Aujourd’hui, on fait un break sur la question des MOOC, je ne suis pas trop d’humeur à ça. J’aimerais plutôt revenir sur les éléments de mon parcours qui m’ont conduit à devenir activiste; ce sera un peu personnel cette fois et c’est sans doute une erreur, mais qu’importe, j’en ressens le besoin. Et puis c’est important pour comprendre certains des billets à venir. Du coup, je veux aujourd’hui vous raconter comment je suis tombé dans une forme de radicalisme sur les questions d’éducation. Aussi, si vous n’êtes intéressé que par les MOOC, mieux vaut vous en arrêter là pour aujourd’hui et attendre le prochain billet.
Comme j’ai du vous le dire une ou deux fois, j’ai fait toute ma scolarité à Henri IV : collège – lycée – prépa. Après 9 ans passés dans cet établissement, je peux vous dire que sa réputation n’est pas usurpée. C’est un lycée où on travaille dur; le niveau d’exigence est à certains égards supérieur à celui d’une classe préparatoire, surtout en Première/Terminale. Si votre enfant aime être challengé et qu’il a l’opportunité d’aller dans un lycée de ce type, alors n’hésitez pas à l’y envoyer. Question challenge, on est servi. Mais attention, uniquement s’il est capable de gérer son stress. Si par malheur il n’arrive pas à supporter la pression, mieux vaut laisser tomber. Le mélange gamin sensible/pression longue et intense, ce n’est pas idéal. Gare à la « violence symbolique » comme dirait Bourdieu, car elle peut n’avoir plus grand chose de symbolique dans certains contextes. Contrairement à certains amis qui n’ont pas tenu le choc, le lycée est passé comme une lettre à la poste. Bien sûr, j’étais un peu fatigué après trois années intensives, mais vivant. Ce n’est qu’en classe préparatoire (en prépa bio) que les choses ont tourné au vinaigre. Apparemment, 4/5 ans au rythme prépa c’est un peu long pour un gamin.
Je n’avais aucune affinité pour la prépa en particulier, mais vous savez comment ça fonctionne ces choses-là. On vous dit « vous avez le dossier qu’il faut, vous avez le potentiel, ne passez pas à côté de l’opportunité de votre vie. Ce ne sont que deux années un peu dures à passer et c’est fini. » J’avais déjà fait trois ans à ce rythme. Deux ans de plus, qu’est-ce que c’est ? Rien. Et puis, il y avait beaucoup d’ingrédients pour s’épanouir. Les disciplines enseignées étaient passionnantes, on vous mettait vraiment au défi, et les élèves étaient nettement plus soudés qu’on aurait pu le croire a priori. Le problème était ailleurs; le problème, c’est que depuis le début du lycée, mon principal moteur pour travailler de manière acharnée, c’était l’anxiété. Or l’anxiété est un poison insidieux qui finit par se frayer un chemin dans l’esprit et dans le corps. Au bout d’un mois de prépa, je n’arrivais plus à fermer l’œil le soir venu. Une heure, deux heures, trois heures d’attente parfois avant de tomber dans les bras de Morphée. J’avais essayé pas mal de choses à l’époque : les plantes médicinales, l’homéopathie, l’ostéo, l’acupuncture, la relaxation et j’en passe.
Rien n’y a fait. Alors que j’étais en tête de classe dans les premiers mois, mes notes ont dégringolé et j’ai entamé une lente descente aux enfers. Tout le monde en prépa traverse une période un peu dure cela va sans dire, et chacun la gère à sa manière. Je n’ai pas su bien la gérer. En fin de première année, à dix-sept ans et insomniaque léger depuis un an, je me suis dit « Matthieu si tu n’arrêtes pas maintenant, tu n’arriveras plus jamais à fermer l’œil de ta vie ». Mais comment dire, « on » m’a fait comprendre que cette option n’était pas sur la table, à moins que je ne souhaite financer mes études de ma poche. Du coup je me suis dit « Allez, tu tiens un an et après tu auras toute ta vie pour traiter ton insomnie, tu trouveras bien une solution ». Arrivé sur les rotules aux concours, je fus admis par chance aux ENS de Lyon et de Cachan; j’ai préféré Cachan pour rester dans ma ville natale, Paris, la Ville-Lumière.
Huit ans après mon admission dans cette école, non seulement le sommeil n’est pas revenu, mais les choses ont sensiblement empiré. Dieu sait si j’ai cherché des remèdes aux quatre coins de la planète, et je vous raconterai peut-être un jour plus dans le détail cette quête risible d’une solution-miracle, de l’Amazonie à l’Himalaya en passant par la pampa argentine. Du coup, quand je dis que c’est une passion pour le partage des connaissances, l’autoformation ou la justice sociale qui me motivent, ce n’est pas un mensonge. Mais derrière cette passion, je crois qu’il se cache une colère sourde, la colère d’avoir fait l’erreur d’utiliser l’anxiété comme principal moteur de mes apprentissages, et d’en avoir payé le prix. Cette colère, elle n’est dirigée contre aucune personne en particulier, contre aucune institution en particulier, car dans une large mesure je suis responsable de ce qui m’est arrivé. Mon but n’est pas de trouver un coupable. Mon rêve, ce serait qu’à l’avenir la méritocratie n’implique pas de sacrifier quoi que ce soit. Ni deux ans, ni deux mois, ni même un jour de sa vie.
Pour atteindre ce but, il faut être prêt à quelques sacrifices, et apprendre à canaliser ma colère, à la transformer en force de travail, et surtout mais surtout l’empêcher de me fâcher avec qui que ce soit. Je vois mal comment on pourrait impulser un changement à grande échelle seul. Quant à la voie à suivre, ce sera celle de l’open education, un système éducatif ouvert, flexible, adapté à tout un chacun, et centré sur les différentes formes d’autoformation. Et qui dit open education dit numérique, bien évidemment, mais ce n’est qu’un moyen, pas une fin en soi.
Mon engagement actif dans la partie a commencé il y a maintenant quatre ans jour pour jour. Quant à savoir si le projet aboutira, la question n’est pas là. Vu les échecs répétés des tentatives de ce genre depuis plus de deux siècles, mieux vaut ne pas attendre monts et merveilles. L’important c’est de le faire. C’est un peu comme une partie d’échecs, mais une partie qui n’a pas de fin. Quand bien même les courants de pensée dans lesquels je m’inscris devaient remporter quelques batailles dans le siècle à venir – on peut toujours rêver – les retours en arrière seront toujours possibles. Pour moi c’est ça le secret pour ne jamais se décourager. C’est savoir que de toute façon on ne va sans doute pas y arriver, mais que dans le fond c’est pas grave …
PS : pour une perspective socio-historique des confrontations idéologiques autour des questions d’autoformation, je vous recommande chaudement « L’Autodidacte » d’Hélène Bézille (en particulier la seconde partie). De Rousseau à l’éducation permanente en passant par Condillac, Condorcet, Proudhon ou Marx, ce livre remet sérieusement les choses en place et permet de prendre un peu de recul sur le sujet. Pour un focus sur les évolutions récentes de l’open education, je vous recommande un article court et qui se lit très bien, Open Sourcing Personal Learning, vraiment passionnant. Enfin, pour de la biblio sur le radicalisme des activistes du DIY Education (Do it Yourself), en voici un (et oui, ça m’a surpris un peu aussi qu’on étudie ça scientifiquement) : DIY Activists Communities of Practice, Cultural Dialogism, and Radical Knowledge Sharing (mais il faut payer pour celui-là, désolé).
PPS : Pour ceux qui s’intéressent à ces sujets, je fais deux confs publiques sur ces questions le mois prochain, l’une au Collège de France le 11 mai, le métier d’enseignant-chercheur à l’ère du numérique, et l’autre le 13 mai au Centre Pompidou.
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