Médias et institutions ont régulièrement débattu sur l’impact supposé des MOOC sur l’enseignement supérieur en se basant sur des comparaisons qui n’avaient pas lieu d’être. Si la prudence est de mise, il serait cependant dommage de se cantonner à affirmer que toute comparaison entre présentiel et virtuel est impossible sous prétexte que les MOOC diffèrent par trop les uns des autres ou des formes d’éducation formelle classique. Une de mes ambitions (pour après la thèse) serait de se baser sur une catégorisation des MOOC et des formes traditionnelles d’enseignement pour comparer ce qui peut l’être. Pour cela, il faudrait aussi se baser sur les estimations des usages que l’on a développé au sein de la communauté de recherche à partir des traces d’apprentissage pour répondre à la question : Au final, combien les MOOC ont pesé en comparaison avec le système de formation tel que nous le connaissons ? Je vous propose dans ce billet de revenir sur une des pistes que j’envisageais pour conclure ma thèse (mais l’idée m’a semblé au final un peu trop polémique pour servir de conclusion à un travail universitaire).
Au-delà du fait que l’on met sur le même plan des formations en ligne et en présentiel, toute catégorisation est par nature une approximation. Je vais montrer dans mon manuscrit que rares sont les MOOC qui s’apparentent à de simples transpositions de cours universitaires ; même quand le niveau des cours magistraux correspond à celui d’un cours universitaire, le niveau des activités est souvent adapté pour un public d’internautes ne disposant d’aucune formation sur le sujet. La difficulté à valider des acquis à grande échelle fait qu’il ne peut y avoir de correspondance complète entre un MOOC et une formation universitaire. Mais on peut prendre ce biais en compte.
En prenant en compte les différents biais, je rêverais de mobiliser la connaissance des usages effectifs des MOOC, et croiser avec les données disponibles sur le système de formation français comme les enquêtes quantitatives sur la formation continue, ou des données centralisées sur l’enseignement supérieur, comme la base SISE, qui répertorie tous les étudiants en France via un identifiant unique. Les données sur l’éducation non formelle et sur les apprentissages informels sont traditionnellement lacunaires – en particulier en France – du fait des difficultés méthodologiques inhérentes à la mesure de ces phénomènes, et il nous faudrait nous cantonner aux composantes mesurables du système de formation formelle.
Nous pourrions commencer par nous intéresser à la nature des dispositifs en faisant abstraction de la nature de leurs audiences respectives. Un second train d’analyse pourrait consister à prendre en compte la nature des inscrits afin de créer des catégories plus en adéquation avec la situation d’usage. Un tel projet reviendrait ni plus ni moins à réunir au sein d’une même analyse quantitative des objets traditionnellement étudiés par des communautés scientifiques distinctes, formation continue d’une part et formation initiale d’autre part. Une première analyse quantitative pourrait être ensuite doublée d’une analyse un peu plus didactique, du type Curriculum Design.
Deux des personnes que j’ai rencontrées au cours de ma campagne d’entretiens avaient pris une année sabbatique complète pour réaliser un curriculum entier basé sur les MOOC. L’un d’eux, Jonathan Haber a d’ailleurs relaté son expérience dans un célèbre blog, Degree Of Freedom et a poussé la démarche jusqu’à écrire un livre sur le sujet. Si ces initiatives sont isolées – mes données montrent que les personnes récoltant plusieurs dizaines de certificats comme J. Haber a pu le faire sont rarissimes – elles sont néanmoins symptomatiques d’une question que soulève inévitablement la multiplication des cours gratuits. Pourra-t-on bientôt se construire des cursus complets sur la base de MOOC ?
La question se fait d’autant plus pressante que les contraintes temporelles susceptibles de complexifier l’intégration de MOOC au sein d’éventuelles maquettes pédagogiques sont en train de tomber peu à peu. Ils étaient jusqu’à peu presque systématiquement dispensés sur des laps de temps réduits; les dates de lancement étaient à même de varier d’une année sur l’autre, voir à quelques semaines de la date de lancement. Le contenu de la formation était souvent inaccessible une fois celle-ci terminée, et le MOOC n’était pas nécessairement reconduit d’une année sur l’autre. Il était dans ces conditions difficile d’imaginer construire des maquettes pédagogiques sur la base de MOOC sans une forme de convention avec l’établissement producteur.
Le passage du modèle synchrone au modèle asynchrone (on dit Self-Paced chez les anglo-saxons) pose pas mal de problèmes car la disparition du caractère événementiel du MOOC est susceptible d’affecter un certain nombre d’éléments : contraintes d’organisation d’emploi du temps, nature des interactions entre participants, déroulement de l’évaluation par les pairs. En revanche, pour l’intégration au sein de maquettes pédagogiques, cela lève un certain nombre d’obstacles.
Pour résumer, on compte le nombre de MOOC, on mesure l’investissement effectif des apprenants dans ces MOOC, on range chaque MOOC dans une catégorie : conférence grand public, cours universitaire, formation d’adulte en fonction du dispositif auquel il s’apparente le plus, et après on compare avec les données qu’on a sur les étudiants français (via la base SISE) et les adultes en formation (CEREQ). Et pour conclure on regarde un peu les curriculums qu’on peut construire sur la base des seuls MOOC, discipline par discipline. Que pensez-vous de ce programme ?
2 Responses to Les MOOC pèsent-ils lourd dans l’enseignement supérieur ?