Au cours de la semaine dernière, nous nous sommes intéressés à différentes formes de motivations des concepteurs de MOOC, en nous concentrant sur les motivations très classiques comme « l’effet vitrine », ou la volonté d’expérimenter un format nouveau. Aujourd’hui, je vous propose de revenir sur deux motivations supplémentaires : un partage de connaissances par principe, et la volonté de répondre à un besoin de formation plus ou moins précis.
« Mettre les connaissances en partage »
Le partage par principe correspond au cas où le concepteur considère que toute connaissance ou ressource pédagogique a vocation à être partagée gratuitement, indépendamment de sa capacité à répondre à un besoin de formation identifié. Elle se distingue du cas précédent dans la mesure où même si cette pratique de partage peut également avoir comme motivation la mise en valeur d’un enseignement, elle ne s’y cantonne pas ; il y a une dimension « morale » dans cette motivation qui n’existe pas nécessairement dans le cas précédent. L’importance que cette motivation revête aux yeux des concepteurs peut être abordée à travers deux indicateurs : d’une part les pratiques de partage de ressources antérieures à l’essor des MOOC, et d’autre part le choix des licences utilisées pour diffuser les contenus. Seuls deux des trente concepteurs de mon enquête ont suivi de manière notable une démarche bénévole de partage de ressources pédagogiques en amont du lancement de leur MOOC. Les modes de partage ont alors évolué avec les technologies, comme pour cet enseignant de gestion de projet, qui a partagé sur son site ses cours en licence Creative Commons dès le début des années 2000.
Ça faisait longtemps que j’étais dans ce type de logique. Au début de l’internet, quand les gens faisaient des blogs, partageaient des pages web, moi j’étais déjà un peu là-dedans parce que je partageais mes cours en tant qu’enseignant. Au début des années 2000, tu trouvais un site web sur lequel je mettais au fur et à mesure tous les cours que je faisais. […] Mes cours étaient en Creative Commons depuis très longtemps. […] Je défends le fait de mettre les connaissances en partage. Il est évident que dans l’économie dans laquelle on vit avec internet, c’est comme ça que ça marche.
Le choix de la licence de diffusion reste pour nombre d’auteurs le marqueur le plus révélateur de l’adéquation du projet avec la démarche d’open education. Si la majorité des cours diffusés sur France Université Numérique sont en licence Creative Commons, une situation relativement exceptionnelle, un certain nombre des enseignants qui ont choisi cette licence ne l’ont pas fait de leur propre initiative, mais y ont été incités par leur institution de rattachement.
J’ai le CC [Creative Commons] je sais pas quoi, je sais pas quoi, je sais pas quoi, qui fait que j’ai plus le droit de faire grand-chose. J’ai tout à moi, mais tout le monde peut tout prendre si j’ai bien compris. […] Tout le monde peut prendre mon contenu, l’adapter, mais doit me mentionner. […] On m’a dit « c’est comme ça ».
La licence Creative Commons figure d’ailleurs la plupart du temps uniquement sur la page de présentation du cours et non sur les ressources pédagogiques elles-mêmes, comme le veut l’usage, ce qui tend à faire penser que le cas que nous venons de décrire est probablement généralisé. On peut néanmoins arguer que cette démarche de partage à pu être encouragée par l’essor des MOOC, et que la question des licences de diffusion est encore trop récente pour avoir été pleinement appropriée par les concepteurs. L’utilisation de la licence CC ne reflète pas nécessairement un engagement en faveur de l’Open Education, pas plus que l’utilisation d’une licence propriétaire n’est synonyme d’un rejet de la démarche. Un approfondissement des positions des enseignants vis-à-vis des différents types de licence serait nécessaire pour prendre la pleine mesure du problème.
« Ça revient cette envie d’apprendre, et le MOOC est là pour ça »
Intéressons-nous maintenant au cas de figure « Répondre à besoin de formation clairement identifié ». Ce besoin peut relever aussi bien de l’éducation formelle, avec par exemple la mise à disposition d’une formation initiale pour des étudiants des pays du Sud ayant des difficultés d’accès à l’enseignement supérieur, que des besoins de formation professionnelle non adressés par d’autres dispositifs de formation. Les concepteurs entrant dans ce cas de figure se distinguent les uns des autres par la nature du public visé et par le degré de définition du besoin que le dispositif est censé contribuer à combler. Cette conceptrice d’un MOOC connectiviste, non affiliée à une institution d’enseignement supérieur, souligne par exemple le fait que les dispositifs comblent un désir d’apprendre qui revient quelques années après la fin des études.
Après les études supérieures, on est gavés d’apprentissage, on en veut plus, on a envie de passer à l’action, de se sentir responsable, et ça revient à un moment, et ça revient, cette envie d’apprendre. Et le MOOC est là pour ça.
Les concepteurs s’inscrivant dans cette motivation identifient généralement un besoin relativement bien défini que leur projet est censé combler. Cette conceptrice d’un cours de biologie cellulaire explique notamment qu’il existe à l’échelle sociétale un besoin de formation sur la question des cellules souches si l’on veut permettre au citoyen d’être mieux armé pour comprendre les débats sur le sujet.
Les cellules souches c’est un débat sociétal important qui fait l’objet d’une loi de bioéthique qui est régulièrement revue et il me semblait important que les gens soient bien informés et puissent se faire une opinion avant de soutenir tel ou tel lobby anti-cellules souches embryonnaires et de remettre en perspective les possibilités que couvrent ces cellules.
C’est également le point de vue que défend le concepteur de ce MOOC de Géopolitique, dont le MOOC a vocation à fournir aux citoyens les éléments nécessaires à une meilleure compréhension des débats sur l’Europe.
De mon point de vue qui est à l’origine de l’idée, le problème auquel cette idée souhaitait répondre c’était que l’Europe va très mal. Pas seulement l’Union Européenne mais l’Europe dans le débat public que ce soit sur internet, dans les médias traditionnels, voire même dans les universités. […] Donc l’idée de ce MOOC c’est de mettre dans la sphère publique un contenu dont on souhaitait qu’il soit de qualité, permettant vraiment à monsieur ou madame tout le monde, ou presque, de s’approprier l’état de l’art et des connaissances sur l’Europe pour pouvoir rentrer dans les débats publics.
L’importance que les enquêtés accordent aux chiffres d’audience dépend alors de la nature du besoin identifié ; les concepteurs qui ont pour objectif de répondre à un besoin sociétal sont naturellement plus sensibles à l’audience qu’ils touchent.
Je veux pas cacher, c’est mon sentiment, plus on va créer des communautés importantes, plus on va avoir ces chiffres, et plus ça voudra dire que déjà on a bien cerné des besoins sociétaux.
Les deux motivations que nous avons traitées aujourd’hui sont à mon sens parmi les plus prometteuses pour le devenir d’un cours. La velléité de partager ses ressources dès que faire se peut devrait devenir un réflexe dans le service public. Ce qui me plaît dans le second cas, c’est cette sensibilité que l’on développe pour la demande du public en matière d’éducation, et qui devrait à terme conduire à des cours plus adaptés au public d’internautes qui constitue les MOOC, et donc plus à même de faire avancer le schmilblick.