Vous rappelez-vous de cette petite phrase assassine de Sebastian Thrun, “MOOCs are a lousy product” (“Les MOOC sont un mauvais produit”) ? En cause, les faibles taux de réussite d’un de ses cours. Venant d’un enseignant quelconque, on se serait dit « Bon, comme d’hab quoi ». Mais venant de l’un des fondateurs du mouvement MOOC, cette phrase déclencha un véritable coup de tonnerre. Souvenez-vous ! Son cours d’intelligence artificielle, premier du genre, avait attiré près de 160.000 personnes en novembre 2011. Il a même lancé Udacity dans la foulée, une plate-forme de cours en ligne en plein essor et qui propose d’excellentes formations. Cette polémique déjà un peu ancienne m’avait inspiré en décembre un article dans Distance et Médiation des Savoirs, dont je vous livre quelques extraits commentés; elle nous invite à revenir pour la énième fois sur la problématique des taux de complétion.
« Comme pour toute formation j’ai envie de dire, on aimerait mesurer le succès d’un MOOC à l’aune de ce qui a été appris, compris, intériorisé. Néanmoins, la tâche est particulièrement ardue, à plus forte raison du fait de l’absence d’évaluation individualisée, taille de l’audience oblige. On ne saurait résumer l’apprentissage à la somme des ressources qui ont été consultées; cette petite phrase de Justin Reich au sujet de la recherche sur les MOOC résume la situation à merveille: “We have Terabytes of data about what people click, and very little understanding about what changed in people’s heads.” “Nous avons des terabytes de données de clics, mais une bien mauvaise compréhension de ce qui a changé dans la tête des gens” (Reich, 2014). Mais on ne va pas s’arrêter là pour autant; ne pas tenter de mesurer a minima les retours sur investissements serait proprement indécent dans le contexte de crises budgétaires que nous connaissons.
L’erreur, récurrente au demeurant, consiste à vouloir employer des indicateurs de succès qui n’ont de pertinence que dans le cadre des formations dont le public est captif. L’usage du terme “taux d’abandon”, ou son alter ego, le taux de complétion, en est l’exemple typique. Le terme “abandon” suggère qu’il y a eu intention de terminer la formation, une hypothèse on ne peut plus hasardeuse au vu de la facilité déroutante du processus d’inscription (Daniel, 2012). Beaucoup des « inscriptions » s’apparentent davantage à de la navigation sur Internet qu’à une velléité formalisée d’aller au bout d’une formation.
Le choix de critères de succès est rendu d’autant plus difficile que la pertinence d’un indicateur dépend avant tout de l’approche pédagogique suivie et de l’intention de l’équipe. Ainsi, pour les MOOC centrés sur les contenus, le nombre de vidéos vues sera sans doute l’indicateur le plus pertinent, tandis que pour les MOOC centrés sur l’interaction le volume des échanges entre participants sera le paramètre le plus intéressant. Il faut donc raisonner au cas par cas, adopter des approches multi-indicateurs, et se garder de tout raisonnement hâtif. »
Voilà pour ce qui est du choix des indicateurs de succès, question que nous avions déjà abordée il y a un peu plus d’un an dans Educpros et dans La Tribune. Quid maintenant des résultats effectifs ? En général, moins de 10% de ceux qui s’inscrivent à un MOOC le terminent, même si dans certains cas, on monte à 30-40%. Dans une moindre mesure, on retrouve ces chiffres dans la formation à distance , même payante, quoi que moins extrêmes. Les sceptiques se saisissent régulièrement de ces chiffres pour dénoncer l’inefficacité de la formation à distance et légitimer le présentiel, quitte à inventer de nouvelles théories d’apprentissage; les Piaget, Montessori et autres pédagogues en herbe n’ont qu’à bien se tenir.
Ma préférée est la « théorie de la diffusion thermique du savoir » (je viens d’inventer le nom, cherchez pas) : il serait selon toute vraisemblance impossible d’apprendre en l’absence d’un professeur dans la pièce, comme le démontrent ces faibles taux de complétion. Le savoir diffuserait en quelque sorte par rayonnement thermique depuis le point central qu’est l’enseignant, et le processus de transmission serait inversement proportionnel à la distance à celui-ci. Voilà une loi digne de la physique Newtonienne, qui expliquerait pourquoi les étudiants assis au fond de la salle près du radiateur auraient statistiquement de moins bonnes notes que ceux assis au premier rang. Face à tant de science et au vu de l’état des finances de l’Etat, on se demande pourquoi on finance encore la recherche publique en enseignement à distance.
Plus sérieusement. Les faibles taux de complétion des cours en ligne – et des MOOC en particulier –démontrent-il vraiment l’inefficacité du modèle pédagogique de la formation à distance ? Je pense que cela reflète plusieurs phénomènes, mais certainement pas l’absurdité de la formation a distance. Peut-être que cela reflète pour commencer le fait que nombre de conférenciers sont relativement ennuyeux (et moi le premier), et que quand on est ennuyeux en cours, on l’est aussi sur un écran. Comme disait Alfred Capus « Certains hommes parlent pendant leur sommeil. Il n’y a guère que les conférenciers pour parler pendant le sommeil des autres. » Et en ligne, on peut facilement s’en aller si le cours est ennuyant ou inadapté à ses besoins. Après tout, pourquoi se forcer à subir un pensum ? Ce n’est pas comme au cinéma où l’on se sent un tant soit peu obligé de rentabiliser son billet.
Et quand bien même l’on serait motivé par terminer le cours, quand bien même ce-dernier serait-il passablement intéressant, les contraintes temporelles finissent souvent par l’emporter. C’est que la plupart des inscrits sont engagés dans une vie professionnelle, ont une famille, et ont leurs propres priorités. Que de participants nous ont confié qu’ils devaient attendre que la petite famille s’endorme pour suivre, presque en cachette, les MOOC que nous leur proposions, entre onze heures et minuit. Tout le monde n’a pas le courage de se priver de sommeil pour continuer à se former.
Ces taux de complétion ne disent pas grand-chose sur la pédagogie, mais soulignent en revanche l’importance du contexte. Difficile de se faire souffrance en absence de cadre contraignant, quoi de plus normal. Une université à distance ne conviendrait donc pas à tout le monde, et remplacer les campus par des cursus exclusivement constitués de cours en ligne serait une aberration. Pour le commun des mortels, il faut un cadre contraignant solide, que la technologie seule ne saurait apporter. Néanmoins, cela ne décrédibilise en rien le modèle de l’enseignement à distance, massif ou non. Quoi qu’il soit probablement l’un des plus efficaces économiquement parlant, il n’est simplement pas extrapolable à tous. Cela ne veut pas dire que nous ne devons pas continuer à le construire, ni à continuer de mener une réflexion sur la manière d’intégrer les différents systèmes. Force est de constater un certain cloisonnement entre l’institution et l’univers de l’autoformation en ligne ! Il y a bien un moment où il faudra dépasser nos barrières culturelles …
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