Le défi de la classification des participants de MOOC

http://www.dreamstime.com/stock-photo-3d-small-people-complicated-question-image19385560Comme j’essaie de faire en ce moment des taxonomies précises des participants de MOOC, je creuse le sujet. Ah, les taxonomies d’apprenants c’est pas ça qui manque. De Houle à Canfield en passant par Colb et compagnie, on en trouve un paquet dans la littérature. Cela fait des décennies qu’on les classifie sur la base de leurs styles d’apprentissage, de leurs traits de personnalité, de leur façon de raisonner. Mais vu que je fais de la socio-pédagogie et non pas de la psycho-pédagogie, je vous propose d’attaquer cette question sous l’angle des motivations.

Classifier des trucs, c’est quelque chose qu’on aime bien faire en tant que biologiste; c’est un peu au cœur de la démarche naturaliste. Enfant, je passais mes étés au milieu des collections de fossiles, de bocaux remplis de serpents exotiques, de geckos empaillés et de crânes d’animaux divers et variés  (et quand mon petit frère en CM1 ramène un crâne de crocodile en classe, ça en jette). Ah, cette odeur de formol, c’est un peu ma madeleine de Proust. Avec mes frères, on s’amusait à apprendre par cœur les classifications du vivant (Le Guyader et Lecointre, c’est un peu notre Bible), et je m’amuse parfois à extrapoler la démarche à d’autres terrains. Voyons ce que ça donne avec les MOOCeurs.

Commençons par un premier niveau de classification, évident: les MOOC sont avant tout des internautes, de la grande famille des « internautidés ». Le Homo Moocus n’est pas nécessairement un autodidacte en puissance. Nombre de ceux qui visitent les MOOC ne sont guère plus que de simples curieux qui ne font qu’explorer la Toile de manière récréative, selon une approche purement hédoniste. Ils ont entendu parler de tel ou tel MOOC, de telle ou telle plate-forme, et ils veulent voir ce qu’il en est. Une part considérable des « inscrits » n’iront pas se connecter à votre cours ou ne feront guère plus qu’ouvrir quelques vidéos pour voir de quoi il retourne. Cette espèce « cryptique », le Homo Moocus navigatorendum, reste très dure à observer dans son milieu naturel dans la mesure où elle ne va presque jamais intervenir dans les forums ni répondre aux enquêtes en ligne. Ces inscriptions sont à interpréter au même titre que des « pages vues ». Heureusement, ce n’est pas le cas de toutes les inscriptions, parce qu’investir 50.000 euros pour avoir 10.000 pages vues (10.000 inscriptions), c’est plutôt vachement discutable comme investissement. C’est l’équivalent d’une semaine de trafic de ce blog, et croyez-moi je n’investis pas 50.000 euros par semaine dans mes billets. En tout cas, cette considération fait que je suis obligé d’aller lire quelques papiers sur les pratiques de navigation des internautes. Et un cadre d’analyse supplémentaire, un !

D’autres internautes, plus rares, viendront ni pour apprendre ni pour surfer, mais avant tout pour rencontrer d’autres personnes et développer leur réseau. Ce sont les Homo Moocus socialendum. Vous pourrez observer cette espèce sympathique nicher au sein des forums de discussion, des réseaux sociaux, à bavarder avec leurs petits camarades. Ils sont plutôt minoritaires au sein des MOOC, mais vu qu’ils sont très présents dans les forums, il y a une forme de biais de détection. Et enfin, nous avons l’espèce qui nous intéresse et qui concentre l’essentiel de nos recherches, c’est le MOOCeur qui vient avec la ferme intention d’apprendre : le Homo Moocus apprendendum. L’internaute qui est venu avec une visée utilitaire : apprendre des choses. Cette sous-espèce peut elle-même se décliner en plusieurs genres plus ou moins interféconds : ceux qui s’inscrivent dans une démarche professionnelle, les Homo Moocus apprendendum laborendi, et ceux qui s’inscrivent davantage dans une démarche plus personnelle, les Homo Moocus apprendendum amateuris (l’équivalent numérique de ces amateurs éclairés que vous pourrez retrouver dans ces conférences grand public). Avant d’aller plus avant, précisons que tous ces individus appartiennent à la même espèce Homo Moocus et que les différents genres sont interféconds. L’Homo Moocus socialendum d’un jour sera Homo Moocus apprendendum laborendi dans un autre cours. Le contexte fait tout. A mes yeux, ce sont ces Homo Moocus apprendendi qui font l’essentiel de la valeur d’un MOOC et qui justifient parfois les investissements consentis.

On pourrait aller beaucoup plus loin dans notre travail de classification (et d’ailleurs on va le faire dans les mois qui viennent), mais arrêtons-nous là pour aujourd’hui. Avec le recul, la littérature sur la classification d’apprenants ne m’a pas été d’un grand secours. En revanche, il existe une littérature vieille de plus d’un demi-siècle sur les motivations des adultes pour s’inscrire en formation. J’ai déterré récemment des textes des années 70 (Carp, Boshier & co) tapés à la machine à écrire, mais qui apportent au phénomène MOOC un éclairage particulièrement intéressant. Les enquêtes portaient sur des cours du soir essentiellement, suivis pour des raisons professionnelles ou par intérêt personnelles. Certes, les MOOC sont un format particulier, mais dans le fond ne représentent-ils pas justement l’incarnation de ces velléités de formation que l’on étudie depuis plus de cinquante ans ? Rah, fichtre, et moi qui m’était juré de ne pas me laisser aspirer par le cadre d’analyse de la formation des adultes pour rester raisonnable. Tant pis, il va falloir que je creuse aussi dans cette direction ! Moi qui était en période de convergence et qui voulait en finir avec la biblio, c’est raté ! Mon Dieu, mais vais-je terminer cette thèse un jour ?

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