Chers lecteurs, je voulais vous signaler que si vous vous intéressez un peu à la question de l’analyse des traces d’interaction – les learning analytics dans la langue de Shakespeare – j’ai récemment publié sur la question dans un article fondé sur les données d’une demi-douzaine de MOOC organisés sur Coursera. Soit dit en passant, il s’insère dans un numéro spécial MOOC de la revue STICEF que je vous enjoins à lire au plus vite si ce n’est déjà fait. Il y a pas mal de contributions d’estimés collègues, plus intéressantes les unes que les autres. L’article est assez technique, aussi suis-je réticent à en publier de nombreux extraits sur le blog. J’ai préféré, comme je le fais parfois, vous rédiger une petite synthèse de la question sous la forme d’un billet de blog; libre à vous d’aller lire le papier si vous voulez creuser la question.
Le point de départ de cet article est une interrogation sur la question des participants dont les objectifs ne correspondent pas à l’obtention du certificat, et observés dans les travaux sur la formation à distance. Je m’intéresse aux utilisations des vidéos pédagogiques du cours qui sont faites par les non-certifiés, selon une approche de méthodes mixtes.
Méthodologie
La partie quantitative de ce travail correspond à l’analyse des traces de six MOOC organisés sur la plate-forme américaine Coursera, ayant réuni collectivement plus de 100.000 inscriptions. Dans ces traces, j’ai cherché à identifier pour les non-certifiés des éléments susceptibles de révéler diverses formes d’utilisation. Pour ce faire, j’ai collecté les données relatives à la visualisation et au téléchargement des vidéos du cours, ainsi que la participation aux activités évaluées. J’ai fait la distinction entre le visionnage depuis la plate-forme et le téléchargement, car le simple fait de télécharger une vidéo pédagogique ne garantit en rien que celle-ci soit visionnée par la suite.
J’ai ensuite cherché, selon une approche qualitative, à interpréter l’émergence des utilisations révélées par les analyses de traces. Pour ce faire, une quarantaine d’entretiens semi-directifs ont été réalisés avec des utilisateurs de MOOC afin de mieux comprendre les comportements associés au visionnage ou au téléchargement de vidéos. Ces entretiens ont été réalisés auprès d’apprenants français ayant le plus souvent suivi plus d’une demi-douzaine de cours.
Résultats
Je me suis intéressé en premier lieu aux participants qui visionnaient la plupart des vidéos pédagogiques du MOOC sans participer pour autant à suffisamment d’activités évaluées pour obtenir le certificat. Je montre que les non-certifiés ayant visionné l’essentiel des vidéos depuis la plate-forme sont largement minoritaires face aux certifiés.
En revanche, les téléchargeurs assidus, i.e. les non-certifiés qui téléchargent plus de 90% des vidéos pédagogiques du cours, sont nettement plus nombreux que les certifiés. L’attrition est bien plus élevée chez les personnes qui visionnent les vidéos depuis la plate-forme que chez celles qui téléchargent les vidéos, ce qui suggère qu’un certain nombre de personnes téléchargent les vidéos pour les stocker, mais non nécessairement pour les visionner par la suite. Ce comportement contribue vraisemblablement à gonfler artificiellement les statistiques d’utilisation des vidéos.
Néanmoins, les traces montrent ici leurs limites puisqu’il n’est pas possible de déterminer précisément ce qu’il advient des vidéos une fois téléchargées. Cette discussion sur les limites de l’approche par trace sert de transition pour aborder la seconde partie de l’article, centrée sur les entretiens semi-directifs.
La notion de barrière nous permet de montrer que le fait de se cantonner au visionnage des vidéos pédagogiques ne constitue pas nécessairement une décision positive de la part de l’utilisateur, mais peut également relever de considérations comme l’inscription trop tardive à la formation. J’utilise également la notion pour mieux comprendre les motivations sous-jacentes au téléchargement. Les entretiens corroborent certaines de mes hypothèses, et notamment celle selon laquelle certains participants stockent les vidéos pour des utilisations ultérieures éventuelles, mais rarement effectives.
Discussion
L’article se conclue sur le fait que la question du comportement des non-certifiés est d’autant plus importante que des plates-formes aussi centrales que Coursera sont en pleine mutation. La plate-forme a subi un profond changement en 2016. Les contenus des MOOC de la plate-forme sont désormais accessibles en permanence, ce qui constitue une transition du format temporalisé au format atemporel ; en revanche, les activités notées et les certificats ne sont généralement plus disponibles qu’aux seuls utilisateurs ayant payé pour le cours. Seules les vidéos pédagogiques sont pour le moment encore accessibles à tout un chacun. Cette mutation constitue à certains égards un retour à un modèle traditionnel de formation à distance dont les ressources pédagogiques seraient librement accessibles, et dont l’Open University a constitué l’un des pionniers. Si les utilisateurs traditionnellement les plus investis dans les MOOC mais ne souhaitant pas payer ne se reportent pas sur les vidéos, alors il est vraisemblable que l’on assiste à une chute globale du nombre d’utilisateurs de MOOC à l’échelle planétaire. Dans ce cas, ces cours auront perdu ce qui fait l’une de leurs spécificités, leur caractère massif et ouvert.
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