La levée de fonds pour financer l’enseignement supérieur est un domaine en pleine effervescence. Il n’y a qu’à voir la floraison de fondations auxquelles nous assistons, notamment dans les Universités.
Les écoles rivalisent d’annonces sur les montants de leurs « campagnes de fund raising », dont les totaux revendiqués dépassent désormais les 100 Meuros pour les business schools les plus prestigieuses.
L’Association Française des Fundraisers (AFF), qui réunit les professionnels de la levée de fonds tous secteurs confondus, nous indique que le secteur Enseignement Supérieur et Recherche est celui qui a connu la plus forte croissance ces dernières années. Le séminaire annuel de l’AFF, consacré à ce secteur, accueille chaque année un grand nombre de nouveaux venus au fund raising universitaire.
S’agit-il d’un effet de mode ou tendance durable ?
Je propose dans ce billet de me focaliser sur la tendance la plus novatrice de la levée de fonds, celle qui se tourne vers les donateurs particuliers, les « nouveaux philanthropes ». J’aurai l’occasion de parler plus tard des entreprises, qui sont des donateurs plus « traditionnels » des établissements.
Mon pari est que, comme beaucoup de nouveautés dans les modes d’organisation et les technologies, nous assisterons à un phénomène en forme de crosse de hockey : comme pour l’adoption d’internet par les entreprises à la fin des années 1990, ou un peu plus tard des outils de e-learning dans la formation executive, nous verrons se succéder 3 phases :
– une phase d’engouement, pleine d’enthousiasme, mais aussi d’une dose de naïveté
– une phase de « retour sur terre », durant laquelle on se rend compte que les résultats ne sont pas aussi faciles à atteindre qu’initialement escompté ; c’est une phase douloureuse, de confrontation à la réalité.
– une phase de redémarrage, sur des bases probablement plus réalistes, mais aussi plus professionnelles ; qui verra le fund raising s’inscrire dans la réalité, et prendre sa pleine place dans le financement de l’enseignement supérieur.
Sur quoi puis-je me baser pour imaginer une telle évolution en courbe de hockey ?
1- L’engouement est réel, engagé depuis plusieurs années, et porté par des fondamentaux solides.
Les faits déjà : quelques grandes écoles de 1er plan arrivent à réaliser des campagnes de plusieurs dizaines de millions d’euros auprès des particuliers. Polytechnique annonce une campagne auprès des donateurs individuels de 35 millions d’euros, qui sont à ce jour presque atteints. Centrale Paris et Science Po ont déjà levé chacun 10 millions d’euros sur cette cible ; l’ESCP revendique près de 4 millions d’euros.
Plus que les montants, encore modestes par rapport aux standards internationaux, c’est le nombre de donateurs qui est encourageant. Centrale Paris a collecté les dons de 2700 diplômés en 4 ans, soit près de 14% de l’ensemble des alumni, un taux proche de celui des Universités américaines.
Le contexte fiscal est (pour l’instant) très favorable : la loi TEPA a été un vrai catalyseur pour le mécénat individuel, permettant une défiscalisation importante de l’ISF, qui vient compléter les dispositifs déjà existants pour l’Impôt sur le Revenu et l’Impôt sur les sociétés.
Ce climat d’engouement accompagne un vrai changement de mentalités, qui est déjà perceptible dans les communautés d’alumni : dans un pays où on évite traditionnellement d’afficher sa réussite financière, on commence à voir apparaître des palmarès publics de donateurs, et des mécènes qui sont publiquement fiers du don qu’ils ont fait à leur Ecole. Là encore ce n’est pas encore l’Amérique, mais on s’en approche lentement.
2- Et pourtant, le retour sur terre est déjà perceptible :
Les pionniers du fund raising (dont Centrale Paris, que je peux observer de près), après désormais quelques années d’expérience, ont une pleine conscience des difficultés du fund raising dans un pays dans lequel cette démarche reste nouvelle.
Les objectifs affichés en début de campagne se révèlent très ambitieux, et leur atteinte est incertaine. Les donateurs individuels sont nombreux, mais les très grands donateurs, ceux qui font le succès des campagnes, avec des dons en centaines de milliers ou en millions d’euros, restent trop rares.
Le recrutement « d’ ambassadeurs » (ces grands donateurs qui sollicitent d’autres donateurs potentiels dans une démarche de « peer to peer »), reste difficile ; faire un don entre dans les mœurs ; mais solliciter, demander est encore difficile et les bons ambassadeurs sont rares.
Le climat chronique d’insécurité fiscale qui affecte notre pays, avec ses rumeurs récurrentes de remise en cause du statut fiscal des dons, aggrave la timidité de certains donateurs. La situation actuelle n’est à cet égard pas du tout favorable.
3- Je suis optimiste sur le long terme, et certain que le fund raising auprès des particuliers va s’inscrire durablement dans le paysage universitaire français.
Pour affirmer cela, je m’appuie tout d’abord sur les exemples étrangers : des pays tels que le Royaume Uni, le Canada, et dans une moindre mesure les pays scandinaves sont passés par les mêmes phases ; alors qu’ils étaient dans une situation comparable à la France il y a 20 ans, le fund raising y est aujourd’hui un secteur à part entière dans les universités, employant des équipes nombreuses, et jouant un rôle important dans l’équilibre financier des universités.
Plus précisément, plusieurs tendances de fond soutiendront le succès à long terme du mécénat auprès des particuliers en France :
– Très simplement, les besoins croissants de financement par les établissements les poussero,t à persévérer dans la voie du fund raising, à consentir les investissements nécessaires dans la durée.
– Les Etablissements réinvestissent aujourd’hui la relation avec leurs Anciens. Ils prennent conscience qu’ils ne peuvent réussir sans leurs alumni : ceux-ci sont indispensables pour participer aux enseignements, assurer l’adéquation des programmes avec le marché de l’emploi, faciliter le placement des diplômés … Et bien sûr participer au financement. Une relation alumni forte est une condition indispensable au fund raising ; et cette relation se renforce aujourd’hui, pour des raisons qui dépassent largement le fund raising.
– Une raison paradoxale : les frais de scolarité croissants, bien sûr en écoles privées, mais peut-être demain dans les universités et les écoles sous tutelle publique, sont en fait un excellent vecteur de dynamisation du fund raising : les alumni donnent d’autant plus à leur école qu’ils ont payé cher la scolarité (car ils sont conscient de la valeur de l’éducation qui leur a été dispensée) ; et le financement de bourses de scolarité est la meilleure cause de mécénat qui soit.
– Enfin, la mise en mouvement récente du monde de l’Enseignement Supérieur, qui désormais fourmille de projets, fournit un terreau idéal pour le mécénat. Rapprochements d’écoles, projets de croissance internationale, construction de nouveaux campus, etc …tous ces projets de rupture sont à même de mobiliser la générosité publique. C’est bien connu : les mécènes ne financent pas les fins de mois, mais les projets de transformation et de rupture.
La route est encore longue, mais le fund raising auprès des particuliers a encore de beaux jours devant lui dans l’enseignement supérieur.