Grandes Ecoles et réseau d’Alumni : vers une refondation ?

Je vais parler aujourd’hui d’un sujet sensible, parfois conflictuel, et en pleine évolution : celui des relations entre les Ecoles et leurs Anciens Elèves, qu’on désigne de plus en plus sous le terme américain d’Alumni.

Sujet sensible car il porte sur des relations de nature « familiale », avec la part d’affect qui caractérise souvent les relations de famille.

Et évolutif, car les relations entre ces 2 univers sont en pleine transformation aujourd’hui.

Historiquement en France, les alumni des grandes écoles sont très organisés.

Ils ont créé des structures juridiques spécifiques, généralement anciennes ; celles-ci disposent souvent de revenus propres, et parfois d’un patrimoine qui leur assure indépendance financière, et capacité à financer des salariés permanents.

Elle tiennent à jour un annuaire des Anciens, qui est un outil clef de gestion du réseau.

Leurs activités sont larges, et diverses : gestion de carrière, entraide professionnelle, animation de groupements géographiques à l’étranger, activités culturelles, networking sectoriel, activités de relations publiques visant à assurer la visibilité globale de la communauté …

Souvent, ces associations entretiennent une relation complexe avec leur Ecole : en termes d’image, elles utilisent la marque de l’Ecole, et très souvent son logo. Aux yeux du public elles sont une composante de l’Ecole, et leurs initiatives engagent l’Ecole.

Toutefois, en pratique, elles sont très autonomes par rapport à l’Ecole ; non seulement sur le plan financier pour les raisons financières évoquées plus haut, mais parce que l’objet social de l’Association des Alumni ne se confond pas avec celui de l’Ecole :

L’objet social de l’Ecole est principalement de former des jeunes, et de produire de la recherche ; l’Ecole n’est souvent impliquée que marginalement dans la carrière de ses Anciens, et principalement sur le premier job.

L’Association des Alumni a par contre pour objectif premier de promouvoir ses membres, leur carrière, et de contribuer à leur réussite et à leur visibilité. Il se trouve que le point commun entre ces membres est d’avoir le même diplôme, mais la finalité est principalement de tisser un réseau au sein d’une communauté de professionnels, et de favoriser la réussite.

Bien sûr il y a des liens entre les deux objets sociaux : la visibilité d’une Ecole et la valeur de son diplôme sont directement liés à la réussite de ses Alumni des Anciens est indissociable.

Et c’est parce que Ecoles et Associations d’Alumni sont indéfectiblement liées par l’impératif de défendre une marque commune, alors même que leurs objets sociaux sont différents, que les relations entre elles sont parfois complexes. Les préjugés et projections sont nombreux : peur des Ecoles d’être mises sous tutelle par leurs Anciens ; sentiment des Anciens qu’ils sont les garants d’une sorte de continuité de l’Ecole, du maintien de sa qualité dans le temps ; sentiment ressenti par l’Ecole que la spécificité des métiers académique n’est pas comprise par des Anciens qui sont le plus souvent issus du monde de l’entreprise ; conviction des Anciens que leur expérience de l’entreprise (du monde « réel » selon certains) doit aider l’Ecole à s’orienter et à orienter ses élèves ….

La place des Alumni dans la gouvernance des Ecoles est très variable selon les Ecoles : majoritaires au Conseil d’Administration dans certains cas (l’Ecole étant alors perçue comme une émanation de l’Association des Anciens) ; ou simplement représentés par un siège au Conseil. Le dosage entre Anciens et professionnels issus d’autres horizons, dans les Conseils d’Administration des Ecoles mais aussi leurs Comités de Direction, est un exercice subtil qui est propre à chaque établissement, et donne lieu à des arbitrages subtils …

La coexistence a longtemps été assurée par une sorte de « Yalta » tacite, qui se vérifie dans de nombreuses écoles : l’Ecole s’occupe des étudiants jusqu’à leur diplômation, ou à la rigueur jusqu’à leur premier job ; ensuite le suivi du diplômé relève de l’Association, et l’Ecole n’a plus de rôle actif à jouer dans la carrière de ses diplômés. Ce partage facilite la coexistence pacifique.

Mais le monde change … très vite !

Ces dernières années, les Associations d’Alumni ont été fragilisées par la fin de la déductibilité fiscale des cotisations ; le législateur a en effet considéré que des associations limitées à une catégorie restreinte d’adhérents ne répondaient pas aux critères requis pour la reconnaissance d’utilité publique. Beaucoup d’Associations ont vu leurs cotisations diminuer, et leur assise financière se fragiliser.

Dans le même temps, les Ecoles ont commencé à s’intéresser aux Alumni, bien au-delà du premier job. L’évolution de l’Ecole Centrale Paris est à ce titre intéressante. Le changement est venu d’abord de la mise en place d’une démarche de Fund Raising ; pour financer ses projets stratégiques, l’Ecole Centrale, comme d’autres écoles, s’est tournée vers ses Anciens, et s’est dotée d’une équipe consacrée au Mécénat. Cette démarche passe au préalable par une étape de « Friend Raising », qui vise à renouer le contact avec les Alumni, de tous âges ; les plus âgés étant souvent les donateurs les plus importants, la frontière du Yalta que je décrivais plus haut s’est trouvée allègrement franchie !

Cette étape a permis à l’Ecole de tisser des liens avec des milliers d’alumni qui lui étaient jusque là inconnus ; et c’est là que l’Ecole a progressivement pris conscience de l’importance de ce réseau d’anciens, qui peuvent l’aider dans de multiples situations : conseil et lobbying pour soutenir ses projets stratégiques ; orientation pour ses formations, afin de préparer les élèves aux métiers de demain ; conseil aux étudiants, dans une démarche de Career Center ; accès aux grands groupes internationaux, dans des pays aussi lointains que la Chine ou le Brésil …

Bref, la relation Alumni est vite apparue comme une ressource clef pour les Ecoles (un «asset » stratégique, en termes business). Et les Ecoles comprennent que la gestion de ce réseau est fondamentale pour leuravenir ; qu’elles doitven  entretenir un lien direct avec ses Alumni, les connaître et cultiver la relation avec eux.

Ces changements, marqués par des initiatives de plus en plus nombreuses des Ecoles dans un champ traditionnellement réservé aux Associations d’Alumni, sont potentiellement déstabilisantes pour ces Associations ; notamment à un moment où elles sont fragilisées par une baisse de leurs recettes. Parfois même le succès du fund raising de l’Ecole est perçu comme une des causes de la baisse des cotisations à l’Association des Anciens !

Quelles sont les pistes pour l’avenir ? Certaines écoles regardent vers le schéma américain, dans lequel fréquemment les associations d’alumni n’ont pas de ressources propres, mais sont portées par le service Alumni de l’Université. L’adhésion à l’Association est dans ce cas gratuite ou presque (une adhésion à vie pour quelques dizaines de dollars), et les moyens de l’Association sont apportés par l’Université. C’est la voie qu’a choisi l’INSEAD par exemple.

D’autres voies sont possibles, plus respectueuses de l’héritage français, qui repose sur des associations d’alumni fortes et autonomes. Elles passent par une compréhension mutuelle des objectifs de chacune des parties ; la reconnaissance que les objectifs des Associations et ceux des Ecoles sont différents ; et l’identification de champs de coopération : suivi des carrières ; conseil aux étudiants ; financement des projets stratégiques de l’Ecole ; défense de la Marque ; valorisation des réussites individuelles et collectives …

Ces voies reposent sur le respect mutuel, la reconnaissance des différences, et la coopération. Elles supposent parfois de sortir d’une liaison de type «familiale », trop marquée par l’affectif, et d’aller vers des relations plus contractuelles, fondées sur la convergence des intérêts propres. C’est probablement la voie d’avenir la plus réaliste …

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This entry was posted on dimanche, novembre 4th, 2012 at 23:16 and is filed under Non classé. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

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