Voici, en ces périodes de déprime économique, une bonne nouvelle : le secteur de l’enseignement supérieur et de la recherche académique créent des emplois. Pas forcément les emplois dont parlent les pouvoirs publics, quand ils affichent des chiffres de créations de postes ; mais des emplois nouveaux, dans des métiers émergents.
Ces nouveaux métiers accompagnent les transformations qui affectent aujourd’hui le modèle économique des établissements d’enseignement supérieur.
Le modèle traditionnel repose soit sur des subventions de l’Etat (directes ou via les salaires de fonctionnaires) – c’est le cas des universités et d’une partie importante des écoles d’ingénieurs – ; soit sur des frais de scolarité – dans le cas d’une majorité d’écoles de commerce et d’écoles sectorielles.
Aujourd’hui, l’accroissement du coût de l’enseignement et surtout de la recherche, couplé avec le tassement des financements publics, amène les établissements à développer les sources de financement alternatifs ; ceux-ci sont généralement d’origine privée (entreprises, mécènes), ou para publics sur projets (pôles de compétitivité, agences de recherche, contrats européens …).
Ces nouvelles activités génèrent l’apparition de nouveaux métiers, très liés à la recherche de financements alternatifs ; ces métiers se trouvent notamment dans les champs suivants :
– La formation continue : responsables de programmes, commerciaux, responsables marketing …
– Les partenariats et relations entreprises : chargés de programmes de partenariats, collecteurs de taxe d’apprentissage …
– Le fund raising, le mécénat : responsables grands donateurs, responsables stewarship, prospect research …
– La valorisation des résultats de la recherche, qui requiert des spécialistes de la maturation des découvertes scientifiques, du transfert …
– Les métiers liées responsables des structures spécifiques liées à ces nouvelles activités : directeurs ou délégués généraux de fondations, structures de valorisation, sociétés anonymes, fonds de dotation …
Plus largement, l’immersion croissante des établissements dans un univers concurrentiel favorise l’émergence de métiers à dominante marketing, voire « commerciale » (mot tabou dans ce milieu) :
– chargés de recrutement sur les différents programmes
– responsables pays, de zone, afin d’assurer la présence de la marque et des services dans les pays clefs
– professionnels de la communication, des relations presse (pour accompagner le poids croissant des classements, pour mettre en place des stratégies d’influence …).
Enfin, l’orientation croissante des établissements vers des publics externes, amont (les candidats) et aval (les diplômés) se traduit par la croissance récente mais très visible des métiers liés à l’animation de réseau : community managers, responsables alumni ; ces métiers prennent dans les établissements les plus structurés avoir une dimension internationale, afin d’assurer une couverture globale du réseau.
Je voudrais signaler, à partir de mon expérience à Centrale Paris, la demande très forte sur un profil particulier : la direction de projets sur financement dédié. Que ce soit l’ouverture d’un nouveau campus à l’international, une réforme pédagogique, un programme d’ouverture sociale, le montage d’un CFA… , nos établissements sont engagés dans une dynamique de changement, qui favorise le fonctionnement en mode projet. La culture projet est peu répandue dans nos établissements, notamment sous sa forme méthodologique et managériale ; nous avons en permanence besoin de bons directeurs de projet pour des périodes de quelques mois ou quelques années.
Dans le monde anglo saxon, la plupart des métiers décrits ci-dessus sont désignés par le terme « Advancement » : les métiers de l’Advancement sont ceux qui apportent les moyens matériels (financiers, en image, en capacité de réseau, en ressources humaines, en candidats) nécessaires au développement d’une recherche et d’un enseignement de haut niveau. Les professions de l’Advancement sont regroupés par l’Association CASE (Council for Advancement and Support of Education) en 4 catégories : Marketing ; Fund Raising ; Communication ; Alumni Relations.
La France n’en est qu’au début de l’essor de ces métiers ; dans les universités américaines les plus prestigieuses, la seule fonction Fund Raising peut employer plusieurs centaines de personnes, là où les plus grosses équipes en France tournent autour de 5 à 10 personnes.
D’où viennent ces nouveaux professionnels ? De quels horizons ? Beaucoup sont issus au départ de la filière enseignement/recherche, naturellement. Mais les établissements se rendent compte rapidement qu’il est indispensable d’aller chercher des compétences externes, qui se trouvent rarement dans les établissements.
La compétence projet décrite plus haut est un bon exemple. Mais manquent aussi les compétences marketing et commerciales, ainsi que de communication : toutes compétences tournées vers l’externe, le service au client et la valorisation financière des compétences. A Centrale Paris, le service de formation continue a amorcé son décollage lorsqu’il s’est doté d’une direction de profil très business, capable d’apporter une dynamique de croissance à une activité jusqu’alors à dominante très « enseignement ».
Comme tout secteur nouveau, les nouveaux métiers de l’ESR attirent des profils venus de tous secteurs ; de la formation continue privée, du management général en entreprise, des agences de communication, des ONG (pour le fund raising) … La conférence annuelle d’Enseignement Supérieur et Recherche organisée par l’Association Française des Fundraising donne un bon aperçu de ce melting pot des profils : de nouvelles têtes chaque année, un turn over rapide, un même enthousiasme partagé entre des gens très différents qui ont l’impression de participer à une même aventure …. Une ambiance pionnière très dynamisante.
Comment ces nouveaux venus s’insèrent ils dans nos institutions centenaires ? Leur arrivée est souvent perturbante, car les nouvelles recrues sont souvent issues de secteurs dont la culture est très éloignée de celle de l’enseignement supérieur. Elles arrivent souvent sur des statuts particuliers, parfois de droit privé (salariés des structures parallèles telles que les Fondations). Elles emploient un langage nouveau, parlent d’orientation client, de développement commercial, de positionnement marketing … Elles sont parfois payées sur des grilles différentes de celles de l’enseignement, attendent des évolutions de carrière plus rapides, démissionnent parfois …
La cohabitation au sein des établissements ne se fait pas sans frottements. Mais elle suscite aussi une lente transformation des métiers plus classiques ; au contact des nouvelles activités de développement, d’autres métiers évoluent. Par exemple, les chercheurs qui travaillent sur des chaires financées par des entreprises s’habituent à travailler en partenariat serré avec une entreprise ; les services financiers et comptables évoluent vers une comptabilité analytique par projet ; les structures d’enseignement sont amenées à adopter une attitude « orientées client » à l’égard des étudiants …
L’ensemble de ces transformations ne fait pas une révolution … mais contribue à une évolution d’ensemble des institutions d’enseignement supérieur et de recherche ; les nouveaux venus des métiers de l’Advancement y contribuent à leur manière.
Excellent article, qui montre bien la mutation majeure des institutions universitaires : de plus en plus, il faut se passer de corps enseignant (en-dehors de quelques directeurs d’UFR et d’une grande quantité de vacataires flexibles), et recruter avant tout des « advancers ». Notamment des fundraising managers, comme je le propose pour Sciences-Po : http://wp.me/p1PwkK-jN
Je suis chercheur (précaire) et je confirme: « commercial » est un mot tabou dans le métier. Et il y a une très bonne raison. Une bonne part de la recherche n’a pas et n’aura jamais d’applications rentables économiquement. Essayer de faire rentrer ça dans un paradigme économique inadapté génère une immense frustration chez tous les chercheurs qui passent de plus en plus de temps à chercher des sous et de moins en moins à faire leur métier. Seules les plus grosses structures, candidatant à de gros financements, peuvent se permettre de payer des professionnels de l' »Advancement », comme vous dites.
De plus en plus d’offres d’emploi de chercheur spécifient que le candidat devra être capable d’attirer des financements extérieurs. Je fuis de telles annonces comme la peste. Les chercheurs doivent refuser de jouer à ce jeu malsain.
Le fonctionnement en mode projet ne permet pas de laisser aux idées novatrices le temps de mûrir. J’ai deux ou trois idées intéressantes sur lesquelles j’aimerais pouvoir travailler, mais je ne peux pas car je dois finir de travailler sur les projets pour lesquels j’ai été embauché, et chercher le prochain projet qui voudra bien m’accueillir.
Il n’y a vraiment pas de quoi se réjouir du parasitage du monde de la recherche par les logiques commerciales et marketing (comme je hais ce mot…).
Bonjour,
Votre article vise à faire un état des lieux ou bien à témoigner d’un secteur en émergence? En effet, si la flexibilité de l’ESR peut parfois laisser à désirer, elle est préjudiciable à la compréhension des faits de société : or l’éducation n’est-elle pas le véritable enjeu de ces métiers, que l’on peut difficilement faire fondre dans les logiques du court terme économique.
Vous qui avez étudié à Centrale, vous êtes certainement bien placé pour envisager la nécessité et l’urgence de prendre de la distance vis-à-vis des phénomènes de société et des mouvements éphémères. Apparemment, vous avez tout oublié, ou bien vous êtes trop occupés à prôner un modèle en pleine crise. En espérant que vous ne vous sentez pas trop responsable.
Bien cordialement,
nbaty