Dans le schéma de carrière traditionnel, le diplôme est un temps très fort. Il marque la fin du temps des études, durant lequel on se forme, et le début du temps du travail, durant lequel on applique ce qu’on a appris. Dans ce modèle, le diplôme sépare 2 temps très différents ; la diplômation est un rite de passage, une mutation de l’individu.
Cette représentation change actuellement, de manière très profonde. Peu à peu s’établit un continuum entre le temps des études, et le temps professionnel ; comme si la frontière du diplôme était appelée à s’estomper.
Avant le diplôme, le monde du travail est désormais très présent ; il envahit le temps des études : projets en entreprise ; stages qui en cumul atteignent parfois des durées de plusieurs dizaines de mois ; interventions de professionnels, mises en situation, jeux d’entreprise ….
L’essor récent des cursus en alternance constitue l’aboutissement de cette évolution : l’alternance avance de plusieurs années la date d’entrée dans le monde du travail, et organise dans la durée une double activité de formation et d’enseignement.
Après le diplôme, le temps de l’Université n’est plus tout à fait terminé.
De plus en plus de professionnels effectuent des retours longs vers les études, dans le cadre de cursus de formation certifiante et diplômante. En témoigne l’essor des cursus tels que les Mastères Spécialisés part time, ou les Executive MBA.
De plus en plus aussi, on voit émerger la notion de « service après vente » du diplôme ; celui-ci consisterait à assurer aux alumni (diplômés) une actualisation de leur formation, assurée par leur Ecole ou leur Université, tout au long de la vie. Ce SAV s’imposerait comme un devoir de l’Université à l’égard de ses diplômés.
De nouveaux concepts apparaissent, qui estompent l’opposition traditionnelle entre le temps des études et le temps du travail. Notamment, l’approche par compétences met l’accent sur le résultat de la formation (plus que sur le processus de formation lui-même), et réhabilite le temps du travail comme temps d’apprentissage. On peut acquérir des compétences autant par l’activité professionnelle, que par les études. L’apprentissage consacre la valeur pédagogique du travail en entreprise ; comme le stage le faisait depuis longtemps.
Dans ce contexte, que signifie le diplôme ? Il marque moins la fin des études, qu’une étape dans un processus permanent ; l’acquisition d’un socle initial, permettant de se lancer pleinement dans la carrière professionnelle.
Etape, il l’est en plein, car il indique que le diplômé a acquis un ensemble cohérent de compétences. Mais il l’est aussi en creux, car le jour de la remise du diplôme, le diplômé a encore beaucoup à apprendre. L’approche par compétences a élargi le spectre des savoirs et des savoirs-faire, très au-delà des anciens programmes de connaissances ; les études initiales sont bien trop courtes pour apporter toutes les compétences nécessaires à une carrière professionnelle réussie. Le processus de formation ne s’arrête pas avec le diplôme ; le diplôme n’est que le début de quelque chose. Certaines écoles sont même tentées, dans la logique de SAV évoquée plus haut, de faire du diplôme une espèce de chéquier-formation, donnant des droits de tirage sur des formations ultérieures.
Comme nous le voyons, notre monde change vite : les compétences à acquérir sont beaucoup plus larges et diversifiées ; la période d’acquisition de ces compétences s’étend à la vie entière ; et les modalités d’acquisitions se diversifient, en se situant autant pendant le travail que pendant les études.
Nos écoles ont-elles pris la mesure de cette révolution ?
Mon sentiment est que les évolutions ont été prises en compte pour la période qui précède le diplôme : stages, apprentissage, pédagogie par projets, césure, exposition des étudiants aux entreprises, coaching, travail sur le projet professionnel … Le tout est structuré par une démarche compétences, qui est désormais demandée par les organismes accréditeurs (tels que la Commission des Titres d’Ingénieurs).
En revanche, nos écoles sont encore très timides dans l’après-diplôme ; le monde académique craint de s’aventurer dans le vaste monde qui s’ouvre après la cérémonie des diplômes. On laisse ce champ à la formation continue, très normée, et aux associations d’Anciens. Les actions de relations alumni et de fund raising constituent une incursion récente dans le monde professionnel, mais la dimension formation n’est que rarement présente dans ces démarches.
Presque tout reste encore à inventer dans de domaine, et de nombreuses pistes restent à explorer : citons en 2 notamment :
– Le suivi de l’insertion des jeunes diplômés, notamment lors du premier emploi. Comment assurer à l’entreprise qui embauche un jeune, que l’Ecole assurera une présence suffisante pour donner les meilleures chances de succès ? Tutorat, « on the job coaching », aide à l’intégration des connaissances acquises en Ecole et des attentes opérationnelles du métier … Des dispositifs restent encore à inventer, pour que l’Ecole accompagne le jeune dans ses premiers pas en entreprise ; et réduise ainsi le risque d’échec. Je suis convaincu que les entreprises seraient demandeuses, et pourraient financer de telles démarches.
– La formation tout au long de la vie des Alumni doit encore évoluer. La notion de SAV du diplôme reste largement un mythe, dans la mesure où les Anciens, quand ils éprouvent le besoin de se former, retournent rarement dans leur Ecole. Ils s’adressent au meilleur organisme de formation dans le domaine de la formation qu’ils recherchent ; l’attachement à l’Alma Mater joue peu dans leur choix.
Les Ecoles doivent encore trouver, en formation continue, ce qui les différencie des organismes de formation continue généralistes : si un diplômé de Centrale Paris revient se former dans son Ecole, ce n’est pas uniquement parce qu’il y trouve les meilleures formations continues dans tous les domaines (cela ne serait pas possible) : c’est qu’il y retrouve quelque chose qui est spécifique à son Ecole, unique, qu’il ne peut pas trouver dans d’autres organismes de formation continue. A Centrale Paris ce pourrait être des formations qui développent ce que l’Ecole revendique comme des atouts spécifiques : l’innovation, le sens du résultat, l’ambition pragmatique, la valeur sociétale …. La formation continue doit apporter aux Centraliens les compétences qu’ils perçoivent comme différenciantes et identitaires pour eux ; celles qui font leur force. Si ces compétences sont réellement distinctives, il est crucial qu’elles soient réactivées tout au long de la vie ; et seule l’Ecole qui les a apportées au début est légitime pour assurer cette actualisation.
Demain, nos enfants seront-ils à l’Ecole jusqu’à la retraite ? tout en commençant à travailler à 20 ans ? C’est possible. Cela aura des impacts profonds sur la manière dont les Ecoles et les Universités envisagent leur mission, et leur champ … de compétences !