L’autoformation, telle que vue par les universitaires français

DiplomaAujourd’hui, j’aimerais attirer votre attention sur le concept d’autoformation, tel que vu par les universitaires français. Et oui, il existe une recherche sur la question, pendant du courant anglophone du Self-Directed Learning. Je réserve généralement ce type de propos à mon blog sur Hypothèses, mais une fois n’est pas coutume, et vous m’excuserez à l’avance de mon style un peu académique. Cela va nous faire une petite respiration dans cette longue série de billets consacrés aux concepteurs de MOOC (mais je vous préviens, on la reprend dès le prochain billet).

Au moment de l’émergence des premières recherches françaises sur l’autoformation, la réflexion sur la question est encore marquée par des représentations du siècle précédent (Bézille, 2003 p. 20). L’autoformation est alors largement assimilée à ce que Bézille (2003) nomme l’autodidaxie émancipatoire, une autodidaxie de l’avant-garde militante ouvrière du XIXème siècle. Cette autodidaxie correspond à une autoformation coupée de toute institution, dont la visée est de combler des lacunes liées à l’absence ou aux carences de la formation initiale, typiquement, l’apprentissage de la lecture. Cette figure de l’autodidacte peu instruit est largement colportée par la littérature ; on la retrouve dans la Nausée de Jean-Paul Sartre à travers la figure de l’autodidacte apprenant par ordre alphabétique, ou celles de Bouvard et Pécuchet de Flaubert (Bézille, 2003). Il existe sur la question quelques écrits antérieurs au vingtième siècle, et dont Frijhoff (1996) dresse une perspective historique. Le courant de l’Education Nouvelle a largement influencé la pensée sur l’autoformation, et nous renverrons au sociologue des loisirs Joffre Dumazedier (2002, p.40) pour une discussion de cette influence.

La période qui s’étend de 1960 à 1985 correspond à ce que Carré (2010, p.10) qualifie d’ère des pionniers. Les expériences impulsées par le livre-manifeste de Rogers (1969) se multiplient outre-Atlantique ; en France, Schwartz (1973), alors directeur de l’école des Mines de Nancy, diffusera à travers son livre l’Education Demain le concept « d’autoformation assistée », idée selon laquelle la démarche d’autoformation peut être institutionnalisée. Parallèlement à ce mouvement se développent les premières recherches françaises sur l’autoformation dans un contexte de renouveau de l’éducation populaire (Carré, 1992, p.42). La conceptualisation de l’autoformation a été fortement marquée par les pionniers du domaine, qui ajoutent souvent une posture militante à la posture scientifique qui structure leurs travaux. Le cas le plus emblématique est sans doute celui du sociologue des loisirs Joffre Dumazedier, chercheur qui fonde avec Cacérès (1960) de l’association d’Education Populaire Peuple et Culture au lendemain de la seconde guerre mondiale. Ce sociologue des loisirs sera à l’origine de recherches séminales sur l’utilisation du temps libre et sur les budgets-temps, et son travail sur l’autoformation, bien qu’ancré dans la sociologie des loisirs, fera écho aux recherches initiées Outre-Atlantique (Dumazedier, 1962). Il initiera un courant de recherches qu’il qualifiera de socio-pédagogie de l’autoformation (Leselbaum & Dumazedier, 1993).

Les travaux de Dumazedier vont contribuer à renverser cette conception de l’autoformation, en démontrant via des enquêtes une certaine forme d’atonie culturelle dans les classes populaires. En révélant une différenciation des modes d’apprentissage et des thématiques ciblées selon les catégories socioéconomiques, il montre que l’autoformation concerne avant tout les personnes diplômées, en particulier lorsque l’on touche à des sujets académiques comme ceux que l’on voit abordés dans les MOOC. Nous reprendrons ponctuellement une typologie des formes d’autoformation (Dumazedier, 2002, p.70), qu’il répartit en quatre cas de figure : l’autoformation de rattrapage, l’autoformation d’accompagnement, l’autoformation de dépassement et l’autoformation d’intégration.

Il définit l’autoformation de rattrapage comme une « autoformation orientée vers l’acquisition des savoirs supérieurs ou l’intégration dans des communautés savantes. » Elle concerne la « réduction des inégalités d’accès à la connaissance ». « Les sujets sociaux qui s’autoforment peuvent être légitimes ou illégitimes, selon qu’ils ont réussi ou échoué dans l’institution scolaire. ». Cette forme d’autoformation est l’héritière de l’autodidaxie compensatoire du XIXème siècle, mais ne s’y cantonne plus. L’autoformation d’accompagnement correspond aux pratiques d’autoformation visant à « compléter, corriger l’action éducative limitée ou illusoire de l’institution […] Pour compléter ou corriger ce modèle scolaire limité, une autoformation peut concerner même les gens très instruits ». Nous nous référerons à cette forme notamment pour mieux comprendre le cas de participants suivant le cours dans une logique opératoire professionnelle. L’autoformation de dépassement correspond à celui « qui, au-delà des programmes scolaires les plus pertinents des institutions éducatives conçus à tout niveau pour tout le monde, laissent sur leur faim de savoir les plus autonomes, les plus créatifs ». Nous n’aborderons pas ici la question de l’autoformation d’intégration, qui ne prend son sens que dans un contexte d’éducation formelle.

Des travaux de typologisation qui suivirent, nous retiendrons la typologie proposée initialement par Carré et al. (1997). Les auteurs placent l’autoformation à l’intersection de cinq concepts : l’autoformation existentielle, l’autoformation intégrale, l’autoformation sociale, l’autoformation éducative, et l’autoformation cognitive ; nous ne nous intéresserons ici qu’aux seuls concepts d’autoformation intégrale et d’autoformation éducative.

L’autoformation intégrale correspond à ce que l’on appelle l’autodidaxie dans le vocabulaire courant. Dans cette forme d’autoformation, l’ensemble des tâches traditionnellement dévolues à l’enseignant sont sous la responsabilité exclusive de l’apprenant, de la détermination des objectifs au choix des ressources en passant par le maintien de la motivation ou la détermination du rythme d’apprentissage. Précisons ici que l’autoformation intégrale ne correspond pas un apprentissage isolé, et peut se baser sur des ressources pédagogiques issues de l’institution, comme typiquement des Ressources Educatives Libres. Lorsque nous parlerons d’autodidacte, nous ferons référence à toute personne engagée dans un processus d’autoformation intégrale ; nous sommes donc ici bien loin de la conception de l’autodidacte telle qu’on l’entend dans les travaux de recherches de Le Meur (1993, 1998) sur les agriculteurs développant leurs connaissances sur la gestion d’une entreprise, ou sur les cadres autodidactes de Boltanski (1978). Nous ne parlerons pas ici de l’individu qui se « construit par lui-même au travers de son parcours professionnel » (Tremblay, 2002, p. 118). L’autodidaxie, synonyme d’autoformation intégrale, fait référence ici à une modalité d’acquisition du savoir, et non à une appartenance sociale. On distinguera enfin l’autoformation intégrale de l’autoformation éducative, qui correspond quant à elle (Carré et al. 1997, p.22) à l’apprentissage dans un dispositif ouvert :

L’autoformation ’éducative’ recouvre l’ensemble des pratiques pédagogiques visant à développer et faciliter les apprentissages autonomes, dans le cadre d’institutions spécifiquement éducatives. […] Le terme d’autoformation traduit ici une visée éducative, l’autonomisation des apprenants participant alors du projet pédagogique des formateurs. […] La décentration pédagogique caractéristique de l’autoformation et […] la centration sur le sujet apprenant et son accompagnement par un formateur devenu facilitateur.

Les recherches d’Albero (2000) sur les centres universitaires de ressources en langues constituent l’une des meilleures illustrations des travaux français sur l’autoformation éducative. Nous ne chercherons pas à déterminer dans quelle mesure les dispositifs de MOOC s’inscrivent dans une logique d’autoformation éducative ; une telle démarche impliquerait un travail d’analyse des dispositifs qui s’éloignerait par trop de notre problématique. Le concept d’autoformation éducative permet de rappeler que l’autoformation n’est pas un processus solitaire et peut s’intégrer dans la logique institutionnelle. A ce sujet, nous renverrons à Albero et al. (2003) pour une perspective socio-historique sur la place occupée par l’autoformation dans l’enseignement supérieur.

Voilà, c’est tout pour aujourd’hui. Des travaux plus récents que ceux j’ai présentés ici ont été publiés depuis, et la littérature présentée dans ce billet est un peu datée. Je recommande notamment de Marc Nagels et Philippe Carré (dir.). (2016). Apprendre par soi-même aujourd’hui : les nouvelles modalités de l’autoformation dans la société digitale, qui est sur ma to do list. Pour conclure, je dirais avoir été assez surpris par le faible développement quantitatif de la littérature francophone sur le sujet. Mais peut-être cette situation est-elle davantage la norme que l’exception. Il faudrait clairement davantage d’investissements sur ce sujet. Je trouve cela plutôt surprenant au regard de la place qu’occupe l’autoformation dans les discours divers et variés, en particulier relatifs à l’apprentissage en ligne.

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