Depuis le début de l’année, le chiffre d’affaires du secteur de la formation continue a fondu ; on parle de 20 à 30% de baisse ; de nombreux organismes sont en cessation de paiement, ou en crise profonde de trésorerie.
Les raisons immédiates de cette crise sont connues : la loi entrée en vigueur le 1er janvier 2015 et réformant la formation professionnelle, a profondément modifié les financements destinés au secteur. Elle les a réduits (passage de 1,6 à 1% de la contribution obligatoire des entreprises) ; elle les as partiellement réorientés (0,2% sont désormais destinés au CPF, ce qui transfère le pouvoir de décision de l’entreprise, interlocuteur traditionnel des organismes de formation, vers la personne qui se forme) ; elle les a conditionnés à un système contraignant d’accréditations (notamment RNCP) et d’assurance qualité.
Les lenteurs et désordres qui ont marqué la mise en place de la réforme, et notamment l’opacité du mécanisme d’inscription des formations au CPF, ont amplifié l’ampleur du choc subi par le secteur.
Du jour au lendemain, de nombreux organismes ont vu leurs formations devenir non éligibles aux financements des OPCA ; les entreprises ont mis en stand-by des programmes de formation, en attendant que se lèvent les incertitudes liées à la réforme ; les fonds destinés au CPF n’ont pu être utilisés immédiatement pour financer des formations, du fait du trop faible nombre de formations éligibles.
Tous ces facteurs ont contribué à l’effondrement du marché, et aux difficultés actuelles des organismes de formation.
Néanmoins, je crois que, au-delà de ces difficultés conjoncturelles, la formation continue traverse une véritable crise de transformation ; cette crise trouve ses racines dans des facteurs plus profonds, et qui tiennent aux évolutions fondamentales du secteur. Je citerais :
- Le recul des financements publics : la formation continue en France, depuis les premières lois organisant le secteur au début des années 1970, s’est largement basée sur le financement public ; même si l’engagement financier des grandes entreprises dépasse souvent les minimums obligatoires, la plupart des entreprises ont pris l’habitude de faire co-financer leurs formations par les OPCA.
La baisse des financements publics, portée par la crise financière qui touche les Etats européens, et la volonté de réduire les charges qui pèsent sur les entreprises, vont probablement accentuer le reflux du financement public et para-public à l’avenir. Le marché français, qui est aujourd’hui le premier d’Europe (du fait justement de la place importante de l’Etat dans l’organisation du secteur), va se réduire et devenir plus concurrentiel. Les entreprises vont faire jouer la concurrence, le rôle des Directions des Achats va s’accroître et la pression sur les prix s’accentuer. - L’essor des technologies digitales : Moocs, Distant Learning, plateformes Consumer to Consumer …. Le digital « uberise » le secteur de la formation continue, comme il l’a fait dans d’autres secteurs. Cela se traduit par l’arrivée de nouveaux entrants (start-ups, géants du big data, acteurs des télécoms) ; la baisse des prix de certains formats de formations (voire la gratuité dans le cas des Moocs) ; et une pression accrue sur les marges des organismes de formation, qui doivent investir dans les nouvelles technologies (achats de plateformes, investissement dans des studios de création, recrutement d’experts de la pédagogie digitale etc …), et dont le métier devient de plus en plus capitalistique.
- La bascule progressive du marché, de l’entreprise vers le particulier : le CPF n’est que la partie émergée de l’iceberg. Peu à peu, nos sociétés s’éloignent du schéma traditionnel qui voulait que l’entreprise se charge de la formation et du maintien en employabilité de ses salariés, dans un contexte de grandes entreprises et d’emploi à vie. A l’avenir, les actifs professionnels alterneront de plus en plus périodes de salariat chez différents employeurs, périodes de chômage, et séquences en tant qu’entrepreneurs ou auto-entrepreneurs … Je pense qu’à terme, la décision de formation, et plus largement la gestion de carrière, relèveront principalement de l’individu.
Ce renversement de paradigme peut avoir de grandes conséquences sur les organismes de formation, dont le marché va changer en profondeur : nouveaux clients, nouvelles attentes, nouvelles thématiques, nouveaux formats, nouveaux modèles de financement.
- À plus long terme, je pense que le marché va évoluer vers la reconnaissance d’une pluralité de manières de se former, notamment des différentes formes de « informal learning ».
Le digital met déjà en valeur des modalités d’auto-formation (type Moocs) qui existaient beaucoup moins auparavant. Les dispositifs de VAE (Validation des Acquis de l’Expérience) montent en puissance, et donnent une valeur formelle aux apprentissages informels. Les séquences d’accompagnement entre séances de formation présentielle, telles que coaching, on-the-job training, communautés de pratiques, dispositifs de retour d’expérience, mettent aussi en lumière des façons de se former qui se situent à mi-chemin entre la formation traditionnelle (présentielle en groupe) et le travail (qui était traditionnellement conçu plus comme un lieu de mise en œuvre de la formation, que comme un lieu de formation à proprement parler).Les organismes de formation devront s’adapter à ces nouvelles modalités de formation, et ne pourront d’ailleurs pas toutes les piloter ; les employeurs, les dispositifs de conseils et d’accompagnement, ont aussi un rôle à jouer.
La dissociation qui apparaît actuellement, au sein des organismes de formation, entre activités de formation et activités de certification (la certification pouvant porter sur des apprentissages non conventionnels) préfigure ces évolutions.
Oui, la récente loi sur la formation professionnelle a affecté négativement le secteur de la formation ; mais les racines du mal sont beaucoup plus profondes. D’ailleurs, est-ce un mal ?
Un très bel article, il est vrai que formation continue doit évoluer et intégrer les nouveaux outils liés au monde du digital.
thanks for sharing