une volonté politique nationale forte de faire dialoguer les silos de formation (BTS, DUT, CGPE, écoles et universités) je crains que les défenses identitaires soient encore les plus fortes. J’ai noté des avancées courageuses sur le statut des EC mais là encore c’est une révolution qu’il serait urgent d’accomplir pour que le corps enseignant ne se sclérose pas davantage qu’il ne l’est déjà….
    Enfin vous proposez une lecture vraiment transversale d’un système très complexe… que l’on perçoit bien lorsqu’on y est immergé mais, qui ici exposé, illustre parfaitement la difficulté d’appréhension pour les parties prenantes (élèves et familles, entreprises et collectivités) et qui propose des orientations par touches successives intéressantes… Comment ce sera lu et/ou pris en compte par notre actuelle DGESIP reste à voir…

  3. Stan dit:

    @mal-pensant: Vous portez bien votre pseudo. Quelle cohérence à fermer les CMIs ? Celle d’un système unique au Monde, avec d’un côté la formation à la recherche à l’université et de l’autre la formation à l’ingénierie au sein des écoles d’ingénieurs ? A une heure où on déplore le manque de connexion entre recherche et industrie, l’absence de formation à la recherche des ingénieurs français et où on pointe l’innovation comme étant la clé de la compétitivité industrielle, peut-être faudrait-il effectivement s’affranchir de ces attitudes conservatrices d’un autre âge come celle que vous illustrez si bien afin d’entamer une réflexion où l’efficacité du système serait l’objectif. La formation CMI propose une vraie formation d’ingénieur, suivant la charte EUR-ACE, avec une formation à la recherche en sus. Quel est l’intérêt de lui refuser l’étiquette CTI ? Le vôtre, celui de ceux qui protègent leur pré carré. Est-ce l’intérêt de l’industrie de chasser des candidats potentiels à une telle formation par le fait qu’elle ne délivrera pas le titre CTI ? J’en doute. C’est un peu comme si on interdisait aux étudiants des grandes écoles d’ingénieurs de poursuivre en thèse, par principe, pour protéger le pré carré des universités. Tout aussi contre-productif. Le système idéal consisterait à un guichet unique de 2 ans après le bac puis choix d’un année de professionalisation ou poursuite d’études avec une formation à l’ingénierie, avec formation à la recherche qui pourrait être approfondie par une thèse. Mais là où les anglo-saxons ont un type d’établissement d’enseignement supérieur, nous en avons au moins 5 qui de surcroit se font la guerre (lycees, universites, écoles d’ingénieurs, IUTs, établissements privés de toute nature). Pas simple.

  4. mal-pensant dit:

    @stan : on voit mal pourquoi les universités, en mal de candidats de valeur en thèse, particulièrement dans les domaines scientifiques, se priveraient des quelques ingénieurs, généralement bien formés sur le plan scientifique, qui envisagent de poursuivre en thèse; tout comme d’ailleurs on ne voit pas pourquoi les écoles d’ingé se priveraient de recruter les meilleurs étudiants de L3 qui ne voient vraiment pas de débouché suite à un CMI.

Laisser un commentaire