Google et les MOOC : petites explications

Il y a quelques jours, j’ai été  stupéfait en lisant Le Monde sur mon téléphone. Il paraîtrait que nous utiliserions une plate-forme de Google pour héberger les MOOC français dans le cadre du programme France Université Numérique. On rapporte même que j’aurais dit textuellement « La plate-forme de Google est une Rolls »… Certes le géant de l’Internet s’intéresse aux MOOC, mais la plate-forme française, et à plus forte raison la plate-forme edX, n’appartiennent pas à Google. Cette confusion est suffisamment sérieuse pour mériter un petit article de blog. Nous allons en profiter au passage pour tenter de décrypter un peu les intentions de l’entreprise de Mountain View.

Pour commencer, petit rappel historique : edX a été fondé en avril 2012 par le MIT et Harvard. L’objectif était de fournir une alternative crédible à Coursera et de développer une technologie open source de qualité. Le consortium a tenu ses promesses et le code d’Open edX a été libéré le premier juin 2013, donnant à l’ensemble de la communauté internationale un des outils les plus performants qui soit pour organiser des cours en ligne. Pendant que Harvard et le MIT bataillaient dur pour mettre en place leur technologie, Google tentait de développer sa propre techno open source : Course Builder. Parallèlement, plusieurs cours portant sur l’utilisation des technologies Google étaient lancés. Le projet Course Builder a fait un flop : développement trop lent, manque de fonctionnalités, difficulté à fédérer une communauté. En septembre 2013, le géant du Net abandonnait le projet pour annoncer son alliance avec le consortium edX. Il apporterait sa force de frappe pour donner à la technologie Open edX une toute nouvelle dimension. Le projet s’appelle tout simplement mooc.org. Il devrait être pleinement fonctionnel dans le courant de l’année 2014.

L’idée est de créer un Youtube du MOOC. Pour résumer, l’arme absolue. edX permet d’enseigner à l’ensemble de la planète, certes. La technologie est open source. Encore mieux. Mais pour ce qui est de l’installer tout seul, ce n’est pas exactement une partie de plaisir. Certaines startups sont parvenues à la faire, comme Neodemia ou Variable. L’INRIA est en train de le faire dans le cadre de France Université Numérique. Mais cette technologie est un mammouth. L’installer prend du temps, et nécessite une bonne maîtrise de l’administration système et du langage de programmation Python. Bref, ce n’est pas à la portée de M. Tout-Le-Monde. A travers mooc.org, Google se propose de faire sauter cette barrière à l’entrée en offrant à tout un chacun la possibilité d’offrir son MOOC en se basant sur la technologie edX.

Est-ce que cela veut dire que nous avons livré l’enseignement supérieur français à Google en choisissant la technologie du consortium edX ? Absolument pas. J’ajouterais même : « bien au contraire ». J’ai demandé à ce que ma citation soit corrigée dans le Monde. Elle l’a été, mais le mal est fait. Comprenez bien que la plate-forme que nous avons choisi n’appartient pas à Google, mais a bien été développée par Harvard et le MIT. Imaginez que l’on ait choisi un outil de moins bonne qualité qu’edX, ou que nous ayons pris la décision de faire développer un outil sur mesure, retardant d’au moins un ou deux ans le lancement du projet. Beaucoup d’établissements pourraient alors choisir d’aller sur mooc.org plutôt que sur le portail que nous développons dans le cadre de France Université Numérique, sous prétexte que la technologie offerte par edX et Google est plus performante que celle proposée par le Ministère. Du fait de notre choix, la bataille ne se jouera donc pas sur la technologie – à condition que la gestion de la plate-forme soit réalisée correctement – mais sur le terrain de la visibilité.

Pour les établissements français, il est vital de disposer d’un portail qui serve de vitrine commune. Nous avons suffisamment insisté sur le fait que Coursera n’acceptait que les établissements les plus réputés. Il fallait une alternative ouverte à tous les établissements. Se lancer sur mooc.org cela signifie mélanger ses cours à l’ensemble des MOOC qui y seront proposés. Nous aurions des cours de la Sorbonne au milieu de cours sur le traitement des puces chez les labradors à poil long faits par Madame Michu. Plus sérieusement, même s’il est décidé de réaliser des catégories : particuliers, établissements, business, Google imposera sa loi. Car il est certain que le géant du Net ne se lance pas dans un tel projet sans arrière-pensée. Tout l’enjeu porte sur la question suivante : « Comment les internautes vont-ils choisir leur cours ? ». Plutôt que d’investir sur le terrain de la plate-forme d’enseignement, qui n’est pas son point fort, Google veut désormais se positionner sur ce qui a fait son succès : le référencement. Coursera verse déjà des sommes considérables à Google pour augmenter le référencement de ses cours et sa propre visibilité. Le géant de Mountain View ambitionne d’étendre le modèle à l’ensemble de la planète.

Pour être mieux référencé, et donc plus visible, il faudra certainement payer une certaine somme à l’entreprise. Voilà un business model qui tient la route. Tout va donc se jouer sur les usages dans la recherche de cours. De nombreux sites sont en train de se mettre en place. Certains site comme Class Central référençaient il y a encore quelques mois l’ensemble des MOOC. Ils sont cependant complètement débordés par l’afflux massif de nouveaux MOOC.  Par ailleurs, un simple référencement ne suffit plus. Avant de choisir, certaines personnes apprécient d’avoir des retours sur les cours; c’est la raison pour laquelle des sites de notation par les participants comme Coursetalk se sont mis en place. Cependant, bien que les sites de notation et de recommandation de cours en ligne aient un avenir certain, ils ne drainent pour le moment pas une audience suffisante en comparaison avec les portails de Coursera par exemple. Portails, Google, sites de recommandation de cours. Nous verrons bien qui l’emportera dans le marché de la visibilité des cours. L’enjeu est de taille, car la visibilité, c’est ce qui fait la différence entre un cours avec 100 et un cours avec 10.000 participants. Si des business models se développent, et personne ne se fait de doute sur ce point, la question de l’audience deviendra aussitôt un enjeu économique, et Google l’a bien compris.

L’échec de Google à développer une plate-forme d’enseignement open source capable de rivaliser avec edX est un argument de poids pour justifier le bien-fondé des choix effecutés dans le cadre du projet France Université Numérique. Le Syntec Numérique, syndicat des entreprises du numérique, dont certaines auraient sans doute bien aimé récupérer une part du gâteau, s’est plaint par voie de presse de ces choix. Bien que je comprenne nombre des arguments avancés, je doute que des entreprises françaises auraient réussi en un temps record là où Google a échoué. Dans le laboratoire où je travaille, Sciences Techniques Education et Formation, nous étudions, entre autres, l’histoire du numérique éducatif, en particulier en France. Cette histoire est émaillée d’échecs retentissants, et il était temps de tirer parti des leçons du passé. Je reste persuadé que le choix de la technologie pour la plate-forme de MOOC de FUN est excellent.  En somme, nous n’avons pas choisi Google, c’est Google qui a fait le même choix que nous. Et ça c’est plutôt bon signe pour nous …

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