Législation : Le numérique en formation, c’est pas gagné d’avance

Il m’arrive parfois de décoller les yeux de ma (fin de) thèse sur les MOOC  (en fait, pas tellement pour tout vous dire), pour regarder comment évolue le monde de la formation professionnelle, en particulier sur le plan législatif. Un des éléments qui me frappent systématiquement, c’est le volume horaire prévu par les lois diverses et variées. Pour le CPF, ou Compte Personnel de Formation, on parle de 150 heures de formation sur 7 ans (soit environ 20 heures par an en moyenne), avec à terme la possibilité de se former en ligne, ou du moins en partie. Je trouve cette politique de la pointeuse absurde dans le cadre d’un enseignement en ligne auto-régulé. Quelques mots là-dessus.

Pour la formation des enseignants (un de mes dadas, vu que je travaille dans le domaine), on parle de 18 heures par an pour le Magistère (dont 9 en ligne), i.e. la formation des enseignants de primaire. Bon, c’est un premier pas, mais je ne suis pas sûr que raisonner en termes de volume horaire soit particulièrement pertinent quand on parle de formation en ligne. Soit on parle d’acquisition de compétences et on tente de mesurer le travail personnel. Mais vu que pour une tâche donnée, la productivité peut facilement varier d’un facteur dix d’un participant à l’autre, je vous souhaite bonne chance pour mesurer le temps passé et énoncer des règles strictes. Soit on transpose au numérique les raisonnements antérieurs, et on va mesurer en termes d’heures de vidéo en ligne. Je sens que ça va plaire ça.

Bon, certes, les vidéos ça offre de la flexibilité. Pas besoin d’aller jusqu’à Perpètes-les-Oies dans un centre de formation pour s’endormir devant un Powerpoint. Mais je ne suis pas sûr qu’on déclenchera l’enthousiasme des foules et une profonde mutation de la formation tout au long de la vie avec quelques malheureuses heures de vidéo par an. Et puis comment vous allez faire pour valider que la vidéo est bien vue ? En analysant les clics sur le bouton Play ? Rien n’empêche les petits malins de lancer la vidéo et d’aller se faire un café pendant ce temps. Il y a des systèmes qui mesurent l’attention, certes, qui forcent à être un minimum actif, bouger sa souris de temps à autre ou des choses comme ça. De toute façon, on peut contourner la plupart des systèmes de contrôle dès qu’on est un peu malin.

Évidemment, vous pouvez poser des questions sur le contenu de la vidéo à la fin pour vérifier qu’elle a bien été visionnée. Il y a de bonnes chances qu’un petit marché noir de la réponse de quizz va apparaître. « Bernard, tu me dis les réponses des quizz 1 à 10 et je te donne celles des quizz 11 à 20. Et je t’offre le café en prime la prochaine fois. ». Alors on peut faire des banques de quizz, avec des examens personnalisés pour chaque participant. Une belle usine à gaz en perspective.

A mes yeux, l’autoformation, c’est une démarche avant tout personnelle, il faut arrêter de penser que c’est en contrôlant les gens qu’ils vont apprendre. On en tout cas, on ne peut pas baser un système uniquement sur cette logique. Même si les apprenants réalisent eux-mêmes les activités demandées, rien ne dit qu’ils en auront vraiment tiré quelques chose s’ils ne se sont pas impliqués dans la démarche. Il y a des choses qu’on ne peut pas mesurer facilement, et la qualité de l’apprentissage en fait clairement partie.

Par ailleurs, l’autoformation, cela demande au bas mot un investissement dix fois supérieur à ce que prévoit la loi. 20 heures par an environ, c’est une plaisanterie à mes yeux. Vous voulez qu’on soit toujours au sommet de notre art dans notre discipline, compétents, transversaux, capables d’adaptation, alors parlons sérieusement. C’est plus 20 heures d’autoformation par mois qu’il faudrait, soit 5 heures par semaine environ. Là on parle la même langue. Et c’est cinq heures hebdomadaires qu’on a choisies de faire, où on a l’esprit ouvert, attentif, motivé. Pas cinq heures imposées.

Evidemment ça entre en compétition avec le temps de travail. Mais dans les secteurs où le capital humain est tout, c’est un investissement plus que nécessaire. Voilà, c’était le message de la semaine. L’autoformation, c’est une démarche avant tout personnelle, qui doit venir des tripes. Bien sûr on peut mettre en place des systèmes de certification derrière, pour valider que les choses ont bien été faites. Mais ça, ça vient après, ce n’est certainement pas le principale moteur qui fera que les gens se lanceront corps et âme dans une démarche d’autoformation. Et aussi, 20 heures par an, c’est vraiment peu. Cela me donne un peu le sentiment d’une montagne qui accouche d’une souris.

PS : au fait, deux nouvelles de MOOC qui ont suscité mon attention de par leur format. Le WikiMOOC, sur comment créer un article Wikipedia (entre autres) : je trouve l’idée géniale (d’autant qu’on en avait discuté avec la Fondation Wikimedia il y a de cela deux ans !). Et celui-ci du groupe Eurotunnel, sur les Rails de l’emploi, qui présente les métiers du groupe. Il utilise de la simulation, ce qui est plutôt énorme, et leur landing page est d’une très grande qualité !

PPS : le billet est un peu vieux, vous m’en excuserez, je suis plus trop dans l’actualité, mais j’avais complètement oublié de le publier.

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