Selon les textes officiels, la formation continue est l’une des missions fondamentales des établissements d’enseignement supérieur ; leur rôle est en effet d’accompagner l’évolution des compétences des personnes qu’elles forment, tout au long de leur vie professionnelle ; l’importance de cette mission s’accroît d’ailleurs aujourd’hui, du fait de l’allongement des carrières, et de leur caractère de plus en plus évolutif.
Chacun de nous est probablement appelé à avoir plusieurs vies professionnelles en une.
Et pourtant, la majorité de nos enseignants chercheurs sont peu habitués à faire de la formation continue. Il y a bien sûr des exceptions : dans quelques grandes business schools, certaines écoles d’ingénieurs et universités …
Mais globalement, parmi les grandes missions d’un enseignant chercheur, la mission de formation continue est peu développée.
Quand un établissement d’enseignement supérieur souhaite faire croître de manière pro active ses activités de formation continue, sur quel corps enseignant peut-il s’appuyer ?
Doit-il partir du principe que l’ensemble des formations continues est réalisé par les enseignants-chercheurs statutaires ? Ou s’autorise-t-il à faire appel de manière plus ou moins large à des intervenants professionnels extérieurs, de type vacataires ou sous-traitants ?
Cette question est loin d’être anecdotique ; pourquoi recouvre-t-elle un enjeu important ?
– dans un premier temps, le bon choix en matière d’intervenant conditionne la réussite ou l’échec de l’établissement en formation continue ; la formation continue est en effet un secteur concurrentiel. Choisir un corps de formateurs inadapté, insuffisamment réactif ou disponible, est se condamner à l’échec. Dans ce domaine, éminemment commercial, la première sanction est celle du marché et des clients.
– Ensuite, le choix conditionne aussi l’acceptabilité interne de la formation continue, activité habituellement peu considérée par nos collègues. Faire reposer ces activités uniquement sur des enseignants externes présente le risque de créer une entité totalement séparée de l’établissement, et qui au fond n’intéressera pas grand monde et ne contribuera pas à la transformation de l’établissement.
Quels arguments militent pour un recours principal sur les enseignants chercheurs de l’établissement ?
– Les enseignants disposent d’une base de ressourcement unique : la recherche. C’est ce qui fait leur spécificité par rapport aux formateurs externes de type consultants. Un chercheur qui fait de la formation continue en management de projet, par exemple, pourra (schématiquement) présenter des approches très expérimentales, innovantes dans ce sujet, basées sur des cas récents ou des approches encore émergentes Un formateur sans ce type de ressourcement s’appuiera davantage sur des méthodes anciennes, diffusées et parfois périmées.
– Les entreprises perçoivent généralement la valeur de ce ressourcement recherche ; quand elles sollicitent une école ou une université, c’est pour trouver un service différent de ce que proposent les sociétés de formation ; elles attendent par conséquent des formateurs différents.
– S’appuyer sur les enseignants chercheurs est la garantie du bon alignement thématique de la formation continue sur l’établissement, les sujets de formation étant naturellement alignés sur les domaines d’expertise des laboratoires de l’établissement.
Quand Supélec propose des formations continues, c’est sur des thématiques dans lesquelles ses laboratoires sont très reconnus.
– Enfin, l’un des enjeux très prosaïques de la formation continue est de permettre aux enseignants chercheurs d’améliorer leurs rémunérations, si le modèle de rémunération de l’établissement leur permet de cumuler leur rémunération de base et des prestations de formation continue. A l’heure où nos établissements souhaitent accroître leur attractivité vis-à-vis des meilleurs enseignants chercheurs, c’est un enjeu important.
Tout cela plaide pour une formation continue reposant principalement sur le corps enseignant de l’établissement.
Et pourtant cela ne marche pas toujours. Centrale Paris, par exemple, a tenté au milieu des années 2000 un développement de sa formation continue sur ces bases, et a échoué. Ce qui nous a amenés à modifier fondamentalement notre perspective.
A quels obstacles nous sommes-nous heurtés ?
– Le manque de disponibilité. Lors qu’un client grand compte émet un appel d’offre, et demande une proposition complète sous 10 ou 15 jours, il est rare que les enseignants puissent se libérer aussi vite dans le temps imparti. Le rythme de la formation continue commerciale, fait de coups et d’à-coups, n’est pas le même que celui de l’enseignement supérieur, dont les programmes et engagements se construisent des mois à l’avance.
La formation continue suppose une disponibilité pour le client, une souplesse dans les organisations, dont nos établissements, organisés pour gérer un environnement stable dans la durée, sont souvent dépourvus.
– Les clients eux-mêmes, entreprises et particuliers, demandent une approche distincte de celle des enseignements classiques ; moins d’enseignement ex cathedra, plus de mises en situation, des pédagogies plus ludiques, un lien étroit avec le monde professionnel … Face à des enseignants chercheurs ils craignent de se retrouver à l’école, et de s’y ennuyer …
Le client est difficile : il veut bénéficier de tous les apports de la recherche, mais surtout ne pas avoir des cours comme quand il était à l’université …
Comment faire ?
Chaque établissement trouve son système ; l’équilibrage est subtil, car certains enseignants chercheurs auront le bon profil pour la formation continue, et d’autres non.
A Centrale Paris, nous avons fait le choix de recourir aux intervenants extérieurs pour la plus grande part du présentiel, mais de réserver aux enseignants de l’établissement les principales fonctions stratégiques.
Les enseignants se focalisent sur la conception, les ressources humaines, le contrôle qualité, la certification. Toutes fonctions dans lesquelles ils excellent, et qui sont suffisamment récurrentes pour ne pas exiger une réactivité au quart d’heure incompatible avec leur organisation de travail.
– Conception des programmes : les enseignants définissent l’architecture globale des grands programmes de formation. Ainsi, les responsables de programmes à Centrale Paris (Management de la Supply Chain, Management des Systèmes d’Information, Qualité, Innovation…) sont des enseignants étroitement liées à un laboratoire, et très au fait des dernières avancées de la recherche.
– Ressources humaines : la sélection des intervenants issus du monde professionnel est faite par et avec les responsables de programmes, qui sont des enseignants. Nous pouvons ainsi nous assurer d’une sélection rigoureuse, et surtout d’un bon alignement sur les priorités thématiques de l’établissement.
– Contrôle qualité : les enseignants assurent la supervision des programmes proposés par les intervenants professionnels, prennent des initiatives pour modifier les thèmes en fonction des avancées de la recherche, réagissent aux évaluations et font des propositions correctives.
– Certification : les programmes certifiants ou diplômants donnent lieu à remise d’un certificat qui engage l’établissement ; ce processus de certification est validé ou supervisé par un enseignant chercheur, garant de la marque de l’établissement.
En revanche, la majorité des activités qui sont en interface directe avec les clients (avant vente, propositions commerciales, et ensuite production des formations) repose en majorité sur des intervenants professionnels ; cela garantit ainsi la réactivité, l’orientation client, le caractère très opérationnel des formations et des cas proposés ; et permet aussi laisser une large part à l’innovation pédagogique et l’expérimentation (e-learning, modalités ludiques …)
Peu d’esprit de système dans tout cela ; tout est une question d’adaptation permanente.
Une conséquence pratique toutefois, dont il faut être conscient : nos établissements qui s’engagent résolument sur la voie de la formation exécutive s’exposent à voir émerger un corps spécifique de formateurs en formation continue, lié aux enseignants-chercheurs mais largement distinct. Ce corps de formateurs rejoint partiellement celui des vacataires et intervenants professionnels en formation initiale (professeurs associés, professeurs chargés de cours …), mais peut aussi être largement distinct.
Assurer une bonne intégration et une bonne coopération entre les 2 groupes deviendra un enjeu clef d’efficacité et d’harmonie pour nos établissements.
Ces éléments, très instructifs, rappellent que sans avoir les moyens adéquats, l’effort devient inutile.