la formation des cadres techniques et la filière technologique
Le texte ci-après reproduit mon intervention lors d’une audition publique organisée par l’OPECST le 6 octobre dernier autour du thème : « Quelles perspectives pour la formation des scientifiques et des ingénieurs en France ? ». Le programme est accessible ici et la vidéo là.
Le débat qui nous rassemble concerne la formation des scientifiques et des ingénieurs. Permettez au mathématicien que je suis, formateur d’ingénieurs depuis plus de 25 ans, d’attirer votre attention sur le fait que les deux publics – scientifiques et ingénieurs – sont très différents. Et pourtant leurs qualités professionnelles constituent toutes deux des enjeux clé pour l’avenir du pays.
Mon intervention est centrée sur la formation des ingénieurs dont les compétences par leur amplitude, et non par leur profondeur, dépasse de loin celle des scientifiques. Car un ingénieur doit intégrer des contraintes extrêmement variées pour assumer avec satisfaction ses fonctions : techniques certes, mais également contraintes économiques, humaines, sociales… Ce sont les soft skills à comparer aux hard skills.
Notre pays souffre depuis de nombreuses années d’une désaffection des sciences nous le savons, mais plus encore des formations technologiques. Ceci alors que les jeunes générations sont techno addict !
De ce fait, et tenant compte des interventions précédentes, mon propos – sans délaisser l’enjeu fort d’une formation scientifique de qualité, avec le temps d’apprentissage que cela nécessite – se concentrera sur la filière de formation technologique.
Commençons par le bac technologique.
Entre 2000 et 2015 le nombre de bacheliers S est passé de 136000 à 167000 (+23%) alors que celui des bacheliers STI2D est passé de 36000 à 27000 (-25%) pour des taux de réussite identiques en 2015.
Concernant les études d’ingénieurs on voit que 7% seulement de titulaires d’un bac STI2D accède à une formation d’ingénieurs – et je me dois d’observer que les meilleures écoles d’ingénieurs évitent ce genre d’étudiants – alors que c’est le cas de 18% des bacheliers S, dont les débouchés sont très variés.
Dans ces conditions, que faire pour fournir au pays les professionnels et cadres techniques dont les entreprises ont besoin ? La loi ESR de juillet 2013 a largement abordé cette question, mais il nous semble que nous ne sommes pas encore parvenus à un équilibre raisonnable des flux dans le système de l’enseignement supérieur français passablement fragmenté.
Sur ce point nous sommes convaincus qu’en complément de la filière scientifique qui fait la renommée de notre pays la filière de formation technologique doit être mieux structurée.
Il est essentiel de reconstruire un continuum permettant à des jeunes passionnés par la technologie davantage que par la science de trouver une voie valorisée et valorisante, à la formation attractive, aux débouchés avérés, la filière technologique, qui se dégage dès la classe de seconde.
La pédagogie qui s’y développe doit être une pédagogie intégrée, qui permette aux jeunes d’aborder les problématiques complexes que posent les questions de technologie.
Ayant cela en tête nous avons créé aux Arts et Métiers en septembre 2014 un bachelor de technologie, qui s’adresse spécifiquement aux bacheliers STI2D, leur offre une formation professionnalisante exigeante de 3 ans, gouvernée par la réalisation de dispositifs techniques issus du quotidien (éoliennes, drones…), en leur permettant d’approfondir dans la durée leurs connaissances scientifiques. Cette pédagogie impose à nos enseignants de cesser de fonctionner en silo, mais bien davantage en équipes pluridisciplinaires, offrant ainsi un environnement et une dynamique d’apprentissage beaucoup plus proche de celle que les jeunes découvriront dans l’entreprise. Il faut bien noter que cette pédagogie est couteuse, exigeante, avec des moyens d’accompagnement significatifs
Cette formation est conçue comme un prolongement naturel du bac STI2D, offrant une réelle sortie professionnelle, tout en permettant une poursuite d’études vers une formation d’ingénieurs. A cet effet un processus de recrutement spécifique à destination de nos filières d’ingénieurs est organisé.
Cette initiative rencontre un fort succès auprès des jeunes bacheliers technologiques, pour plusieurs raisons.
La renommée de notre établissement joue évidemment, de même que la perspective pour certains de poursuivre dans une de nos formations d’ingénieurs. Mais jouent tout autant la perspective d’études sécurisées, avec sortie professionnelle après 3 ans, de même que l’attrait pour une pédagogie active, largement tournée vers l’action, qui donne du sens à leur apprentissage
Il faut noter que la création ex nihilo de cette formation a donné un espace de liberté à nos enseignants-chercheurs dont il se sont saisi avec enthousiasme, ce qui augmente évidemment l’engagement des étudiants. Ceci malgré un système de recensement des activités de formation de nos enseignants-chercheurs totalement sclérosant et obsolète.
Le danger que nous rencontrons à ce jour est celui du trop grand succès, et donc de la trop grande sélectivité de notre initiative. C’est pourquoi il nous semble essentiel que d’autres participent à cette constitution d’une filière de formation technologique forte et lisible, nos travaux par exemple sur le site d’Angers avec une collaboration exemplaire avec l’Université et son IUT montrent que c’est possible, quel que soit le type d’acteur.
Dernier point, cette formation valorise la prise de risque, et donc accepte et valorise l’échec, cela doit devenir une composante essentielle de notre système éducatif.
En conclusion, le système actuel de formation des scientifiques et des ingénieurs mise tout sur la filière scientifique en dépréciant de fait la filière technologique. Il est temps de dynamiser la filière technologique afin, qu’avec des flux équivalents et des débouchés plus variés, elle donne les mêmes chances de réussite.