Au vu du battage médiatique qui s’instaure petit à petit autour des MOOC, il est tentant de se lancer dans l’aventure sans avoir l’assurance que tous les voyants sont au vert. Mais avant de se jeter à l’eau, mieux vaut se poser la question Ce MOOC est-il faisable ? Dans ce billet, nous vous proposons de réaliser une brève étude de faisabilité de votre MOOC…
Nous nous placerons ici dans le cas particulier du xMOOC académique hébergé hors des serveurs de l’établissement, car c’est le cas le plus courant; la situation n’est à mon sens pas très différente pour les autres types de MOOC. Nous reprenons la démarche du billet Monter son MOOC en 7 étapes, mais cette fois en quantifiant de manière approximative les charges de travail associées à chaque lot. Le graphique ci-dessous reprend ces chiffrages en proposant un code couleur correspondant aux différents types d’acteurs à qui ces lots de travail sont attribués ou attribuables: bleu pour l’équipe pédagogique, violet pour l’administration, rouge pour l’équipe technique, jaune pour l’équipe de gestion et d’animation, orange pour les chercheurs. Ce billet est un peu long, mais une fois n’est pas coutume, alors commençons:
Première étape: avoir le feu vert de la hiérarchie. On peut se lancer à titre personnel en tant qu’enseignant-chercheur; mais si on veut bénéficier de la marque de l’établissement, il faut avoir son accord de principe d’une part, et son soutien financier d’autre part (en tout cas ça ne fait pas de mal). La facilité avec laquelle cette étape sera franchie dépendra de la gouvernance de l’établissement; la situation diffère fortement entre les Grandes Ecoles et les universités, et chaque établissement a sa propre culture et donc sa propre approche de la question.
Une fois le principe du MOOC validé, tout n’est pas réglé loin s’en faut. Il faut trouver une plate-forme pour héberger le cours, et que la hiérarchie valide le choix et vice-et-verça. Pour des plates-formes comme Canvas.net qui ne demandent rien de la part de l’établissement et qui acceptent à peu près tout le monde, cela ne pose que peu de problème. Pour des plates-formes comme Coursera ou edX, la question est tout autre. D’une part il faut que la hiérarchie valide la décision d’aller sur une plate-forme américaine, car ce choix est aussi politique, d’autre part il ne faut pas oublier que ces plates-formes n’acceptent que les établissements les plus prestigieux (et les plus riches dans le cas d’edX).
Admettons maintenant que cet obstacle ait été franchi, il faut encore réunir une équipe pédagogique compétente, disponible et motivée, à commencer par le professeur en charge du cours. Si la décision de se lancer émane de la hiérarchie, il faut trouver un enseignant motivé, disponible et compétent. S’il en plus il est réputé, tant mieux, mais je donnerais la priorité à la disponibilité et à la motivation.
Pour un cours magistral d’une quinzaine d’heures, il y a en effet une centaine d’heures « incompressibles » qui ne peuvent être réalisées que par l’enseignant. D’abord une vingtaine d’heures pour la définition des objectifs pédagogiques et la scénarisation, et le reste pour la préparation des supports et l’enregistrement du cours magistral. Pour une heure de vidéo finale il faut compter environ 5 heures de préparation et de tournage, donc autour de 80 heures de travail pour l’enseignant pour un cours magistral de quinze heures.
Si l’enseignant veut prendre en charge la création des activités qui seront proposées aux participants (rappelons que les MOOC sont basés sur la pédagogie active et non pas seulement sur la diffusion de vidéos de cours), il faut compter près de 200 heures entre la conception des activités (devoirs, examens ..) et leur béta-test; et facilement 300 heures pour le lancement, la gestion et l’animation du cours. Trouver un enseignant capable de s’investir 100 heures sur un tel projet, ce n’est pas facile, mais près de 600 heures comme l’a fait Rémi Bachelet pour le MOOC Gestion de Projet, c’est à peu près impossible.
Il faut donc envisager de déléguer certains lots de travail. Les activités, devoirs et examens sont souvent mis au point et beta-testés par un ou plusieurs doctorants, sous le contrôle de l’enseignant bien évidemment. La gestion et l’animation du cours peuvent être confiées à des étudiants ou des bénévoles, ou même à des professionnels de la gestion de projet si le budget le permet. Il est cependant souhaitable que l’enseignant supervise l’ensemble des opérations à défaut de réaliser l’ensemble des tâches, car il est risqué de réduire son rôle à celui de créateur de contenu.
On peut faire l’analogie avec le cinéma; contrairement aux anciennes pratiques du e-learning, le MOOC remet l’enseignant au centre du dispositif (cf. le billet de Christine Vauffray Le MOOC, ou le retour du prof). Celui-ci n’est donc pas uniquement un acteur, mais aussi le réalisateur du cours. On met sa réputation en jeu en organisant un MOOC, et c’est prendre un risque certain que de confier entièrement sa réputation à des prestataires externes ou à des bénévoles.
Dans la mesure où il est nécessaire de réunir une petite équipe, un minimum de travail administratif est requis pour la gestion des aspects administratifs liés au recrutement. Par ailleurs, dans le cas de Coursera et d’edX, il faudra un certain temps aux services juridiques de l’établissement pour examiner et négocier le contrat. Plusieurs semaines c’est très probable, beaucoup moins pour des plates-formes comme Canvas.net. J’estime à un peu plus d’une centaine d’heures le temps nécessaire au recrutement de l’équipe et la mise en place des partenariats, ces charges incombent essentiellement à l’administration et aux services juridiques de l’établissement, respectivement.
Une fois le cours conçu, la campagne de recrutement des participants est indispensable si on ne bénéficie pas de la visibilité d’un portail comme Coursera; nous avons abordé cette question dans le billet MOOC: où trouver 10.000 étudiants ?. Il y a deux composantes: une composante « officielle » (communiqués de presse, annonces, etc) qui incombe au service de communication de l’établissement, et une composante « webmarketing » qui consiste à rechercher des participants sur la Toile, et qui est à la charge de l’équipe-projet. Entre la communication et le pré-MOOC, j’estime la charge de travail à 150 heures pour un MOOC hors Coursera; à mon avis c’est un minimum. Des bénévoles ou des étudiants peuvent se charger de ce travail, qui nécessite de maîtriser les réseaux sociaux et les outils du web en général, pourquoi pas un webmarketer si on les moyens de le payer.
Nous avons fait le tour des lots de travail obligatoires, nous allons terminer par les options. Pour un support de cours de qualité professionnelle, il faut compter une bonne vingtaine d’heures de travail (tournage, montage, post-production, etc) pour une heure de cours finale (et je suis optimiste, on m’a déjà dit 30 heures pour une heure). Donc environ 300 heures pour un cours magistral d’une quinzaine d’heures. Si vous n’avez pas les moyens de payer une équipe professionnelle pour le tournage de l’intégralité du cours, cela vaut peut être la peine de concentrer les moyens sur la vidéo d’introduction, qui ne dure que quelques minutes mais qui fait office de vitrine du MOOC.
Deuxième option: le beta-test du cours avec quelques dizaines de participants. Ce lot de travail permet de s’assurer de la bonne organisation de l’équipe et d’en repérer les éventuels dysfonctionnements. Autant le beta-test des ressources et activités est à mon sens indispensable pour s’assurer de la cohérence du parcours pédagogique, autant le beta-test du cours à échelle réduite demande beaucoup d’énergie (une centaine d’heures de travail pour le recrutement des béta-testeurs, l’organisation du beta-test, etc) sans être crucial. De toute façon, à mon sens, rien ne prépare complètement à faire face à une audience de plusieurs milliers. Même si c’est bien évidemment un plus, c’est un investissement qui n’est peut-être pas indispensable.
Dernière option: le bilan et la valorisation, que j’estime à une centaine d’heures. On peut lancer un cours sans en faire le bilan, mais cela n’est pas très sérieux. Il y a toujours des choses à améliorer d’une part, et il est important de partager son expérience avec le reste de la communauté MOOC d’autre part, que le cours ait été ou non un succès. Les retours d’expérience sont des informations précieuses pour les autres concepteurs de MOOC et surtout pour l’organisation des prochaines sessions du cours. La cerise sur le gâteau c’est d’avoir un chercheur (moi ou d’autres) qui creuse dans vos données et en fasse une publication, mais bon, encore faut il en trouver qui aient la disponibilité et la compétence (c’est rare).
Je ne suis pas en train de dire qu’il faille obligatoirement attendre que tous les voyants soient au vert avant de commencer. Après tout, quand nous avons décidé de lancer le MOOC Gestion de Projet avec Rémi Bachelet, nous n’étions que deux; en quelques semaines une équipe s’est constituée et tous les obstacles ont été levés. Cela dit, je doute qu’il ait été possible de faire cela sans les qualités de chef de projet de Rémi. Je recommande donc un minimum de prudence pour ceux qui se lancent pour la première fois. Par ailleurs, en regardant ce graphique, on comprend mieux pourquoi le budget d’un MOOC peut dépasser les 50.000 euros. Passer par des bénévoles et des étudiants est une solution envisageable même si elle présente des risques. Rappelons que le budget du MOOC GdP était de 400 euros (mon salaire et celui de Rémi exclus), et qu’il a somme toute très bien marché. Mais bon, un peu de pragmatisme ne fait pas de mal, donc si vous arrivez à valider chacun des points que nous avons discutés dans ce billet, c’est que votre MOOC est probablement faisable …
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