Repenser les cursus à la lumière de l’offre de MOOC ?

DiplomaBon, on a atteint sur Coursera près de 1700 MOOC, et on tourne autour de 4000 à l’échelle mondiale. Mais n’oublions pas que nombre d’entre eux n’ont été itérés qu’une seule fois. Autant dire que c’est un peu éphémère pour que l’on puisse articuler ça avec un quelconque système de formation. Sauf que voilà, Coursera (et d’autres acteurs comme edX) est en train de changer de stratégie en poussant les partenaires à adopter le format « ouvert en permanence » (ils disent self-paced). Mieux, chez Coursera en tout cas, ils sont en train de transférer les cours de l’ancienne plate-forme, basée sur le modèle synchrone, vers le modèle asynchrone, déterrant des cours qui avaient disparu. Enfin, c’était pas trop tôt et on peut maintenant parler d’une véritable offre de MOOC. Voilà qui a mon sens impose de réfléchir à nos cursus à la lumière de l’offre de formation disponible.

Mais quand je dis réfléchir, c’est aussi et surtout sur le plan scientifique. Il y a un courant de recherche qui s’appelle le Curriculum Design et qui est on ne peut plus cohérent dans le contexte des évolution d’Internet. Le risque d’un tel désinvestissement de la communauté scientifique de la réflexion sur les cursus potentielle est que la question soit dominée par le débat récurrent depuis plus d’un siècle sur la menace que font poser les technologies sur le métier d’enseignant. On évoquera par exemple les réactions d’enseignants de la San Jose State University quant la direction de l’université passa un accord avec edX pour remplacer certains cours magistraux par le MOOC JusticeX de Michael Sandell, enseignant à Harvard. Cet accord stipulait que les enseignants locaux joueraient rôle de chargé de TD, ce qui n’a pas manqué de déclencher un tollé dans le milieu universitaire américain.

Bien qu’omniprésente dans la littérature grise, la question de l’intégration des MOOC dans les systèmes de formation reste en revanche largement sous-investie par la littérature scientifique. Par hybridation, nous ne faisons pas référence aux recherches qui prévalurent tout au long des années 2000, quand l’essor des ressources éducatives libres suscita de nombreuses interrogations quant aux usages qu’ils suscitaient chez les enseignants. Plus que la question de la granularité, l’absence de validation d’acquis faisait que les REL ne pouvaient être considérées que comme des ressources, et non comme des formations à part entière. Une recherche sur la réutilisation ponctuelle par un formateur de fragments de MOOC – vidéos pédagogiques, exercices d’application par exemple – s’inscrirait dans la lignée de telles recherches. Ce dont je parle ici, ce n’est pas la réutilisation ponctuelle de ressources, mais de dispositifs complets. 

On a vu par exemple des institutions se charger de la conception et de l’organisation d’examens basés sur des MOOC d’autres établissements, ou des enseignants mettre un de ces cours en ligne dans la liste des prérequis, de la même manière qu’on recommanderait de lire tel ou tel livre avant d’aborder une formation. La différence – de taille – réside dans le fait qu’il est possible avec les MOOC d’identifier qui a suivi le cours et à quel degré, un élément qui peut s’avérer persuasif pour les étudiants les moins motivés.   

Le problème, c’est que les MOOC sont loin d’être de simples transpositions de cours académiques, quand bien même ils seraient issus d’une institution de l’enseignement supérieur; il y a le problème de la validation d’acquis bien sûr, mais surtout un effort d’adaptation pour un public d’internautes qui fait qu’on peut difficilement, l’intégrer dans un cursus (ou alors seulement au niveau des premières années d’études ou en guise de cours d’ouverture).  Mais une réflexion d’ordre général n’aurait que peu d’intérêt. Repenser les curriculums au regard de la multiplication des MOOC impose naturellement d’analyser le contenu et le fonctionnement des formations existantes.

Une telle approche est donc nécessairement disciplinaire, car le développement des cours était inégal selon les disciplines. A mon sens, il serait intéressant de se concentrer sur une discipline à la fois pour avoir une vision pénétrante de la question, en sélectionnant la discipline sur des critères comme l’abondance de ressources ou de formations en ligne, et/ou une forte demande de la part d’un public en autoformation et en formation tout au long de la vie. A cet égard, les statistiques pour non statisticiens me semblerait un point de départ particulièrement intéressant. On ne compte plus les blogs comme R Bloggers, les forums de discussions dédiés, les REL, les académies en ligne, les MOOC, et même les spécialisations sur Coursera. On trouve des cours sur R jusque dans Lynda.com, Codeschool ou la Khan Academy. Internet constitue indéniablement un moyen privilégié d’apprentissage tout au long de la vie, dans un domaine où la formation initiale est généralement insuffisante pour couvrir les besoins rencontrés sur le terrain professionnel. J’ai analysé le public du MOOC Introduction à la Statistique avec R de Bruno Falissard, je ne peux constater qu’une importante demande d’un public de formations aussi diverses que les sciences expérimentales, humaines, ou la santé publique.

La multiplicité des MOOC de statistiques, avec pas moins de 4 cours sur ce sujet sur FUN – et plus nombreux encore si l’on prend en compte les itérations – pose également la question du degré de recouvrement entre cours. Bien que les MOOC abondent sur ce domaine sur Coursera notamment, les cours de niveau introductif sont très nombreux, les concepteurs cherchant fréquemment à viser un public large, ce qui signifie que des morceaux de cursus peuvent être sous représentés. Quelles seraient les lacunes d’un cursus exclusivement basé sur des MOOC  ? Dans quelle mesure les autres ressources/forums/formations disponibles en ligne peuvent-elles palier de telles lacunes ? L’objet d’une telle réflexion n’est pas d’ouvrir la voie à une désinstitutionnalisation de l’enseignement en plébiscitant la mise en place de cursus exclusivement en ligne, mais de cartographier l’existant pour envisager une meilleure articulation entre écosystème numérique et formation initiale, qui aille au-delà de simples initiatives individuelles. Peut-être une piste de recherche pour après ma thèse …

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