Les Ecoles et les Universités : quel avenir en formation continue ?

Les grandes Ecoles et les Universités doivent-elles développer leurs activités de Formation Continue ?

Qu’auraient-elles à faire dans un secteur économique déjà structuré, dont le chiffre d’affaires représente plusieurs milliards d’euros, et qui s’organise autour d’acteurs majeurs publics (réseau des GRETA, CNAM …) et privés (CEGOS, DEMOS etc …).

La Formation Continue semble relever soit de l’action de l’Etat, soit du pur business ; en tous cas d’univers éloignés de l’enseignement supérieur.

La question est d’actualité pour la plupart des écoles d’ingénieur et des universités, chez qui les activités de Formation Continue restent souvent marginales.

Et pourtant, cette question n’en est déjà plus une pour les plus grandes Business Schools en France, qui réalisent des chiffres d’affaires importants en Formation Continue (plus de 50 Meuros pour HEC, près de 25 M euros pour l’ESSEC). Le succès des Executive MBA’s a contribué à asseoir la légitimité de ces écoles dans la formation tout au long de la vie.

La question est également traitée dans d’autres pays européens, tels que le Royaume Uni, où les Universités disposent de départements importants en Executive Education.

A première vue, beaucoup d’arguments militent pour dire que les Ecoles et Universités ne doivent pas se disperser, voire se perdre, dans la Formation Continue.

– C’est une activité qui demande des compétences très spécifiques qui sont rarement disponibles dans les Ecoles. Des compétences de gestion de projet, pour les formations intra ; des compétences de marketing et de vente, pour savoir remporter des affaires dans un environnement très concurrentiel. Une capacité de vitesse, réactivité, notamment pour répondre aux appels d’offres, souvent peu compatible avec le « temps long » de la recherche …

Si l’on questionne plus profondément ce qui fait la spécificité de la formation continue, on se rend compte que les clients demandent un type de formation qui ne rejoint que partiellement les pratiques académiques. A Centrale Paris, les clients nous ont indiqué qu’une formation continue portée exclusivement par des enseignants de profil académique leur paraîtrait coupée de la réalité, traditionnelle, ennuyeuse. Ils attendent aussi, en sus des professeurs de l’Ecole, des formateurs de légitimité professionnelle, capable de développer des pratiques pédagogiques innovantes.

Ces formateurs doivent être capables de répondre dans l’urgence à un appel d’offre, d’être réactifs et très orientés clients. Ce type de posture n’est pas forcément partagé par l’ensemble de nos collègues.

Les universités se lancent souvent dans la formation continue afin de générer des financements. Cela se révèle souvent décevant, car ce secteur, soumis à une forte concurrence, génère des marges assez faibles. Une activité complète de formation continue peut dégager, les bonnes années, une marge avant impôts de l’ordre de 10%, dont une partie doit être réinvesti dans le développement de l’activité. L’apport au financement de l’Ecole sera par conséquent assez marginal.

Et pourtant de plus en plus d’écoles d’ingénieur et d’universités investissent le champ de la formation continue ; Centrale Paris s’est par exemple fortement développée dans ce champ depuis 4 ans. Les Business Schools connaissent de fortes croissances. Les pouvoirs publics ne cessent d’inciter les universités à s’y lancer.

Alors pourquoi ?

A l’analyse, on se rend compte que la formation continue peut, si elle est bien pilotée, apporter beaucoup à une institution ; sa valeur ajoutée va beaucoup plus loin que le simple apport de financement. Plusieurs points méritent d’être soulignés :

Tout d’abord, la formation continue en établissement d’enseignement supérieur répond à une demande sociétale très forte, pour un service pour lequel ces établissements sont perçus comme légitimes : délivrer des formations certifiantes pour les adultes.

Les carrières de plus en plus longues, la frontière de plus en plus floue entre études et vie professionnelle (carrément gommée dans le cas de l’apprentissage) suscitent une demande croissance de formations lourdes en cours de vie, reconnues (et visibles dans un CV), et permettant des progrès visibles dans la carrière. Les entreprises, initialement méfiantes devant un dispositif favorisant la mobilité des meilleurs, sont maintenant de plus en plus partantes.

Du coup la marque devient décisive : qui d’autre que Centrale Paris peut délivrer un Executive Certificate (formation de 15 à 25 jours) sanctionnée par un certificat ? Certification qui est de plus est reconnue comme titre de niveau I au RNCP.

Cette tendance amène les institutions d’enseignement supérieur à s’interroger en profondeur sur leur cœur de métier : devons-nous limiter notre mission à la formation des jeunes ? La formation des adultes ne fait-elle pas partie de nos missions fondamentales, au même titre que la formation initiale et la recherche ? Les textes officiels nous y incitent d’ailleurs.

En outre, la formation continue est un moyen privilégié pour les institutions de favoriser la promotion sociale ; dans un contexte où les écoles sont fortement interrogées sur leur caractère élitiste, la formation continue diplômante permet de délivrer des certificats, diplômes d’établissement, certifications RNCP, voire diplômes d’Etat, à des personnes ayant une formation initiale courte, mais un parcours professionnel démontrant leur capacité à accéder à des diplômes du meilleur niveau.

Enfin, je suis persuadé que la Formation Continue sera la matrice d’une partie de l’innovation dans l’enseignement supérieur.
Les manières d’enseigner demain seront probablement très différentes de celles d’aujourd’hui : réduction du présentiel, changement du rapport entre professeurs et étudiants, animation de communautés éducatives, cours dématérialisés en e-learning, enseignement à distance, plateformes collaboratives, wiki-éducation …
L’ensemble de ces évolutions reposera probablement sur une utilisation des nouvelles technologies afin de mieux utiliser le potentiel d’apprentissage des étudiants, en collant mieux coller à leur manière d’apprendre.

Et la Formation Continue, lieu soumis à la concurrence, lieu d’exigence car les stagiaires adultes n’hésitent jamais à challenger leur professeur, sera probablement l’endroit par lequel cette innovation passera.

C’est en effet là que l’étudiant est réellement dans une posture de client, qu’il inverse la proposition éducative : s’il échoue, c’est que la formation n’était pas adaptée …

On voit déjà dans les département de formation executive des grandes écoles des initiatives très intéressantes : mises en situation, serious games, intéractivité forte, retours d’expérience, utilisation des nouvelles technologies pour répondre à des contraintes logistiques spécifiques (cours du soir, activités projet entre des acteurs dispersés, programmes internationaux …)
Citons à titre d’anecdote significative l’ESSEC, qui offre à ses étudiants de l’executive MBA un Ipad en début de formation, contenant l’ensemble de la documentation pédagogique.

On le voit : la formation continue pour les établissements d’enseignement supérieur porte des enjeux fondamentaux, bien au-delà d’une simple contribution financière. Elle apparaît de plus en plus comme une part intégrante de leur activité, et souvent pas la moins dynamique.

This entry was posted on lundi, avril 9th, 2012 at 22:07 and is filed under Non classé. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

7 Responses to “Les Ecoles et les Universités : quel avenir en formation continue ?”

  1. Marc Traverson Says:

    Bonjour,

    merci pour votre blob et cette réflexion stimulante. La formation initiale pourra certainement bénéficier, par « rétroaction », des avancées de la formation continue, et des enjeux différents qui y sont attachés.

    Par ailleurs, vous soulignez le potentiel d’innovation dans les approches de la formation, en particulier par la mise en oeuvre de pratiques collectives et participatives « décadrantes », faisant appel à des zones du cerveau différentes de celles qui sont tellement sollicitées dans les écoles d’ingénieur (au risque de fabriquer de brillants hémiplégiques cognitifs…).

    Cordialement

  2. les-nouveaux-modeles-economiques-de-l-enseignement-superieur Says:

    merci pour ce commentaire.
    Vous soulignez un point auquel je crois très fort : la formation permanente, qui s’adresse à des publics mûrs, plus réactifs, et ayant une expérience terrain, est amenée à développer des pratiques pédagogiques parfois plus complètes que la formation initiale.
    l’aiguillon de la demande en quelque sorte ….

  3. Jérôme Maes Says:

    Merci pour cette publication.
    Je reste un fervent convaincu de la nécessaire collaboration entre les établissements de l’enseignement supérieur et les sociétés « privées » de formation continue. Ne parlons pas de concurrence, mais plutôt de complémentarité.

    Bien à vous.

  4. les-nouveaux-modeles-economiques-de-l-enseignement-superieur Says:

    J’en suis un convaincu Jérôme !

  5. Catherine GOUTTE Says:

    Le monde de la formation continue est à regarder de façon étendue et ne se limite pas à deux catégories d’acteurs que seraient les établissemnts d’enseignement supérieur et les organismes privés de formation.
    Pensons aux pure player eleaning, aux plateformistes (LMS) qui mettent à disposition de leur client des solutions formation pré-sélectionnées, au cours du MIT en accès libre,aux applications gratuites et payantes mobiles et regardons enfin le dernier né de la FNAC : »labo FNAC formation », qui met rend la formaiton continue accessible au grand public pour 149 €
    La formation est un univers quasi infini.

  6. les-nouveaux-modeles-economiques-de-l-enseignement-superieur Says:

    oui : c’est un univers en pleine mutation. Un tour d’horizon international permettrait d’allonger cette liste

  7. Découvre la Newsletter N°3 d'Auriga, éditeur d'ERP et solutions de gestion pour l'enseignement supérieur et la formation continue | Auriga Says:

    […] D'ailleurs, de nombreuses études démontrent, chiffres à l'appui que la formation continue dans l'enseignement supérieur est un secteur en progression. L'analyse montre que des disparités existent quant à la place concédée à la formation ….  […]

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