Je poursuis aujourd’hui la série de billets sur les motifs qui sous-tendent l’inscription, avec un focus sur ce que Carré (2002) nomme le motif prescrit. Dans le cas du motif prescrit, le participant ne s’est pas inscrit de sa propre initiative. On peut distinguer au moins deux cas de figure. Soit le participant a été incité par un ami, un collègue ou toute personne qui ne correspond pas à un supérieur hiérarchique ou un enseignant. Soit il a été incité ou contraint de s’inscrire par un supérieur hiérarchique, ou un enseignant dans le cas des étudiants.
De l’intégration du MOOC dans un cursus de formation
Dans un certain nombre de cas, des étudiants sont incités, voire contraints, à suivre un MOOC, que celui-ci soit ou non issu de l’établissement au sein duquel ils réalisent leur cursus. On parle parfois de public captif lorsque les participants sont fortement incités à suivre le cours, et éventuellement à en obtenir le certificat, et de publics non captifs dans le cas contraire. Dans certains des cas que nous j’ai analysés via un questionnaire au cours de ma thèse, la proportion d’étudiants en cursus peut représenter un volume conséquent des inscriptions.
Lorsque le MOOC est formellement intégré dans le cursus, il arrive que les partenariats entre l’établissement concerné et l’équipe pédagogique du MOOC se matérialisent par l’obtention d’un statut spécial dans les listes d’inscrits. Il est alors possible d’estimer leur importance et les taux de certification attenants par une analyse directe des listes d’inscrits, analyse qui ne souffre des biais d’autosélection inhérents aux enquêtes. On constate par exemple dans la deuxième itération du MOOC Gestion de Projet qu’environ 9% des inscrits étudient dans l’un des cinq établissements partenaires du MOOC, et 4% travaillent dans une institution partenaire utilisant le dispositif dans une logique de formation professionnelle.
Les taux de certification des publics captifs pour cette seconde itération du MOOC dépassent 80%, là où ils sont inférieurs à 25% pour les publics non captifs. Cette différence, considérable, souligne l’importance de la prise en compte de la motivation sous-tendant l’inscription pour interpréter l’attrition. Soulignons que le suivi du cours ou l’obtention de son certificat sont parfois optionnels au sein de tels établissements, et que le cours peut être prescrit sans que l’obtention du certificat ne soit rendue obligatoire. Ce cas de figure est rapporté par une enseignante ayant utilisé le MOOCAZ dans le cadre d’un Master.
« J’avais prévu toute une série de questions et je leur [Les étudiants] ai demandé de tenir un journal de leur expérience de MOOC. Il y en a plein qui ne connaissaient pas avant et je trouvais que c’était bien qu’ils sachent aussi ce que c’était. La proposition correspond exactement à un cours d’autoformation et d’initiation qui permettait à ceux qui ne s’étaient jamais confrontés à l’autoformation de rentrer dedans. […] C’était une obligation de suivre le MOOC et de faire certaines tâches au cours du cursus. »
Il arrive également que les étudiants ne soient qu’incités à suivre le cours, sans y être formellement contraints. C’est notamment le cas de cette étudiante en reprise d’études, 38 ans, qui a été invitée par l’équipe pédagogique de son Master à suivre le MOOCAZ dans le cadre d’un cours facultatif.
« On avait un cours d’ingénierie pédagogique et on nous a sensibilisés à plusieurs outils et à plusieurs types de cours. Ils nous ont invités à suivre le MOOC qui se lançait pendant le premier semestre. »
Au sein de ce Master, les étudiants s’engageant dans le MOOC ont été encadrés par une ingénieure pédagogique, et disposaient d’un créneau dédié pour réaliser ensemble les activités. Ils n’étaient pas contraints ni de suivre le MOOC, ni d’en obtenir le certificat.
De la simple injonction à suivre le MOOC
Enfin, l’incitation à suivre le cours prend parfois la forme d’une simple injonction de la part d’une équipe pédagogique, sans qu’une quelconque forme de suivi des étudiants ne soit mise en place. C’est ce qu’illustre le cas de cette étudiante camerounaise, encouragée, mais non contrainte à suivre un cours de statistique par l’équipe pédagogique d’un Master français.
« Alors je disais je me suis inscrite sur un autre MOOC sur la statistique descriptive l’année dernière, je ne l’ai pas commencé malheureusement, nous ne l’avons même pas commencé, un MOOC français sur la statistique descriptive je crois sur la même plate-forme. Nous y avons été encouragés par notre enseignant car déjà dans le cadre du Master c’est une discipline que j’ai pas vraiment comprise. »
Rappelons enfin que la simple pression de conformité sociale suffit à définir le motif comme prescrit. Ce cas n’est pas spécifique du milieu académique, et l’on retrouve également certaines formes d’incitation dans le milieu professionnel, notamment lorsqu’un supérieur hiérarchique invite les salariés d’une structure à suivre un ou des MOOC. C’est le cas de cette chef de projet travaillant dans une association, qui suit des MOOC en compagnie d’autres collègues suite à une impulsion donnée par un supérieur hiérarchique :
Notre chef nous a dit « Ouais de toute façon y en a marre, il faut qu’on fasse quelque chose, il faut qu’on y aille même si on se plante, sinon on va dire ouais les MOOC peut être que c’est bien, mais on sait pas ce que c’est. » Et donc ça a déclenché une vague d’inscriptions, et on s’est dit « allez, on y va on fonce ».
Il est en revanche plus difficile de déterminer dans quelle mesure nous nous trouvons dans le cas du motif prescrit lorsque le participant est incité à s’inscrire par une personne avec qui il n’existe pas de lien hiérarchique à proprement parler. C’est par exemple le cas de cette participante, qui suit des MOOC en tandem avec une ancienne collègue. Le choix du MOOC à suivre est réalisé par l’un ou l’autre membre du tandem.
« J’ai effectivement une ancienne collègue, qui travaille avec moi, souvent sur les MOOC qui habite pas du tout à côté de chez moi. On s’échange nos devoirs, quand il y a des projets à faire on les fait ensemble, quand il y a des quiz à faire on les fait ensemble par téléphone. C’est vrai que c’est un des éléments de motivation importants pour moi de pas faire ces MOOC seuls. »
Le motif prescrit, s’il prend une importance considérable dans quelques cas particuliers, semble néanmoins relativement minoritaire à l’échelle de plates-formes comme FUN, si l’on s’en tient aux résultats de mes enquêtes (cf. ma thèse). Cependant, les choses évoluent vite, alors il faut garder un œil sur l’évolution de l’importance de ce motif dans les années à venir.