Du MOOC à l’apprentissage adaptatif : le problème de la personnalisation

http://www.dreamstime.com/royalty-free-stock-photography-3d-confused-man-image24019587Le phénomène MOOC suscite des réactions variées, de l’espoir pour ceux qui y voient une démocratisation de l’accès au savoir, de l’inquiétude pour ceux qui voient un risque d’homogénéisation de l’enseignement et l’apparition d’une certaine forme de taylorisme pédagogique (cf. cet article paru dans le Monde des Lecteurs). Cette polémique me donne envie de revenir sur la question de la personnalisation de l’apprentissage au sein des Environnements Informatiques pour l’Apprentissage Humain, dont les plates-formes de MOOC font partie (EIAH, c’est le terme scientifique pour désigner tout dispositif d’enseignement basé sur l’informatique). Bref retour sur près d’un demi-siècle de développements scientifiques et techniques.

La problèmatique de la personnalisation au sein des EIAH n’est pas nouvelle. Elle est même au cœur de la réflexion.  Cependant, les recherches sur le sujet étaient restées cantonnées jusqu’à présent au cercle restreint des laboratoires. Avec l’essor des MOOC et les millions de participants qui vont avec, la question de la personnalisation (médiée par l’informatique) revient sur le devant de la scène et entre à nouveau dans la sphère publique. Quels sont les éléments susceptibles d’être personnalisés dans un MOOC: tout d’abord, le parcours au sein des ressources pédagogiques et des activités, ensuite les interactions entre participants … Deux questions centrales : Comment définir des stratégies de personnalisation à partir des éléments à la disposition des équipes pédagogiques  ? Enfin, quels sont les enjeux de la personnalisation de l’apprentissage du point de vue pédagogique ?

Depuis les années 60 (et même avant), la recherche en EIAH s’est penchée sur la question de la personnalisation des parcours des apprenants. Parmi les recherches les plus connues, il y a celles sur les hypermedia adaptatifs (Adaptive hypermedia, ou AH), qui  se basent sur des modèles prenant en compte les objectifs et les préférences des utilisateurs pour leur proposer, par exemple, des chemins de navigation optimaux sur Internet (Brusilovsky, meilleure référence sur le sujet). Cette démarche tend à minimiser le risque de se perdre au sein de la masse d’information disponible en ligne, tout en évitant une inadéquation entre le contenu pédagogique proposé et les objectifs et connaissances des utilisateurs.

Par ailleurs, depuis une quarantaine d’année s’est développée une réflexion autour des tuteurs virtuels (« assistants intelligents », ou intelligent tutoring systems, ITS). Ce sont des programmes informatiques qui permettent une personnalisation et une optimisation des parcours d’apprentissage au sein d’un environnement en général fermé (Shute 1995). Ils aident à trouver le chemin optimal au sein des matériaux pédagogiques (et en particulier les exercices) en prenant en compte, entre autres, les résultats des évaluations et les connaissances préliminaires. En addition de leur fonction pédagogique, ils peuvent avoir vocation à certifier l’acquisition des compétences grâce à un processus d’évaluation automatisé. Dans le milieu académique, les tuteurs virtuels ont été utilisés dans de nombreuses disciplines depuis les années 1970 : la médecine (Suebnukarn 2006), la programmation (Brusilovsky 2010), l’électronique (Psotka 1988), la physique (Gertner 2010), les mathématiques (Chen 2008). La plupart des chercheurs du domaine sont issus du monde de l’informatique et l’intelligence artificielle. Les meilleures confs sur le sujet sont ITS (pour Intelligent Tutoring Systems), et dans une certaine mesure, EDM (Educational Data Mining).

Depuis quelques années, l’importance de la personnalisation au sein des EIAH est sortie du cadre purement académique pour être appliquée de manière croissante au sein de plates-formes commerciales (comme Knewton, Carnegie Learning et consort) utilisées par des écoles et des établissements d’enseignement supérieur, essentiellement aux U.S. (on est comme d’habitude en retard en France). Les algorithmes de recommandation qui y sont développés permettent de suggérer à l’utilisateur la ressource la plus adaptée à son historique d’apprentissage, et ce à différents niveaux de granularité.

Il ne faut surtout pas confondre les ITS avec les SRS (Spaced Repetition System, comme Memrise ou Iknow.jp), qui sont basés sur la répétition espacée et dérivent dans une large mesure de l’esprit de l’enseignement programmé et de la machine de Skinner (en France, regardez Kwyk, Domoscio, ou Orthodidacte et le Projet Voltaire de Woonoz pour l’orthographe). Ils intègrent en général la dimension temporelle de l’apprentissage et se basent parfois sur les courbes d’oubli. Ils sont par exemple utilisés pour la mémorisation de listes de vocabulaire (Nation 2011). Mais contrairement aux ITS qui adaptent la séquence d’apprentissage en fonction du comportement de l’apprenant, les SRS proposent en général une séquence prédéterminée. On insiste sur les items que l’utilisateur a plus de mal à mémoriser.

La question de la personnalisation au sein des MOOC se pose de manière différente entre MOOC connectivistes ou cMOOC, et MOOC transmissifs ou xMOOC. Dans les cMOOC, l’apprenant construit lui-même son parcours au sein des ressources disponibles en ligne, en lien avec les autres participants du cours. Pas de personnalisation à proprement parler, mais une certaine liberté de navigation (ne pas confondre les deux SVP),  la « recommandation » de ressources reposant sur les autres participants. A l’inverse, les premiers MOOC lancés sur Coursera et consort reposent eux sur un chemin d’apprentissage linéaire, et la personnalisation n’est pas de rigueur.

Au mieux, on peut proposer des parcours aux niveaux de difficulté distincts, correspondant aux différents niveaux d’engagement des participants. Mais malgré la grande quantité de données récoltées tout au long du MOOC sur le comportement des participants, il n’y a pas d’utilisation de ces données pour personnaliser le cours en temps réel, ce qui constituerait une plus-value certaine en termes d’expérience d’apprentissage. En revanche, on voit mal comment une telle démarche pourrait être employée par des enseignants qui découvriraient la formation en ligne, et soumis à de fortes contraintes temporelles. Cela va beaucoup plus loin que le fait de faire des vidéos, et cela demande pas mal du temps et de réflexion sur le plan pédagogique.

Hors des plates-formes de MOOC, les rares technologies « grand public » comme Smart Sparrow ne permettent qu’une navigation au sein de parcours prédéterminées. On ne peut pas parler d’apprentissage adaptatif, loin de là, c’est tout au plus de l’enseignement programmé (ce qui date des années 60). Je suis ébahi de voir qu’il y a plus d’un demi-siècle de décalage du concept entre  le développement et leur implémentation pour le grand public (et encore, on est surtout en B2B). La plupart des expérimentations n’ont jamais dépassé le stade du prototype de laboratoire. Même les meilleurs tuteurs, comme le tuteur Andes en physique développé par l’université de Pittsburgh, sont bien trop peu « user-friendly » pour passer à l’échelle. Aux U.S.A, tout une industrie est en train de naître autour de l’apprentissage adaptatif (et cela a commencé il y a quinze ans). Peut-être une question de marché ? Pas assez de demande sur ces thème-là ? En tout cas ça bouge en ce moment, et il y a vraiment de la marge de manoeuvre pour des entrepreneurs de l’éducation en mal d’idée … A bon entendeur salut …

 PS : Pour la biblio, c’est ici http://goo.gl/1lD7R8

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