L’Open Education, au fait, qu’est-ce que ça veut dire maintenant?

L’Open Education, ou l’Open Ed, c’est tout un programme. Vous êtes probablement nombreux à être familiers avec ce terme, mais savez-vous ce qu’il recouvre, connaissez-vous ses origines ? Saviez-vous que le terme prend ses origines dans les premières expériences d’écoles libres britanniques, dont les libres enfants de Summerhill sont l’un des exemples les plus connus. Peut-on dire que les MOOC font partie de l’Open Ed ? Je vous propose aujourd’hui de revenir dans un billet un peu plus long que d’habitude sur ces questions

Le concept d’Open Education (OE) représente avant tout un projet social et politique, c’est une philosophie de l’apprentissage. Il renvoie tant aux valeurs de partage des ressources pédagogiques, qu’à la question de l’agentivité de l’apprenant, à la capacité de celui-ci à s’auto-diriger. Le concept pré-existe à la démocratisation d’Internet. Dans les années 1960, il correspond aux Etats-Unis à un mouvement pédagogique, idéologiquement proche de celui de l’Education Nouvelle, qui toucha aussi bien l’enseignement primaire que l’enseignement supérieur (Walberg & Thomas, 1972). L’agentivité des apprenants est au cœur de ce mouvement qui s’est largement appuyé d’une part sur l’essor du concept d’auto-direction des apprentissages aux Etats Unis, et d’autre part sur la pensée d’auteurs charismatiques comme le psychologue Carl Rogers ou l’essayiste Ivan Illich, dont les ouvrages Freedom to Learn (1969) et Deschooling Society (1971) connurent un succès international. De nombreuses expériences furent menées aux divers degrés du système éducatif, principalement en Grande-Bretagne et aux Etats-Unis ; nous ne nous appesantirons pas sur cette période et renverrons à la revue de littérature de Horwitz (1979) pour un recensement de près de deux cents expériences à divers niveaux du système éducatif.

A la fin des années 1990, la signification du concept d’Open Education change sensiblement pour s’inscrire dans la continuité du mouvement du logiciel Open Source. Si la création des contenus d’une formation reste coûteuse, que ce soit pour un cours en présentiel ou une formation à distance, les technologies de l’information et de la communication ont rendu les coûts de la reproduction de l’information quasiment inexistants. Les modalités de partage de cette information prennent alors une place prédominante dans la définition du concept (Caswell et al., 2008), avec, de manière plus ou moins explicite, une volonté affichée de réduire les inégalités d’accès à l’enseignement via une démocratisation de l’accès aux ressources (Lane, 2009 ; Ally & Samaka, 2013 ; Rhoads, 2013). La définition du concept se recentre alors sur la notion de Ressources Educatives Libres (REL), ou Open Educational Ressources (OER) pour les anglo-saxons (Iiyoshi & Kumar, 2008 ; Friesen, 2009). Les REL sont des ressources pédagogiques diffusées sur Internet, et associées à des licences libres ou de libre diffusion. Le deuxième pilier de l’Open Education est constitué par ce que l’on nomme les Open Educational Practices ou OEP (Ehlers, 2011 ; Conole & De Cicco, 2012 ; Geser, 2012 ; Armellini & Die, 2013 ; Murphy, 2013), terme dont aucune traduction ne me paraît satisfaisante, et qui désigne les usages qui se développent autour des REL, notamment de la part d’enseignants.

Avec la recentration du concept sur la question des ressources et de leurs usages, la notion de licence de libre diffusion devient centrale. Les licences Creative Commons (ou licences CC) seront alors aux REL ce que les licences GNU seront au logiciel libre. Dans les définitions les plus strictes d’une REL, il ne suffit pas pour la ressource d’être accessible gratuitement pour tomber sous le coup de la définition. Elle doit être associée à une licence libre ou de libre diffusion et dans l’idéal, le logo des licences CC doit être estampillé directement sur la ressource en question. Certains remettent en cause la pertinence de ce critère, mais je vous épargnerai le débat qui entoure la question de la définition d’une ressource éducative ni sur celui des licences de diffusion. C’est une définition stricte des REL que j’adopte, basée sur le critère des licences libres ou de libre diffusion. J’évoque de temps à autre un cas particulier de REL, constitué par les Open Coursewares (OCW), des ressources développées initialement pour un cours, en présentiel et à distance, mais qui ont été diffusés via Internet à un plus large public par la suite (Carson, 2007, 2008 ; Huijser 2008 ; Walsh & Bowen, 2011 ; Carson et al., 2012). Un certain nombre d’établissements se sont organisés en consortium dans le courant des années 2000 pour donner davantage de visibilité à leur démarche de diffusion des OCW (Caswell et al., 2008 ; Carson, 2009), le MIT étant l’un des principaux moteurs de ce consortium à travers un site dédié, le MIT OCW (D’Oliveira et al., 2010).

Comme Fiedler (2014) et Deimann & Farrow (2013), je ne pense pas que le concept d’Open Education puisse désormais être résumé à la seule question des contenus et de leurs utilisations. La démocratisation d’Internet a conduit à un glissement du sens du concept d’OE, d’une centration sur l’agentivité de l’apprenant à une centration sur les ressources éducatives et leurs usages. De même, le passage d’une logique de ressources à une logique de services, qu’incarne dans une certaine mesure les MOOC, devrait également conduire à un glissement de la définition. Un nombre croissant de publications ancrées dans le champ de l’OE se penchent sur des services gratuits d’apprentissage en ligne, comme la Peer-to-Peer University (Alevizou, 2010 ; Andersen & Ponti, 2014) ; on s’intéresse peu à peu à l’intégration au sein de l’OE de pédagogies diverses, comme l’apprentissage par résolution de problème (Gurell et al., 2010). Cette transition soulève plusieurs questions, à commencer par la détermination du périmètre de l’OE, et le cas de sites commerciaux en partie gratuit fait débat. Un site proposant des services gratuits dont la fonction est d’attirer une clientèle vers des services payants s’inscrit dans une logique d’Open Education ? Je vous renvoie à Weller (2013) pour une réflexion sur les « luttes idéologiques » entourant la définition du terme Open de Open Education, l’auteur ayant développé la question dans le contexte des MOOC (Weller, 2015).

Fort heureusement, la plupart des MOOC diffusés sur la plate-forme France Université Numérique ont adopté pour leurs ressources une licence libre ou de libre diffusion. Cela permet de les rattacher sans ambiguïté mon travail dans le champ de l’Open Education (on va dire que quelque part c’est un peu le champ de recherche dans lequel j’ai envie d’inscrire mon travail). Ceci étant dit, quand bien même la licence des ressources de la formation serait une licence propriétaire, ces ressources sont accessibles gratuitement, et nombreux sont les services gratuits qui sont offerts à leurs utilisateurs : évaluation automatisée, évaluation par les pairs, etc. Personnellement, comme Bonk et al. (2015) je situe les MOOC dans le champ de l’Open Education malgré l’omniprésence des ressources en licence propriétaire. Après, si tout devient payant, on en reparlera, mais pour le moment, cela reste pour moi de l’Open Ed.

Concluons ce billet sur les implications des évolutions actuelles de l’Open Ed au prisme des indicateurs de performance. Dans la mesure où l’on pouvait accéder aux REL sans avoir à se connecter à son compte, la traçabilité des utilisateurs des ressources était impossible ; les indicateurs de performance quantitatifs utilisés dans le cadre de l’OE étaient sans surprise liés à la consommation des ressources : nombre de pages vues, nombre de vidéos vues, nombre de visiteurs uniques, des sites comme le MIT OCW publient régulièrement de telles statistiques (MIT OCW, 2016). Maintenant que l’Open Education commence à intégrer la logique de la formation à distance et que les actions des utilisateurs sont traçables, une évolution de la réflexion sur les indicateurs de performance utilisés dans le cadre de l’OE s’impose. Et quelque part, c’est un peu ce que j’ai essayé de faire dans le cadre de mon travail de thèse, dont j’espère que vous serez nombreux à la lire (on peut rêver). Dans les semaines qui viennent, je vous présenterai sans doute quelques résultats issus de mes recherches (si ça vous intéresse bien sûr).

PS : pour la bibliographie, comme d’habitude, c’est à ce lien

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