La formation continue dans l’enseignement supérieur : seulement une question d’argent?

La formation continue fait partie des missions officielles des établissements d’enseignement supérieur : les textes officiels sont très clairs sur ce point, et sont renforcés par la priorité donnée depuis quelques années à la formation tout au long de la vie.

Néanmoins, la formation continue reste très inégalement développée selon les établissements, et souvent perçue seulement sous le prisme d’une source de financement annexe.

Je pense que cette vision est réductrice, et que la formation continue peut apporter beaucoup de valeur à nos établissements, sous une grande diversité d’aspects.

3 mars 13_3_personnage rigolo avec bagage

Le constat tout d’abord : la formation continue s’est développée de manière très inégale selon les établissements : les grandes business schools ont souvent créé des départements de formation continue importants, réalisant plusieurs millions voire dizaines de millions d’euros de chiffre d’affaires. Ces départements développent une offre de formation spécifique, conçue pour les professionnels, recourant souvent à des formateurs distincts du corps professoral de l’Ecole, et tarifée à des prix de marché.

Les Universités ont plutôt favorisé l’accès des professionnels aux enseignements classiques de l’Université, sans nécessairement avoir développé une pédagogie spécifique, ni un corps de formateurs propre.

3 mars 13_1_hommes sur chantierLes situations sont très variables, mais à quelques exceptions près, les activités de formation continue restent de faible poids dans les établissements ; à Centrale Paris, la formation continue pèse désormais plus de 12% des recettes, mais cette évolution est encore très récente. On en était à 3% il y a quelques années.

 

3 mars 13_2_CPEEDepuis quelques années, l’intérêt pour la formation continue grandit ; cela est surtout aux menaces qui pèsent sur le financement public des établissements, et qui du coup pousse à la recherche de nouvelles formes de financement. On voit de plus en plus la formation continue comme la solution à l’impasse budgétaire dans laquelle la réduction des financements publics va conduire la plupart de nos établissements. Elle est censée générer des marges considérables, qui iront directement se substituer aux subventions de la tutelle.

Qu’en est-il exactement ? La formation continue est-elle LA réponse à nos futurs problèmes financiers ?

La réponse selon moi est la suivante : bien sûr la formation continue pourra contribuer à financer les établissements ; mais cela restera marginal. Ce secteur, éclaté en centaines d’organismes, génère au mieux des marges nettes de l’ordre de 10% du chiffre d’affaires; et bon nombre d’organismes sont à peine à l’équilibre. Un département de formation continue doit réaliser 10 à 20 millions de chiffre d’affaires annuel, après avoir assuré vraiment  l’ensemble de ses coûts directs et indirects, s’il veut contribuer de manière significative au financement de sa « structure mère ».

L’idée que la formation continue dégage des marges très élevée résulte aussi d’un effet d’optique, lié au manque de culture de contrôle de gestion dans nos établissements : nous avons souvent de la difficulté à identifier précisément l’ensemble des coûts complets des activités. La marge apparente n’est souvent qu’une marge de contribution, intermédiaire, qui ne prend pas en compte la totalité des coûts induits par l’activité.

 

3 mars 13_6_professionnels en groupePar contre, la formation continue peut apporter beaucoup de valeur à un établissement, dans des champs dans lesquels on ne l’attend pas forcément.

Sur le plan financier, elle contribue à verser des rémunérations additionnelles aux enseignants chercheurs ; et elle offre des possibilités d’activités aux vacataires et intervenants extérieurs de la formation initiale. Si cet apport est intelligemment géré comme un outil de GPEC, il peut contribuer de manière réelle à accroître l’attractivité de nos établissements vis-à-vis de professeurs extérieurs, notamment étrangers, que les salaires statutaires ne suffiraient pas à attirer. L’établissement qui peut proposer des journées de formation continue à un professeur étranger, payé à un tarif de consultant, améliore de manière sensible sa proposition financière à ce professeur.

 

3 mars 13_8_personnes qui étudient en ombres chinoisesEn outre, sur le plan du réseau, la formation continue est aussi un terrain privilégié d’intervention pour les anciens élèves (pour les grandes écoles en tous cas), professionnels qui gardent ainsi le lien avec leur école. La formation continue est ainsi un outil d’animation de réseau d’intervenants et d’alumni, dans un contexte où ces réseaux deviennent vitaux pour les établissements (notamment pour le fund raising).

 

Egalement,la formation continue est un lieu d’apprentissage et d’expérience pour les enseignants : ses publics sont plus variés, et généralement plus exigeants, que ceux de la formation initiale. Un professionnel qui paie sa formation n’hésitera pas à « challenger » le formateur ; il dispose d’une expérience différente de celle du formateur, et se considère souvent comme aussi compétent que lui.

Les enseignants sont ainsi amenés à tester des postures nouvelles : moins « professeur ex cathedra » ; plus animateur de communauté apprenante, pédagogue qui met les experts en relations et les amène à croiser leurs compétences. Le processus d’apprentissage en formation continue est très spécifique, et souvent il préfigure ce que nous voudrions faire en formation initiale : rendre les étudiants plus actifs, valoriser ce qu’ils savent, promouvoir l’échange transverse d’expertises, co-construire le cours ….

3 mars 13_7_personnage avec toque américaineLa formation continue comme laboratoire de nouvelles pédagogies ? J’y crois vraiment. C’est d’autant plus vrai que la formation continue est souvent en avance en matière de nouvelles technologies appliquées à l’enseignement (TICE). En formation intra par exemple, les clients entreprises attendent que l’organisme de formation sache former des populations très internationales, réparties sur de nombreux sites ; cela impose de recourir à des plateformes de formation, des modules distanciels intégrés dans une approche de type « blended learning » ; des systèmes de contrôle des connaissances progressifs, adaptés à une population souvent plus hétérogène que celle de la formation initiale.

 

Laboratoire des nouvelles technologies donc ; et aussi bien souvent, terrain d’apprentissage pour de nouvelles approches, notamment l’approche compétences, qui est quasi systématique dans la formation executive, et devient maintenant incontournable en formation initiale. Les programmes certifiants de formation continue doivent de plus en plus, pour bénéficier des financements des organismes financeurs, être accrédités, le plus souvent au Répertoire National des Certifications Professionnelles (RNCP) ; le RNCP se base principalement sur l’approche par compétences, et amène les établissements à se former à cette approche … qui ensuite peut être déployée en formation initiale.3 mars 13_5_logo cncp

 

Nouvelles pédagogies, nouvelles technologies, approche compétence, meilleure attractivité vis-à-vis des professeurs internationaux, animation des réseaux d’alumni, confrontation des enseignants- chercheurs à de nouveaux publics … Les apports de la formation continue à nos établissements sont très larges, et restent encore pour beaucoup à découvrir.

This entry was posted on dimanche, mars 3rd, 2013 at 22:39 and is filed under formation continue. You can follow any responses to this entry through the RSS 2.0 feed. You can leave a response, or trackback from your own site.

4 Responses to “La formation continue dans l’enseignement supérieur : seulement une question d’argent?”

  1. amelie Says:

    Ce post m’évoque beaucoup de choses…
    La vraie question de la « carte offre de FC » qui ne doit en aucun cas être une déclinaison conforme de la « carte offre de formation initiale »..ce qui est encore malheureusement trop souvent le cas. Inadéquation.
    Ensuite j’ai sourit au terme « chiffre d’affaires » qui est un terme souvent banni des universités…Dans votre post vous commencez à dire que la formation continue ne doit pas être percue « sous le seul prisme d’une source de financement annexe »… mais nous parlons bel et bien de chiffre d’affaires, sans aucun sens péjoratif ! La formation continue peut en effet répondre accessoirement au manque de financement public…mais ces recettes peuvent surtout trouver un intérêt majeur dans l’optique où enfin des calculs de coûts formation seraient mis en place.
    En effet, pour ce que je connais, les plafonds d’heures complémentaires en vue de maitriser la masse salariale sont souvent percus comme un frein au développement de la FC…les enseignants chercheurs et doyens peuvent ne pas y trouver la motivation ou l’intérêt…en effet, les services trop justes pour assurer à la fois les volumes maquettes FI et FC découragent..Pourquoi n’arrive t’on pas à considérer que les recettes liées à la formation continue financent les heures d’enseignements spécifiques FC? l’équilibre semble simple ainsi…

  2. Simon Vuillaume Says:

    De fait la formation continue contribue à la « performance » universitaire, notamment:
    – en renforçant l’exigence pédagogique
    – en procurant des recettes supplémentaires
    – et en renforçant les échanges universités / monde économique

    Je suis également 200% d’accord avec l’idée que la formation continue favorise l’innovation pédagogique (Les partenariats de Cegos avec plusieurs grandes Ecoles et Universités pour des parcours blended internationaux en sont un exemple)

    Mais je crois qu’en matière d’innovation, il faut attendre encore bien davantage de la révolution en-cours que constituent l’Open Education et les Moocs (Massive Online Open Courses) – En France, Centrale et l’X l’ont compris, mais les Institutions Françaises réellement engagées dans l’open digital education sont encore assez peu nombreuses comparées aux centaines d’universités (principalement US et UK) fédérées dans les consortium EDx, Coursera, Udacity, …

    Les enjeux de ce mouvement dépassent bien entendu l’innovation pédagogique; pour en citer quelques exemples:
    – Aux US, en Décembre dernier les emprunts étudiants ont atteint le montant de US$ 957 milliards et présentent un niveau de risque record
    – En Grande Bretagne,l’enseignement supérieur représente un revenu de 14 £ milliards (5ème rang des exportations)
    – En Europe, le chomage des jeunes coute des dizaines de milliards d’Euros chaque année

    Si vous souhaitez en savoir plus sur cette révolution, visitez la revue de presse en ligne http://www.scoop.it/t/future-of-students-learning-in-europe

  3. petite_precision Says:

    The European Vocational Training Association, EVTA, is a network of European organisations in the field of human capital development. During its 15 years EVTA has developed into an important actor within the field of European vocational training. Through EVTA its members influence and stay updated on EU-policies and participate in European development projects.

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