Les grandes écoles détournent-elles les jeunes de la création d’entreprise ?

C’est un lieu commun souvent entendu: les grandes écoles détourneraient les jeunes français, et parmi eux ceux qui sont considérés comme une élite, de la création d’entreprise. Les Ecoles, par leur fonctionnement intrinsèque, décourageraient la création d’entreprise et porteraient une responsabilité lourde dans le déficit entrepreneurial de la France.

Au cœur de cette argumentation : nos grandes Ecoles seraient essentiellement focalisées sur les grands groupes, type CAC 40 ; leurs étudiants y sont tellement recherchés, qu’ils disposent d’une sorte de rente de situation en matière de débouchés (débuts de carrière rapides, salaires attractifs) ; cette rente les dissuaderait de créer leur entreprise.

A l’appui de cette thèse, on invoque souvent des facteurs de type culturel ; notamment :

Les classes prépas ne prépareraient pas à la prise de risque, car elles sanctionneraient systématiquement l’initiative et ne sélectionneraient que des « bons élèves » qui n’ont jamais connu l’échec, et ne veulent surtout pas courir le risque d’échouer.

les grandes écoles et leurs rituels d’intégration (esprit de promotion, effets de corps …) pousseraient au conformisme, et ne favoriseraient pas la diversité des cursus.

Et pourtant, à Centrale Paris, je ne peux faire qu’un constat : les Centraliens créent depuis longtemps de nombreuses entreprises, grandes et petites, avec succès.

On cite toujours les Peugeot, Bouygues, et Michelin, Accor. Mais je croise au quotidien beaucoup de réussites plus récentes : Business Objects, Eurofins Scientific, Videolane, Neurones, Fullsix, Powéo, Ligaris … Toutes entreprises à l’origine desquelles on trouve des Centraliens.

L’Ecole a-t-elle contribué à leur réussite ?

Je pense que oui, et je soutiens l’idée que les Ecoles (et d’ailleurs aussi les Universités) ont une responsabilité dans la dynamique entrepreneuriale de leurs étudiants ; je crois effectivement qu’elles peuvent influencer significativement cette dynamique.

En revanche je ne crois pas que les Ecoles soient par nature un milieu défavorable à la création d’entreprise. Si elles le veulent et s’en donnent les moyens, elles peuvent bien au contraire constituer un puissant levier d’aide pour nos entrepreneurs de demain, et jouer un rôle puissamment positif pour favoriser la création.

Mon point de vue est bien sûr partiel ; il part de ce que je vois à l’Ecole Centrale Paris, au sein de laquelle je dirige l’incubateur ; et à partir de laquelle je peux observer ce qui se passe dans plusieurs autres grandes écoles (ESSEC, HEC, Télécom Paristech, Supélec …).

Centrale Paris a structuré, il y a une dizaine d’années, un écosystème entrepreneurial complet, qui se compose de :

un ensemble de conférences, rencontres, en 1ère et 2ème année, destinées à faire découvrir la création d’entreprise aux étudiants et à donner l’envie de créer

des modules dès la 2ème année contenant les fondamentaux de la création (business plan, positionnement marketing, droit des sociétés, droit de la propriété intellectuelle …)

une mineure de 3ème année consacrée à la création elle-même ; appelée Centrale Entrepreneur, son accès est réservé aux étudiants ayant un projet. Ce n’est pas un parcours de sensibilisation à la création, mais un lieu de mise en œuvre, d’expérimentation et de prise de risque.
Les étudiants qui s’y engagent commencent d’ailleurs par une prise de risque personnelle, puisqu’ils renoncent au fameux stage de fin d’études, qui est le sésame vers les grands groupes

un parcours de pré incubation puis une entrée dans l’incubateur de l’Ecole pour les projets les plus prometteurs. Ces parcours proposent du coaching intensif, l’hébergement, la prise en charge de nombreux frais, l’utilisation de la marque Centrale Paris et la domiciliation.

La mobilisation d’un environnement entrepreneurial qui s’appuie sur les réseaux de l’Ecole : entrepreneurs centraliens, business angels, contacts dans le monde du capital investissement …

Le 21 mai 2012 se tiennent à La Défense les 10 ans de l’Incubateur de Centrale Paris ; ce sera l’occasion de réunir et remercier l’ensemble des parties prenantes à cet écosystème.

Ce dispositif d’encouragement à la création,  très complet, et qui repose sur l’engagement de quelques ingénieurs-entrepreneurs qui ont la passion de transmettre leur expérience, se retrouve dans d’autres lieux.

Citons par exemple : Télécom Paristech qui a créé il y a plus de 10 ans le plus grand incubateur d’école d’ingénieur de France ; HEC dont la pédagogie HEC Entrepreneurs est largement connue et franchisée ; l’ESSEC qui dispose d’une très grande capacité d’accueil de start-ups sur plusieurs sites à Cergy et à Paris …

Ma conviction, issue de ma pratique d’acteur et d’observateur de cet écosystème, est qu’il existe une pédagogie de la création d’entreprise.

Bien sûr tout le monde n’est pas destiné à créer son entreprise ; bien sûr il existe un environnement culturel dans les grandes écoles qui peut sous certains aspects détourner de la création d’entreprises. Mais un dispositif pédagogique et incitatif bien structuré, et porté sur toute la durée du cursus, peut être déterminant sur bien des vocations d’entrepreneurs.

A Centrale Paris ce dispositif repose largement sur :

la rencontre avec des entrepreneurs, qui parlent aux jeunes de leurs succès et aussi de leurs échecs. A 22 ans on recherche souvent des modèles d’identification, des sources d’inspiration. Peu de théorie, un rôle discret des enseignants, et une mise en valeur visible des praticiens.

l’accompagnement individuel, le coaching. Le choix de Centrale Paris est d’accompagner l’entrepreneur, avant même d’accompagner l’entreprise. Distinction trop subtile ? Pas vraiment : le coaching porte avant tout sur l’envie d’entreprendre, le processus complexe d’émergence du projet, sa maturation, ses transformations. Durant un processus de coaching, un même entrepreneur pourra changer 2 ou 3 fois de business plan, voire modifier du tout au tout son projet ; au travers des différents projets d’entreprises, le coaching concerne toujours le même entrepreneur et le même désir d’entreprendre.

Cet accompagnement nous semble adapté aux phases très précoces de l’émergence, en particulier auprès de publics de jeunes créateurs, peu expérimentés.

L’envie et la capacité d’entreprendre reposent certes sur des facteurs innés, spontanés ; mais il est possible de cultiver et faire réussir cette envie et cette capacité. Nos écoles et universités ont un rôle à jouer dans ce processus, et aussi une responsabilité. Par la pédagogie qu’elles mettent en place, elles peuvent significativement influencer le dynamisme entrepreneurial parmi leurs étudiants, et contribuer à cette dynamique au niveau national. Ce processus est déjà à l’œuvre dans plusieurs écoles et universités ; espérons qu’il ira en s’intensifiant à l’avenir.

This entry was posted on dimanche, mai 20th, 2012 at 8:29 and is filed under Non classé. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

One Response to “Les grandes écoles détournent-elles les jeunes de la création d’entreprise ?”

  1. ernesty Says:

    bonjour,

    je suis étonnée que dans un article sur les écoles et l’entrepreneuriat, vous ne parliez pas de l’école du business dévelopment (Novancia) qui se consacre au commercial et à l’entrepreneuriat. Je reste à votre disposition

    Cordialement

    Mme ERNESTY

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