Nous avons vu dans le dernier billet que des entreprises spécialisées dans l’organisation de MOOC allaient probablement apparaître à court terme. Les MOOC sont actuellement organisés à perte par des établissements qui investissent pour se positionner comme leaders dans le domaine. La prestation de services est donc sans doute le modèle économique le plus adapté à la situation actuelle pour profiter de ces investissements. Cependant, un modèle économique plus favorable aux organisateurs du cours doit être trouvé pour permettre le développement de l’activité sur le long terme. Quelques pistes de réflexion.
Certes les MOOC fournissent une visibilité certaine sur la toile et justifient de ce fait un investissement conséquent; mais pour que les MOOC s’installent de manière pérenne, il faudra trouver un modèle économique viable pour les organisateurs. Après tout, nous parlons bien de la massification de l’éducation, de l’enseignement supérieur et de la formation continue, ce serait bien le diable s’il n’y avait aucune opportunité pour des entrepreneurs audacieux. Dans le contexte actuel, quelles stratégies mettre en place pour toucher le gros lot ? Qui est le plus susceptible de sortir vainqueur de cette nouvelle bataille du numérique ?
Tout d’abord, il est clair que ce n’est pas en allant sur Coursera ou sur edX que les organisateurs rentreront dans leurs frais. Coursera prend entre 85 et 94% des revenus, et edX « seulement » 50%, mais après avoir empoché les premiers 50.000 dollars (cf. Les MOOC vont-ils transformer le marché du savoir?). Pour facturer soi-même, il faut donc utiliser ses propres moyens, soit développer sa plate-forme (mais cela peut coûter cher), soit utiliser une plate-forme extérieure. Dans ce dernier cas, on peut soit utiliser gratuitement une plate-forme open source si la licence le permet, soit payer pour l’utilisation de la plate-forme (licence ou partage des revenus). Mettons de côté la question pour le moment et admettons que le problème soit réglé d’une manière ou d’une autre; maintenant comment monétiser les cours?
La première option consiste à utiliser la plate-forme comme place de marché (modèle « marketplace » ou « billeterie », cf. Udemy). Les cours seraient payants – le prix étant fixé par l’enseignant – et l’entreprise prendrait une commission sur les sommes versées par les étudiants aux enseignants (pour information Udemy prend 30%). La plus-value apportée par l’entreprise pourrait être la sélection des cours a priori ou a posteriori pour garantir leur qualité. Comme nous l’avons discuté dans un billet précédent, cette approche permet de s’affranchir de l’investissement nécessaire à la création des cours. Après tout, c’est en appliquant cette stratégie que Coursera s’est développée si vite. La seconde option consiste à investir pour devenir « propriétaire » des cours, quitte à ce que les enseignants touchent des royalties, selon le modèle « éditeur » ou « librairie » (cf. Lynda.com). Enfin, le dernier cas est celui de l’enseignant lui-même, qu’il choisisse une plate-forme de type marketplace ou une plate-forme de type éditeur. Le problème est à peu près le même dans les trois cas, car il s’agit ensuite d’attirer suffisamment de participants pour rentrer dans ses frais et éventuellement faire des bénéfices. Rappelons que les cours d’Udemy, alors qu’ils ne rassemblent « que » quelques centaines d’étudiants, peuvent rapporter plusieurs dizaines de milliers de dollars à leur organisateur. Qu’en est-il de cours qui rassemblent des milliers voire des dizaines de milliers de participants ? Quelles stratégie adopter pour profiter de cette massification de l’apprentissage?
Faire chuter les prix. Que les cours soient payants, rien d’anormal; après tout, si c’est gratuit, c’est que quelqu’un d’autre paye. Qui plus est, payer contribue à maintenir la motivation pour aller au bout du cours et « rentabiliser » l’investissement. Mais la massification faisant baisser le coût unitaire de la formation, autant en faire profiter les apprenants. Plus le prix du billet d’entrée sera bas, plus nombreux seront les participants. Plus les participants seront nombreux, plus l’organisateur pourra se permettre de faire baisser le prix du billet d’entrée. Ce cercle vertueux est sans doute à l’origine du succès spectaculaire du géant de l’apprentissage des langues en ligne Busuu. En plus de son service de base gratuit qui sert de produit d’appel, Busuu propose une suite de services Premium (cours de grammaire, fonctionnalités particulières, etc). Ce service coûtait un peu plus d’une dizaine d’euros par mois il y a quelques années, ce qui était déjà bon marché à l’époque. Ce prix bas a permis à l’entreprise de concurrencer des entreprises déjà bien positionnées sur le secteur comme son principal concurrent Livemocha, qui avait une base de plusieurs millions d’utilisateurs. Au fur et à mesure que la communauté Busuu grandissait, le prix des services Premium a baissé pour atteindre environ 5 euros. Livemocha est depuis en chute libre, la communauté a fondu comme neige au soleil, et l’entreprise s’est faite racheter par l’éditeur de logiciel Rosetta Stone. Busuu rassemble désormais la plus grande communauté d’apprenants de langues en ligne avec environ 25 millions de personnes inscrites.
La morale de cette histoire, c’est que faire chuter le prix du cours est sans doute la manière la plus simple de conquérir le marché. Tout le monde est gagnant, l’enseignant, l’apprenant. Il n’y aura pas de massification avec des cours à plus de 100 euros comme on peut en voir sur Udemy. Je pense que 5 à 10 euros pour une formation de deux mois est une somme tout à fait raisonnable. De manière peu étonnante, cette vision des MOOC est souvent critiquée, et on hurle à la financiarisation de l’enseignement. La financiarisation de l’enseignement n’est pas le problème selon moi; le problème, c’est le prix. Certes la formation initiale est gratuite ou presque en France, mais ce n’est pas le cas de la formation continue. Quand les établissements d’enseignement supérieur offriront des formations continues en présentiel à 5 euros pour deux mois de cours, alors ces critiques seront légitimes. En attendant, elles coûtent parfois plusieurs milliers d’euros, même au sein des établissements publics. La formation continue elle aussi se doit d’être un bien public, et ce n’est pas encore le cas pour le moment. Commencer par diviser les coûts par cent est un bon début pour qu’elle le devienne, et c’est la dynamique qui est à l’oeuvre dans le MOOC de Gestion de Projet.
Le choix du sujet est crucial pour le succès des cours, simple question de marketing. Les compétences utiles dans la vie professionnelle sont évidemment en première ligne: anglais, gestion de projet, management, marketing, communication, finance, etc; c’est ce que les anglo-saxons appellent les business skills. Là où les choses se corsent, c’est que dans le cas de cette niche il peut y avoir compétition entre les organismes de formation et les établissements d’enseignement supérieur comme les écoles d’ingénieurs ou les écoles de commerce. L’essentiel des participants du MOOC Gestion de Projet étaient des cadres supérieurs qui se formaient en parallèle de leur travail, et non pas des étudiants, qui ne représentaient qu’environ 15% des participants. De quoi confirmer les craintes des organismes de formation qui voient se profiler avec inquiétude un concurrent sérieux. Ce n’est pas pour rien que Rémi Bachelet se positionne sur ce sujet qui est un peu la vache à lait de la formation continue.
Les Cegos et Demos ont donc probablement du souci à se faire. Pourquoi les entreprises paieraient-elles des formations de milliers d’euros à leurs salariés quand une offre bon marché et tout à faire acceptable du point de vue pédagogique existe par ailleurs ? Les organismes de formation ont tout à fait les moyens de se lancer dans la bataille des MOOC, peut-être davantage même que les écoles d’ingénieur ou de commerce, cela ne fait pas de doute. Mais ne risqueraient-ils pas alors de scier la branche sur laquelle ils sont assis, leur modèle économique étant essentiellement basé sur la formation en présentiel ? Cela dit mieux vaut être leader et garder la main que de subir ce changement, quitte à s’auto-phagocyter légèrement par ailleurs. Nous verrons bien ce qui pèsera le plus dans la balance au moment de prendre la décision de se lancer ou de ne pas se lancer.
La formation continue est à mon avis le principal terrain de bataille. D’abord parce qu’il y a une culture de la formation continue payante qui n’existe pas dans la formation initiale, ensuite parce que la demande est bien présente alors que l’offre est particulièrement chère. Certes la concurrence va être rude, mais c’est aussi le cas pour la formation initiale, avec des géants comme Coursera et edX qui ont déjà un certain nombre de longueurs d’avance. Une stratégie payante est sans doute de trouver une niche suffisamment spécialisée pour limiter la concurrence, et suffisamment large pour conserver le caractère massif du cours et les avantages qui vont avec.
Espérons que cette nouvelle guerre numérique crée une émulation propre à stimuler un enseignement de qualité, et que chacun y trouvera son compte, enseignants comme apprenants. Les entreprises proposant de la prestation de service dans le montage de MOOC pourront bénéficier de l’émergence de ce nouveau marché. Bref, tout un écosystème est en train de se créer.
Nous n’avons fait ici qu’aborder brièvement la question des moyens de monétisation en nous concentrant sur une seule stratégie: faire payer le billet d’entrée. C’est certainement la méthode la plus simple, mais ce n’est pas la seule, et peut-être pas la meilleure. Entre tutorat, la formation hybride et la certification, il y a sûrement de nombreuses pistes à explorer. Nous approfondirons le sujet dans le billet: Services Premium pour les MOOC: le tutorat.
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