Une fois encore, je souhaiterais revenir sur ce projet d’application pour apprendre les langues, mais cette fois sous l’angle de l’apprentissage du vocabulaire. Quels exercices concevoir pour acquérir rapidement du vocabulaire d’une langue que l’on ne connaît pas, et quelles stratégies faut-il mettre en place pour les développer ? Aujourd’hui, nous nous intéressons aux techniques « low cost » pour accélérer la phase dite d’expansion de vocabulaire, l’une des étapes les plus importantes de l’apprentissage d’une langue.
Avec 300 mots en poche, on ne va pas bien loin. Avec 5 à 6000 mots, on commence à être plus à l’aise. Mais alors comment accélérer ce processus ? Beaucoup de sites se contentent de fournir du vocabulaire sans exercices. Dans Rosetta Stone (RS), on trouve ainsi des listes de mots avec leur prononciation (l’outil Audio Companion de RS pour ceux qui connaissent). Certains sites vont un peu plus loin en proposant des petites histoires pour introduire quelques mots. Vous avez notamment ce type d’approche avec Spanishpod, Chinesepod, et bien d’autres.
Mais à mon sens, la méthode la plus efficace pour acquérir du vocabulaire passe par des exercices d’application, la simple « exposition » via des listes ou des podcasts ne suffit pas. Et quand je dis exercices, je pense simplement aux QCM et aux questions fermées, rien de plus. Il y a de nombreuses façons de faire. Dans le cas de l’approche référentielle, on associe un mot à une image. C’est également la technique employée par Rosetta Stone (qui repose sur le principe de l’immersion dynamique). Mais dès que les concepts deviennent un peu plus compliqués, il est très difficile de poursuivre de cette manière. Je souhaite bien du plaisir à ceux qui voudront représenter par un dessin le terme « rapidement » ou le mot « abstraction ».
Si on veut être efficace et traiter des listes de vocabulaire importantes, il faut à mon sens passer par des associations mot de la langue-cible/mot de la langue-source (i.e. chat/cat). Certains sites proposent d’associer un moyen mnémotechnique pour faciliter l’acquisition du mot (créés par les participants selon le principe du crowdsourcing : Figure, Memrise). Pour tester le tout, des QCM feront très bien l’affaire, dans le sens thème (Figure, Memrise), ou version. Reste à concevoir les distracteurs, c’est-à-dire les mauvaises réponses du QCM, de telle sorte qu’il ne soit pas trop facile de trouver la bonne réponse. Le niveau de difficulté des exercices dépend en grande partie du choix des distracteurs. Pour aller plus loin et supprimer la part d’aléatoire inhérente aux QCM (on peut « deviner » ou mettre au hasard), il faut aller jusqu’à la question fermée, dans le sens thème ou le sens version (Figure, Memrise), avec pourquoi pas quelques indices pour des exercices de difficulté intermédiaire (Figure, Babbel). Soit on connaît, soit on ne connaît pas. Difficile de tricher dans ces conditions.
Cependant, cette approche a également ses limites du fait de la polysémie des mots, c’est à dire le fait qu’un mot peut avoir plusieurs sens. Exemple: le mot pièce, parle-t-on de pièce de monnaie, de pièce de théâtre, de chambre ? Il faut trouver une solution. Pour contourner le problème, un certain nombre de sites proposent des phrases d’exemple pour illustrer chaque mot, et traduites, comme il se doit (Figure, Busuu, Figure, Iknow). Cela ne résout pas entièrement le problème de la polysémie, mais cela le réduit considérablement. Mais bon, mine de rien cela veut dire qu’il faut concevoir des milliers de phrases d’exemple, et les traduire. Comment va-t-on faire ?
Où trouver des listes pertinentes de milliers des mots traduits et en licence libre, qui plus est avec des phrases d’exemple ? Il y a bien quelques sites (Anki, Tatoeba), mais tout est en vrac. Comment faire pour mettre au point un programme d’apprentissage du vocabulaire cohérent ? Vaste question. A mon sens, l’approche la plus simple consiste à sélectionner les 5000 – 6000 mots les plus utilisés, de construire ou sélectionner les phrases d’exemple correspondantes, les traduire, puis créer les exercices associés à partir de ces mots et de ces phrases. Eventuellement compléter par des phrases crowdsourcées. C’est en tout cas la démarche que j’ai choisie et sur laquelle nous reviendrons…
Voilà quelques pistes à explorer pour ce qui est de la mémorisation du vocabulaire pour cette future appli pour MOOC de langues. A noter que nous nous sommes concentrés presque exclusivement sur la mémoire visuelle dans ce billet. Il reste tout un travail de mémorisation auditive et de travail de l’écoute à mener, mais chaque chose en son temps. Sans compter que l’on a parlé du type d’exercices qui nous intéresse, mais pas tant de la manière de les concevoir, ni de les séquencer. Crowdsourcing, algorithmes de Traitement Automatique du Langage (TAL), ancrage mémoriel et apprentissage adaptatif. Autant de sujets que nous aborderons dans les prochains billets pour approfondir ces questions que je trouve passionnantes (et j’espère n’être pas le seul 🙂 ).
Tout ça peut vous sembler opaque au premier abord, mais cela s’éclaircir au fil des billets. Dans une logique de DIY, je cherche ni plus ni moins à me servir des ressources libres du Net pour créer sans débourser un euro (ou presque) un produit d’apprentissage plus puissant que celui proposé par des entreprises cotées en bourse (comme Rosetta Stone), et qui ont coûté des millions, au moins. Vive l’innovation frugale et efficace ! Ça semble ambitieux dit comme ça, mais rassurez-vous il ne s’agit pas d’un péché d’hybris; ce type de projet est loin d’être infaisable. Cela dit, ce n’est pas si simple non plus. D’où l’intérêt de se creuser un peu la tête. Et tant qu’à faire, autant le faire ensemble.
PS : Je souhaiterais anticiper un peu sur les remarques de profs de langues, car la méthode que je préconise ici, dite structuro-globale, est populaire auprès des startups, mais n’est plus en odeur de sainteté auprès des didacticiens des langues depuis des décennies, on me l’a bien fait comprendre. Pour reprendre les termes de la psychologie cognitive (de la mémoire), tous ces exercices ne servent que pour les phases d’encodage et de stockage. Pour la phase dite de récupération (i.e d’application en contexte du vocabulaire), rien de tel que la pratique, les conversations, synchrones ou asynchrones, etc. Je ne m’oppose pas à la méthode communicative ni à l’approche actionnelle bien au contraire; je pense simplement qu’elles ne prennent leur sens que dans un second temps. Et je compte bien les mettre en application, avec votre aide ….
2 Responses to Faire son MOOC de langues sans budget (épisode 2 : le vocabulaire)