Du MOOC à l’apprentissage adaptatif : ce qui va bloquer

Depuis quelques billets, nous avons abordé la question de l’apprentissage adaptatif et des tuteurs intelligents. Un sujet qui n’est pas simple à vulgariser. Pour les MOOC, c’est facile, n’importe qui peut se connecter à Coursera ou FUN. C’est plus compliqué pour l’apprentissage adaptatif; la plupart des tuteurs intelligents n’ont pas dépassé le stade du prototype de laboratoire. Et les versions commerciales comme Knewton, Carnegie Learning et consort ne sont pas encore ouvertes au grand public, en plus d’être des « boîtes noires ». Je vous propose donc de revenir brièvement sur les tuteurs intelligents, puis de discuter de certains des problèmes que nous allons rencontrer dès que l’on voudra s’investir là-dedans.

Nous avons déjà évoqué la dernière fois l’importance de l’automatisation dans les processus d’évaluation (avec les tuteurs cognitifs), en particulier pour les compétences complexes; cette démarche peut également être employée pour l’acquisition des compétences, et non pas seulement pour leur évaluation. Nous avions vu comment les systèmes tuteurs intelligents permettaient d’effectuer une évaluation diagnostique de compétences complexes en suivant l’apprenant au cours d’une séquence de questions fermées.  Mais on peut se placer également dans une logique d’acquisition des compétences : le tuteur intelligent peut fournir sur la base du diagnostic effectué des indices qui permettent à l’étudiant de trouver la bonne réponse (Suebnukarn 2006). C’est la composante formative de l’évaluation (que l’on oppose à une évaluation diagnostique). Le tuteur peut également, après l’exercice, orienter l’utilisateur vers des matériaux pédagogiques pour combler les faiblesses qui auront été détecter au cours du processus d’évaluation.

Si les systèmes tuteurs intelligents existent depuis plusieurs décennies, ils ont été développés pour des domaines spécifiques, l’algèbre, la physique newtonienne, la programmation, et il n’y a pas de réelle interopérabilité. Les règles qui régissaient le diagnostic des évaluations et la génération d’indices pour aider les utilisateurs ont toujours été sous le contrôle des concepteurs des programmes en question, et s’extrapolaient difficilement d’une discipline à l’autre (ce qui explique sans doute la faible notoriété des tuteurs intelligents). Il n’existe donc pas à ma connaissance d’outil permettant d’éditer de manière simple, pour un formateur, un tuteur intelligent de telle sorte qu’il puisse effectuer les tâches de diagnostic et d’assistance pédagogique. C’est plus ou moins ce que désire proposer Knewton, si je ne m’abuse, tout en gardant leur machinerie interne comme une « boîte noire ».

Voilà, le problème, c’est que l’on s’expose à un problème très concret si l’on veut généraliser ces approches. Quand bien même des outils grand public émergeraient, qui aura la compétence pour les utiliser ? Si vous êtes normalement constitué, vous devez aussi avoir besoin d’un bon cachet d’aspirine après deux trois articles sur ce sujet. Déjà il faut comprendre le fonctionnement des tuteurs intelligents, les différentes formes de tuteurs, etc. Ensuite il faut comprendre la logique exacte qu’il y a derrière, comment la machine mesure la compétence et adapte les parcours en fonction. Enfin, il faut être capable de modéliser le domaine que l’on souhaite enseigner (on parle d’ailleurs de modèle de domaine), et créer des ontologies compatibles avec les outils que l’on utilise. Idem si l’on veut modéliser des compétences (si vous n’avez jamais entendu parler d’algo-heuristique, lisez cet article) : c’est un véritable cauchemar que de modéliser une compétence, et qui peut représenter un travail considérable (sans compter que vous aurez du mal à trouver deux experts qui pensent de la même manière).

Une démarche relativement complexe tout ça. Quoi qu’il en soit, il faudra être vraiment très motivé si l’on veut s’approprier ce genre d’outils. La barrière à l’entrée est bien supérieure à celle de la conception d’un MOOC, où l’on peut se contenter d’approches finalement très classiques, qui ne correspondent qu’à une simple digitalisation de pédagogies déjà mises en oeuvre dans la salle de classe. C’est compliqué certes, mais si vous cherchez une véritable innovation pédagogique liée au numérique, l’apprentissage adaptatif en est une.

Le bon côté des choses, c’est qu’une fois que vous maîtrisez le processus, cela passe très bien à l’échelle. Si ça marche pour une personne, cela marche pour dix millions. L’enjeu en termes de formation est considérable. Pour le développement du domaine, j’imagine que des modèles économiques se mettront en place pour des compétences à forte valeur ajoutée. Enfin, nous verrons bien. D’ici deux trois ans, ce sera sans aucun doute le nouveau buzz de l’éducation en ligne (les MOOC c’est presque déjà has been), j’en mettrais ma main à couper. En attendant, si vous voulez en savoir plus sur le sujet, je vous recommande le blog de Knewton, relativement bien fait. A bon entendeur …

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