Depuis une dizaine d’années, la politique des différents Ministres de l’Enseignement Supérieur pousse à des rapprochements entre établissements, dans l’objectif de faire émerger des acteurs universitaires de grande taille, capables d’être visibles à l’international.
PRES, COMUEs, maintenant établissements expérimentaux … dans tous les cas, le modèle qui s’impose est un modèle universitaire mono localisé : c’est sur la base d’un site, qui peut parfois être grand, mais qui présente une cohérence géographique, qu’on choisit les établissements à regrouper.
On appelle çà la politique de site. Cette politique, de type régional ou local, explique qu’il faut que les gens soient au même endroit pour qu’ils rapprochent vraiment, que les cursus s’hybrident, que les chercheurs se rencontrent. Quelquefois on parle de sérendipité, de liberté laissée au hasard de la rencontre entre personnes d’origines différentes mais que la proximité physique amène à se rencontrer.
Et pourtant, en parallèle, on voit se développer, hors de toute incitation des tutelles, des réseaux pluri localisés, sur plusieurs sites. CentraleSupélec, par exemple, entretient un réseau à 3 niveaux : 3 campus détenus en propre, à Paris, Rennes et Metz ; un réseau de 5 Ecoles Centrales en France (Groupe des Ecoles Centrales); et un réseau de 3 campus à l’international. Citons aussi le cas de l’Institut Mines Télécoms, qui s’est récemment restructuré sur une base nationale. Egalement, de nombreuses écoles d’ingénieur privées ouvrent des implantations dans différentes régions de France, multiplient les antennes. Citons aussi l’exemple de Sciences Po Paris, qui a multiplié les ouvertures de campus en Région ces dernières années.
La coexistence de ces deux mouvements, la politique de site qui est impulsée par les pouvoirs publics, et la stratégie de réseaux qui se développe spontanément, pose une double question :
- Pourquoi cette politique de réseau est elle si dynamique, alors qu’elle peut sembler manquer de logique économique (surcoûst lié à la duplication de certaines fonctions) ; et qu’elle est étonnante dans un pays aussi centralisé que la France ?
- Comment articuler ces réseaux nationaux avec la politique de site ?
Sur le premier point, celui de comprendre pourquoi cette logique de réseau est si dynamique, les raisons apparaissent assez clairement. Un ensemble de facteurs jouent en faveur d’une structuration en réseau, et je crois que l’approche multi sites est appelée à un bel avenir . Citons, parmi les facteurs qui sous-tendent cette évolution :
- L’importance de plus en plus grande que les établissements accordent aux PME, qui attirent beaucoup plus les étudiants ; cela contribue à revaloriser le tissu économique local en régions, alors qu’il y a une vingtaine d’années, les diplômés ne juraient que par le CAC 40
- Un engagement fort des collectivités territoriales, pour développer l’enseignement supérieur. Ces collectivités construisent des locaux, financent des équipes de recherche, des chaires (Photonique à Metz, Cybersécurité à Rennes, Biotechnologies blanches à Reims …). En ces temps de disette budgétaire, ces arguments ont du poids.
- La priorité donnée au renforcement des capacités de recherche, pousse les établissements à multiplier les coopérations avec des équipes existantes, là où elles sont. Des établissements parisiens sont ainsi encouragés à se rapprocher de structures de recherche visibles en Région, pour bénéficier de leurs infrastructures, de leurs équipes. C’est ce que fait Centrale Supélec en Bretagne avec la DGA pour la cybersécurité, par exemple.
- Enfin, de manière émergente, l’essor des approches digitales de la formation (Moocs, cours distanciels, plateformes de learning …) facilite le déploiement de formations multi campus ; et réciproquement, le multi campus est un facteur qui pousse les établissements à opérer leur mue digitale.
- Les établissements en croissance (notamment les écoles d’ingénieur associatives) sont à la recherche de locaux, et préfèrent racheter / s’associer à des petites écoles existantes, qu’investir dans des structures totalement nouvelles.
Les sous jacents du développement des stratégies nationales apparaissent donc assez clairement ; en revanche, sur l’articulation avec la politique de site, je crois que tout reste encore à inventer. Quel modèle imaginer pour permettre à des établissements membres d’un réseau national, de s’intégrer fortement dans un site ?
Le préalable, qui n’est pas encore pleinement acquis, consiste à dépasser la crainte que les deux logiques soient antagonistes : réseaux nationaux perçus comme une arme anti-COMUe par exemple ; COMUes qui sont soupçonnées de pousser à un régionalisme étroit, dans lequel les plus gros acteurs absorberaient les plus faibles.
Ces peurs peuvent se dépasser, si site et réseau national se positionnent de manière complémentaires. Par exemple, le réseau des Ecoles Centrales se focalise sur la pédagogie de l’ingénieur, sujet qui n’est pas au cœur du projet d’Université Paris Saclay. L’articulation avec la politique de site pousse à la spécialisation de chaque campus régional sur ses points forts, dans une perspective de complémentarité.
Restent toutefois ouvertes les questions institutionnelles : les réseaux nationaux doivent ils adhérer à chacune des COMUEs dans lesquelles leurs membres sont présents ? Faut il prévoir un statut spécial pour les réseaux dans chacune de ces COMUes ?
Comment gérer la marque ? L’Université Paris Saclay doit-elle être associée à, par exemple, l’Université de Lorraine via le campus messin de CentraleSupélec ? Veut-on voir Paris en Lorraine, et réciproquement ?
Sur le plan institutionnel, un modèle reste à inventer. Je suis confiant qu’il émergera d’une manière ou d’une autre, car les deux dynamiques, la locale et la nationale, sont également vivaces et devront apprendre à s’harmoniser.
Tout ça est relativement simple : dans les regroupements de site on cherche à regrouper avec un fonctionnement unique des établissements qui n’ont pas grand chose en commun, et le tout sous la houlette de l’université principale du site qui du fait de sa taille fait y impose sa vision qui peut très bien ne pas convenir aux autres. Dans les réseaux nationaux ce sont des regroupements volontaires d’établissements semblables au fonctionnement semblable (ex : des écoles d’ingénieur) et aux objectifs semblables. C’est donc beaucoup plus acceptable pour ceux-ci que les politiques de site qui de fait les fera disparaître dans un modèle tout-université…