La formation continue est devenue un outil clef dans la stratégie de nos établissements. Si on lit les plans de développement de la plupart de nos grandes écoles, l’Executive Education y occupe une place de choix : toujours comme un outil de financement ; souvent comme moyen de développer les relations entreprises souvent ; quelquefois comme fer de lance de l’expansion internationale (en Asie dans le cas de l’ESSEC par exemple).
Dans tous les cas, la croissance de l’activité de formation continue a été forte dans les 10 dernières années : l’ESSEC, HEC sont désormais des acteurs majeurs sur le plan international ; parmi les écoles d’ingénieur, Centrale Paris a multiplié cette activité par un facteur 5 en 5 ans.
Mais qui assure cette formation continue ? Qui sont ses professeurs ? Une telle croissance pose la question de la professionnalisation de la gestion des formateurs. Par professionnalisation, je veux parler de la structuration d’une ressource de formateurs, compétente, disponible, motivée, loyale, capable d’assurer à la fois le volume et la qualité de service, et dont les compétences se ressourcent afin de rester au meilleur niveau.
Tant que la formation continue restait une activité marginale pour nos établissements, elle pouvait être assurée par les enseignants statutaires de l’établissement, complétés par un volant de formateurs externes plus au moins fidélisés.
Quand il s’agit d’assurer plusieurs dizaines de milliers d’heures-stagiaires de formation, ce système ne suffit plus. Les enseignants statutaires n’ont pas la disponibilité suffisante, et le recours aux formateurs externes s’impose. C’est alors qu’apparaît une série de questions cruciales pour permettre à la formation continue de poursuivre sa croissance. Je ne prétends pas essayer d’y répondre ici, mais au moins vais-je en lister quelques unes :
– Formateurs externes : faut il les salarier ou contractualiser avec eux ? (sur un statut de free lance ou de sous-traitance) ? Le salariat assure la loyauté des formateurs externes, et surtout contribue à diminuer les coûts de production ; en revanche il alourdit les coûts fixes de structures de formation continue dont la rentabilité est souvent faible.
– Faut il structurer un véritable « corps enseignant de la formation continue ? », avec ses règles de recrutement, de gestion de compétences, de progression, distinctes de celles des enseignants statutaires ? Ou demander aux structures académiques (départements d’enseignements, laboratoires, sénat académique etc …) d’intégrer ces formateurs ? L’Ecole Centrale Paris s’est prudemment engagée sur la voie d’une organisation autonome de la formation continue, en créant des directions de programme thématiques (excellence opérationnelle, systèmes d’information, innovation …), dirigées par des académiques reconnus,t dont le rôle est notamment d’animer et de développer le réseau des intervenants du programme.
– Un tel amène néanmoins à la question suivante : c’est celle du lien avec le corps des professeurs permanents, et leurs structures. Si la formation continue s’organise spécifiquement, comment éviter le cloisonnement, voire une hiérarchisation contre productive entre les formateurs de l’executive education, et les professeurs porteurs de la légitimité académique? A Centrale Paris par exemple, une question non encore tranchée est celle de l’intégration des formateurs dans les départements d’enseignement et de recherche.
– Quand la formation continue se développe, se pose aussi la question cruciale du ressourcement des compétences pour les formateurs. Je crois que le ressourcement s’effectue principalement de 2 manières : par la recherche, ou par l’activité en entreprise. Un formateur qui ne fait que former se « périme » très vite, beaucoup plus vite qu’un enseignant non-chercheur en formation initiale ; en effet le formateur en Exec Ed intervient sur des compétences en général beaucoup plus appliquées, proches du terrain, et donc évolutives, que les enseignants qui exercent devant de jeunes étudiants, et leur apportent des savoirs plus fondamentaux.
Faut il faire admettre les formateurs dans les laboratoires de recherche ? Si oui, comment, et pour y faire quoi ? faut il leur demander de garder une activité en entreprise ? Si oui comment faire, notamment s’ils sont salariés de la formation continue ?
Il y aurait bien d’autres questions, que je ne peux pas aborder dans un court billet. Une question toutefois que je veux au moins mentionner avant de finir : c’est celle de la loyauté des formateurs. Ceux-ci sont souvent des indépendants, des free lance, qui en sus de leur intervention pour l’Ecole, ont leurs propres clients en direct. Cette situation est souvent génératrice de conflits : incompréhension du formateur sur le niveau de marge prélevé par l’Ecole ; risque que le formateur utilise l’Ecole comme variable d’ajustement, pour compléter son activité lorsqu’il n’a pas assez de clients en direct ; situation d’intervenants qui se servent de l’Ecole comme tremplin pour recruter des clients qu’ils s’empressent de servir ensuite en direct ….
L’animation d’un réseau de formateurs en Executive Education est une source inépuisable de questionnement au sein des équipes managériales ; un réseau de formateurs, c’est un système en équilibre instable, reposant sur un nombre infini de micro négociations entre des acteurs très divers, regroupés sous une même marque, mais ayant souvent des trajectoires personnelles très individualisées. Le management des formateurs est une fonction à part entière dans les structures de formation continue des écoles, c’est un véritable métier.
Message reçu : les enseignants titulaires sont incompétents, pas disponibles, démotivés (la faute à qui ?), déloyaux, incapables d’assurer la qualité de service, et de rester au meilleur niveau… Mais j’attends avec impatience que la cour des comptes se penche attentivement sur les pompes à phynances de la formation continue et de ses « managers »… Le seul intérêt de ce billet est de faire apparaître un manque, qui prouve le désintérêt total de l’université pour la formation (pas seulement continue) : il existe dans les organigrammes des directeurs d’équipes de recherche, mais aucun directeur de programme ou d’équipe de formation…
J’ai un article complet sur le sujet, dont une synthèse a été publiée sur le Financial Times en Aout.
voir mon site http://www.brunodufour.com
Pour avoir animé les deux types d’enseignants, je peux attester que les compétences pour enseigner en formation continue et en formation initiale sont juste différentes.
En formation continue, un enseignant-formateur se doit de participer au processus commercial (avec donc un rapport « sain » aux problèmes d’argent), accepter d’être dans une écoute, une recherche et une production de contenus adaptés à ses auditeurs, rechercher la satisfaction immédiate de 100% des stagiaires quelquefois dans leur entreprise même, être très réactif, accepter la critique « les yeux dans les yeux…
En formation initiale, beaucoup de ses qualités sont moins nécessaires, à cause du nombre d’auditeurs et du processus de sélection. En revanche, il y a plus d’ambition sur la recherche et la production du contenu.La réactivité est moins nécessaire pour des résultats souvent plus pérennes.
Pour répondre à votre problématique, on entre dans l’univers du « casting » de professeurs, en choisissant pour chaque mission de formation continue une équipe adhoc (interne et/ou externe) ce qui va à l’encontre de la notion de corps professoral permanent pour la formation continue.
La comédie française pour la formation initiale et la commedia dell’arte pour la formation continue en somme
Seuls quelques « artistes » peuvent faire les deux
Au niveau managérial, les profils différeront probablement aussi…