Nous entendons très souvent dire que les MOOC vont bouleverser le marché du savoir en faisant chuter le coût de la formation des étudiants comme celui de la formation continue. Il est cependant utile de garder à l’esprit que le modèle économique de ces cours n’est pour le moment pas viable. Coursera fonctionne à perte et les quelques bénéfices réalisés au premier trimestre 2013 sont encore loin de couvrir ses frais de fonctionnement. La situation est d’autant plus flagrante pour les établissements à l’origine des cours, qui n’ont touché qu’un pourcentage réduit des bénéfices réalisés, quand ils ont touché quelque chose. Quelles sont les principales dépenses des établissements et quelles sont les sources de revenus éventuelles? Retour sur un modèle économique destiné à évoluer.
Nous avons discuté dans de précédents billets des pistes que Coursera envisageait pour monétiser son activité (cf. le contrat avec l’Université du Michigan), et avons également parlé de la chaîne de valeur de l’organisation d’un MOOC dans le billet précédent. Nous allons nous centrer dans ce premier billet exclusivement sur les modèles avérés, et reviendrons sur les modèles émergents par la suite.
La création de ressources pédagogiques est l’apanage de l’enseignant au sens large. Les cours de Coursera et edX sont réalisés presque exclusivement par des professeurs renommés issus du milieu académique. Udacity quant à lui fait appel tant à des enseignants – Sebastian Thrun, le fondateur, enseignait la robotique à Stanford – qu’à des professionels, et insiste sur la qualité pédagogique de ses cours autant que sur le prestige. Le cours sur la création d’entreprise How to build a start-up ? est par exemple assuré par Steve Blank, un serial entrepreneur de la Silicon Valley, et qui n’est donc pas issu du milieu acadméique. A noter que ce sont souvent des étudiants qui prennent en charge la création des exercices lors des travaux dirigés, même au sein d’edX, de la même manière que ce sont souvent des doctorants qui prennent en charge les travaux dirigés au sein des universités. Dans le fond, on retrouve sur les plates-formes plus ou moins la hiérarchie existant au sein des universités, rien de très surprenant.
L’autre question qui se pose est celle du financement. Là encore la situation varie selon les plates-formes, les choix effectués symbolisent les politiques des uns et des autres. Udacity sélectionne ses enseignants sur le volet et les rétribue directement, autant que je sache. C’est sans doute parce que Sebastian Thrun insiste sur la qualité pédagogique que l’entreprise n’a produit qu’une vingtaine de cours à ce jour. Pour edX comme pour Coursera, la production des cours est à la charge des établissements partenaires, qui rétribuent alors les enseignants responsables du MOOC, qui ne sont donc pas les grands gagnants de l’essor du phénomène. Tout au plus ont-ils le droit de faire la publicité de leurs ouvrages pendant le cours, ce que certains ne manquent pas de faire soit dit en passant. La principale différence entre edX et Coursera est l’exigence en termes de qualité; edX n’a noué des partenariats qu’avec un nombre très limité d’établissements (une douzaine au total) et exige des cours de très bonne qualité. Elle se positionne un peu comme le Apple du MOOC, alors que Coursera se positionne davantage comme Google, avec plus de 70 partenariats institutionnels et des critères de qualité moindres. C’est sans doute la raison de l’expansion rapide de son offre, avec plus de 370 MOOC prévus en mai 2013.
La création de ressources pédagogiques: la forme Alors qu’edX et Udacity sont particulièrement exigeants sur la qualité des cours qu’ils fournissent, Coursera laisse aux enseignants une grande liberté dans la création du contenu, euphémisme pour signifier l’absence relative de contrôle qualité. La différence est d’ailleurs flagrante. Les cours d’Udacity sont produits en interne dans le studio de captation de l’entreprise et sont d’une qualité irréprochable; pour edX, les cours sont en général filmés par des équipes professionnelles, en amphi en présence des étudiants. Sur Coursera, le powerpoint commenté avec Camtasia est sans doute le format de cours le plus courant. La qualité du powerpoint est aléatoire et demeure avant tout tributaire de l’engagement de l’enseignant. Cependant, au vu de l’importance de la qualité du MOOC pour la réputation de l’établissement, nombreux sont ceux qui investissent dans des moyens professionnels. Les Centres de Production Multimedia des universités constituent sans doute la solution la plus naturelle. Certains établissements ont poussé le zèle jusqu’à monter un studio d’enregistrement dédié, comme l’EPFL l’a fait avec la « MOOC Factory« . Enfin, la dernière option consiste à faire appel à des prestataires de service externes quand il n’est pas possible de filmer les cours en interne. Maitenant que nous nous sommes intéressé aux dépenses des établissements, penchons-nous un peu plus sur les potentielles sources de revenus des plates-formes.
La certification à distance est pour le moment la principale source de revenus de Coursera. Le certificat de complétion de base est gratuit, mais il ne peut pas servir de preuve car on ne sait pas qui a fait les exercices ou passé l’examen. Le certificat biométrique, ou Signature Track, est quant à lui payant; il coûte entre une trentaine et une centaine de dollars, selon le cours. Il permet d’authentifier l’identité du participant via une photo prise par webcam et par le typing pattern, manière de taper propre à chacun. Il est certain que la certification à distance restera l’apanage de Coursera pour les cours organisés sur sa plate-forme. Ce certificat biométrique n’a été mis en place que pour un nombre réduit de cours au sein de la plate-forme Coursera, et n’existe pas encore au sein d’edX. Udacity quant à elle, n’a pas développé de services de certification biométrique et a donc passé un accord avec une entreprise spécialisée dans la certification à distance, ProctorU. Les revenus sont partagés entre les deux parties prenantes. Cependant, si la certification biométrique rend la triche significativement plus compliquée, elle ne l’empêche pas totalement.
La certification en présentiel permet donc de donner davantage de crédit aux certificats obtenus en suivant des MOOC. L’authenticité de ces certificats est nécessaire pour leur reconnaissance au sein du système universitaire. Des négociations sont en cours entre les plates-formes et l’American Council of Education, l’organisme américain qui prend les décisions relatives à l’accréditation des cours. Si pour le moment leur nombre est réduit, de plus en plus de MOOC sont reconnus de manière institutionnelle. L’exemple le plus connu est sans doute Udacity, dont six cours donnent accès à des crédits au sein de la California State University et de nombreuses universités américaines. Cette reconnaissance des certificats est une grande victoire pour les entreprises comme Udacity ou Coursera, mais elles n’ont cependant pas les infrastructures pour faire passer les examens, il leur faut donc faire appel à des partenaires externes. C’est pour cette raison qu’edX et Udacity ont passé un accord avec Pearson VUE, dont les 4000 centres d’examens sont répartis à travers 170 pays. Les revenus issus de cette certification en présentiel sont ensuite partagés entre les partenaires.
Pour résumer, les plates-formes américaines captent via la certification l’essentiel des revenus issus des MOOC. Elles reversent une partie des bénéfices lorsque des partenariats sont mis en place pour la certifier les participants. Udacity rémunère directement les enseignants tandis que Coursera et edX reversent une partie de leurs bénéfices aux établissements. Coursera reverse entre 6 et 15% des revenus et 20% des bénéfices aux établissements; edX reversera 50% des revenus, mais après avoir prélevé les premiers 50.000 dollars. Enfin, les établissements financent la création des cours via les salaires de leurs enseignants et en payant d’éventuels prestataires de service.
Nous avons donné un aperçu qualitatif du fonctionnement actuel du système. Il faut cependant savoir que le modèle est loin d’être viable économiquement, car moins de 10% des participants en moyenne obtiennent la certification, encore moins pour ce qui est de la certification payante. Ce sont donc les investissements qui font tourner la machine, d’une part ceux des établissements à l’origine des cours, d’autre part les dizaines de millions de dollars investis dans les plates-formes. Nous sommes typiquement dans le modèle des start-ups de la Silicon Valley: Build now, Monetize Later. Cependant, il est clair que ce modèle doit évoluer rapidement, au risque de voir les MOOC se faire plus rares faute de viabilité économique. Quelles sont les autres pistes de monétisation envisagées? Qui pourra tirer bénéfice des évolutions du modèle? Des entreprises spécialisées vont-elle apparaître?
La suite dans le prochain billet.
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