Aujourd’hui, et comme je le fais régulièrement d’ailleurs, j’aimerais revenir sur la question de l’hybridation des MOOC, sous l’angle des questions de recherche qu’elle pose. Le débat sur l’hybridation des MOOC a été parasité par les problèmes de définition. Les amalgames récurrents entre MOOC et e-learning sont à l’origine de nombreux quiproquos. Je précise me cantonner ici au cas des MOOC tels que je les définis habituellement, c’est à dire des cours gratuits et synchrones ; cela exclue donc les SPOC ou tout dispositif payant à l’inscription.
Commençons par une série de questions qui me titillent. Quelles formes d’hybridations se sont-elles développées et à quelle échelle ? Il s’agit notamment de déterminer si cette démarche reste cantonnée à l’usage ponctuel de ressources tirées du MOOC ou si l’utilisation du dispositif dans son ensemble est une pratique courante. Ensuite, quelle influence le développement des MOOC a-t-il sur la marge de manœuvre dont disposent les formés quant au choix de la nature et des modalités de la formation ? La prise de liberté par rapport au cadre légal de la formation d’adultes fait qu’il y a une certaine latitude dans les procédures de choix et de mise en place des initiatives, mais la question de l’agentivité concerne également la formation initiale. Enfin, au-delà des usages effectifs, l’engouement pour les MOOC a-t-il contribué à donner une plus grande légitimité à la démarche d’hybridation ? En somme, ont-ils préparé le terrain à un changement des pratiques autour du numérique à défaut de les avoir bouleversé eux-mêmes ?
Israel (2015) répertorie cinq formes d’utilisation dans l’enseignement supérieur. Dans les deux premiers cas de figure, l’hybridation se déroule au sein de l’institution à l’origine du cours, avec deux variantes possibles. Dans le premier cas le ou les concepteurs du MOOC intègrent celui-ci dans leur propre cours, tandis que dans le second ils le mettent à la disposition de leur institution qui développe d’autres usages (intégration dans des maquettes pédagogiques, etc) (Gilliot 2015); on parlera dans les deux cas de MOOC endogènes. Certains établissements pionniers comme l’EPFL ont par exemple cherché à étendre plus largement le modèle de la classe inversée en se basant sur les MOOC endogènes. Dans le troisième cas de figure, le MOOC intégré est issu d’une autre institution; on parlera alors de MOOC exogènes. Cette dynamique a été impulsée dès 2012 par la signature d’accords entre les universités de Duke et d’Antioch. En France, l’exemple le plus emblématique de MOOC exogène est sans doute celui du Gestion de Projet de Centrale Lille, qui est intégré dans les maquettes pédagogiques de dizaines d’établissements d’enseignement supérieur.
Dans chacun de ces cas de figure, les modes d’utilisation du cours sont variables; celui-ci peut être utilisé pour tout ou pour partie, comme un simple support de cours, comme un complément de formation ou comme une formation à part entière. La majorité des MOOC sont issus d’établissements d’enseignement supérieur, et bien qu’ils ne s’inscrivent que rarement de manière explicite dans la logique de la formation d’adultes, on recense un certain nombre de cas d’utilisation de ces dispositifs de formation au sein de structures non académiques de tailles et de nature diverses. Par le terme “structure”, je me réfère à des structures non académiques, organismes de formation, associations, entreprises petites ou grandes, institutions publiques (dans la mesure où elles n’ont pas une mission de formation), etc.
Certains MOOC ont permis la mise en place plus ou moins spontanée de dynamiques de formation dans diverses structures sans qu’il y ait eu nécessairement concertation avec les concepteurs du dispositif. L’impact médiatique et la gratuité des MOOC ont probablement favorisé la multiplication des expérimentations dans les structures, expérimentations dont on retrouve parfois l’écho dans les médias lorsqu’elles sont systématisées à l’échelle d’une grande entreprise (comme cela a pu être le cas à Canal+). Le MOOC Gestion de Projet est par exemple intégré à chaque itération dans plusieurs dizaines d’entreprises, et l’analyse des identifiants de connexion (les e-mails) suggère que de nombreuses autres structures l’utilisent de manière informelle.
Outre le fait que le cadre légal dans lequel se développement ces initiatives reste mal défini à mes yeux, ces différents modes d’hybridation posent question dans la mesure où les MOOC ne sont que rarement conçus dans une logique d’hybridation. Or la volonté de s’adresser à un public diversifié pourrait entrer en tension avec l’objectif de formation. La question de l’hybridation peut également être abordée du point de vue de l’abondance de l’offre de cours et de ressources en ligne, dans la mesure où la richesse de l’offre de formations gratuites disponibles constitue l’un des éléments les plus à même de faciliter la démarche.
Beaucoup d’autres questions restent en suspens. L’essor des MOOC marque-t-il de ce point de vue un tournant qualitatif et quantitatif dans l’histoire de l’Open Education, tant du point de vue de l’offre que des usages qui se sont développés à partir d’elle ? Que pèsent les MOOC au sein de l’éducation non formelle en ligne, qui se développe désormais dans des disciplines aussi diverses que l’apprentissage des langues ou de la programmation ? Cette incartade du monde académique dans l’univers de l’éducation non formelle en ligne est-elle éphémère ? Est-ce que l’hybridation est anecdotique, ou représente-t-elle un phénomène émergent important sur le plan quantitatif ? Comment les choses se déroulent-elles en pratiques dans les structures qui développent diverses formes d’hybridation ?
Je n’en dirais pas plus. Des collègues sont actuellement en train de boucler une thèse sur ces questions, et j’attends leurs écrits avec impatience. Bien évidemment, on peut s’attendre à des invariants, qu’il y ait un certain nombre de similitudes avec l’hybridation du e-learning telle qu’on l’a pratiquée depuis les années 2000. Je suis néanmoins certain qu’il existe un certain nombre de spécificités au mouvement MOOC qui légitiment la conduite de recherche spécifiquement sur ces questions. Affaire à suivre donc …