
Côté Cisel, on va dire que mon père et sa fratrie sont de parfaits exemples de ce que l’on appelle les « transfuges de classe », un phénomène bien connu de la sociologie française (on en parle par exemple dans cette interview du normalien Edouard Louis, fils spirituel de Bourdieu). Les transfuges, ce sont par exemple ces générations issues des classes populaires, qui, dans l’immédiat après-guerre, purent effectuer leur ascension sociale grâce aux études. Et c’est une tradition que j’aimerais voir se perpétuer en partie grâce au numérique.
Plus vraiment membres de leur classe d’origine même s’ils en gardaient un certain nombre de valeurs, les transfuges n’en appartenaient pas pour autant aux classes qu’ils rejoignaient sur le plan des revenus. Cela causa bien souvent un sérieux problème d’identité, problème à bien des égards transmissible de génération en génération. On peut ainsi tout fait avoir étudié dans des établissements prestigieux comme le lycée Henri IV, et avoir été biberonné aux idéaux de la classe ouvrière d’après-guerre, ce qui est, somme toute, assez paradoxal.
En bon héritier de transfuge, on peut avoir fait une prépa tout en abhorrant le discours élitiste qui l’entoure. Si ma famille a pu s’élever socialement parlant, c’est grâce à l’université des années 60, c’est grâce à un grand élan de mobilité sociale médié par les études, élan, qui, si j’en crois l’ouvrage de Thomas Piketty (le capital au vingt-et-unième siècle), n’est pas prêt de se reproduire de sitôt. Autant vous dire que la logique malthusienne du système éducatif à la française, j’ai un peu de mal avec. Et accepter l’autorité et la légitimité de ceux qui incarnent cette logique, ce n’est pas facile non plus.
Dans l’ensemble, même si je n’en pensais pas moins, je suis pourtant toujours resté un élève puis un étudiant plutôt docile, et je me suis (presque) toujours abstenu de remettre en cause l’autorité en critiquant les pratiques pédagogiques. Le masque ne s’est fissuré qu’à quelques reprises, souvent dans des moments critiques, c’est ballot. Et la sanction qui tombait parfois. Je l’avais cherché, mais je n’ai pas réussi à avaler mon serpent et à l’âge de vingt ans je jurai en mon for intérieur de venir titiller l’enseignement supérieur français, d’autant que la prépa m’avait rendu insomniaque, et que j’en tenais le système pour responsable, à tort ou à raison.
Intégrer des cours en ligne dans des cursus, et laisser davantage de libre-arbitre aux étudiants, voilà qui pose la question du pouvoir d’orientation. C’est un pouvoir qui pour certains devrait appartenir exclusivement à l’institution. Une position anachronique qui pourrait faire sourire si elle n’était pas symptomatique d’une vision relativement répandue.
Sans vouloir aller jusqu’à priver les étudiants de leur libre-arbitre, on les considère bien souvent comme trop immatures pour construire leur propre parcours. Néanmoins, on leur laisse la responsabilité de faire des choix qui les engagent sur le long terme alors qu’ils n’ont que leur bac en poche. Et après leurs études, ils sont souvent lâchés dans la nature sans autre forme de procès (même si les choses s’améliorent sans doute sur ce plan). La maturité, un argument à géométrie variable et dont on se sert dans un sens quand on veut imposer des contraintes, et dans l’autre quand on veut se désengager d’un service. N’y aurait-il pas comme une légère contradiction ?
Donner davantage de liberté dans le choix des cours, ce n’est pas faire une croix sur les maquettes pédagogiques, ni remettre en cause la nécessité d’un socle commun. En revanche, c’est une méthode a priori relativement efficace pour lutter contre le cloisonnement disciplinaire. On comprend la peur de la désintermédiation, de la substitution, mais qu’y a-t-il à craindre ? Une peur largement infondée à mes yeux, mais qui risque de ralentir considérablement les évolutions des cursus pédagogiques.
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