Intégration de plateformes de cours en ligne dans les cursus : la taille critique atteinte par endroits

Depuis quelques billets, je vous parle de digitalisation au sein de mon établissement d’exercice. Nous menons à Cergy des expérimentations avec Datacamp, où nos étudiants se sont inscrits à une plateforme de cours complets, assez riche, qui permet de se former à différentes techniques dans des langages de programmation comme R ou Python. En parallèle, j’ai exploré un peu l’offre de Coursera Campus à l’occasion de la réflexion sur le confinement, qui permet d’avoir accès, pour des sommes équivalentes, à des offres de cours dans des disciplines variées. En d’autres termes, comme je le disais l’autre fois, ces plateformes permettent plus ou moins, enfin, de tenir la promesse initiale des MOOC. La question est : à quel prix ? La réponse est « environ 300 euros/an/étudiant ». Cher ou pas cher ? Bonne question. Je me suis mis à suivre les cours que j’ai prescrits à mes étudiants, et à leur imposer des projets car je trouvais qu’ils n’avançaient pas assez spontanément. Bref, j’ai exploré beaucoup de directions, commencé à mûrir la réflexion; je vous partage ici mes avancées en la matière.

Premier élément, la gratuité. J’avais été surpris du caractère gratuit de l’offre de Datacamp, alors même que l’enseignement supérieur devait être leur principal marché. En fait ce n’est gratuit que six mois, il ne faut pas rêver. Après, c’est environ 300 euros par an par étudiant, avec des promotions à -50% de temps à autre. Cela reste bon marché pour ce que c’est et je maintiens que c’est un bon rapport qualité/prix, très bon travail d’étayage (de scaffolding), on s’entend, mais ce n’est pas gratuit. En revanche, nous sommes en plein débat entre collègues data scientists quant à la portée de ces cours. On a vu des étudiants minimiser leur retard sur certains projets ou devoirs/certaines lacunes en assurant qu’ils se rattraperaient sur Datacamp. Hum, il a bon dos le Datacamp. Ensuite, je peux voir si un étudiant a travaillé, mais pas exactement ce sur quoi il a travaillé, et cela ça me gêne un peu en tant qu’enseignant. Enfin, il y a la question des objectifs pédagogiques que l’on peut attribuer à ces plateformes. Pour le coup, il n’y a pas 36 manières de se forger un avis. Je suis allé suivre les cours de Machine Learning.

Pour le moment, je trouve que c’est très bien pour apprendre des concepts, des petites techniques / lignes de code (avec des exercices interactifs). Pour mener des projets ambitieux sur plusieurs semaines, il est clair que c’est à nous, en tant qu’enseignants et institutions, de faire le travail. Faire un retour automatique sur une ligne de code, la plateforme y arrive (et encore, parfois elle nous embête sur des formalismes, elle ne voit qu’une manière d’arriver au résultat et ne reconnaît pas comme valides des alternatives tout à fait légitimes). En revanche, analyser automatiquement la pertinence d’un raisonnement fondé sur des données réelles, c’est un diagnostic humain qu’il faut, et la plateforme ne le fournit pas.  Il y a certes des petits projets en R et Python, mais c’est encore centré sur la maîtrise des lignes de commande. Donc pas de substitution de l’enseignant, simplement un déplacement des tâches. Comme d’habitude. On peut laisser à la plateforme une grande partie des cours magistraux de base et des petits travaux pratiques où il ne s’agit que de maîtriser les lignes de commande (et Dieu/Darwin sait que cela représente une bonne partie de nos cours en présentiel), mais l’enseignement des compétences de niveau élevé, de la réflexivité, on ne peut les externaliser. Du coup, pour une UE d’une trentaine d’heures de statistique, cela nous amène vers 50% du temps sur la plateforme, et 50% du temps sur de l’encadrement de projet.

Je teste le modèle dès la semaine prochaine; mes étudiants doivent maîtriser une technique de visualisation de données sur la plateforme, et l’appliquer au jeu de données de leur choix, issu d’une base de données ouvertes du gouvernement (façon Etalab). En rendant le travail obligatoire sur la plateforme, on rend l’investissement plus pertinent. Jusque là, nous avions fonctionné sur le principe de l’investissement personnel, avec quelques créneaux dédiés. Sans surprise, énorme écart entre les étudiants les plus motivés et les moins motivés. En créant une UE dédiée centrée autour de Datacamp, et dont l’utilisation devient obligatoire, je tente de resserrer l’écart. Quelle aubaine en temps de confinement et d’enseignement à distance. C’est tellement plus facile à suivre pour les étudiants que les cours à distance en synchrone. Normal, c’est fait pour ça. Nous verrons ce que cela donne.

Après je tiens à souligner que cette problématique d’articulation avec des plateformes ne concerne plus le seul champ de la Data Science. Les choses ont bien avancé dans ce domaine et c’est pour cela que c’est là que la réflexion est facile à approfondir, mais les évolutions des modèles économiques de mastodontes comme Coursera changent la donne. Contrairement aux autres plateformes, et notamment aux francophones, ils ont atteint la taille critique qui leur permet de monétiser un accès au catalogue sous forme d’abonnement. A l’inverse de Datacamp, les cours sont généralistes, et s’ils sont pour la plupart issus d’établissements plutôt prestigieux, il y a à boire et à manger. J’ai loupé quand ce changement de modèle économique a eu lieu. C’est néanmoins une modification considérable par rapport au modèle précédent, où l’on payait « par cours » pour passer leurs certifications. Reste à approfondir quant aux activités qui sont associées à ces certificats, et à mesurer l’obstacle que représente la barrière de la langue (s’il y a des sous-titres en Français sur de nombreux cours, l’anglais reste la norme). La principale difficulté ici est que l’on ne peut pas généraliser à partir d’un ou deux exemples, alors qu’avec Datacamp, l’homogénéité dans l’approche pédagogique suivie permet des généralisations plus rapides.

Compte tenu du coût des abonnements par étudiant, on ne peut envisager, à moins d’avoir de l’argent à dépenser, de multiplier les abonnements (j’ai évoqué à plusieurs reprises mes benchmarks avec les éditeurs américains, qui proposent des offres analogues, à prix équivalents). Il faut faire un choix de plateforme et s’y tenir, et l’utiliser autant que faire se peut. L’investissement est d’autant plus rentable que l’on multiplie les UE où l’on mobilise la plateforme retenue. Une expérimentation par un enseignant dans son seul cours est coûteuse, et pas sûr que l’on fasse « chuter les coûts », si tant est que cela soit l’objectif. Multiplions les expériences au sein de l’année, et là oui, il y a chute des coûts, c’est certain, même s’il faut payer pour la plateforme. Mais cela implique de raisonner à l’échelle d’une formation, d’une année, et non plus à l’échelle d’un cours, et d’avoir anticipé les charges horaires des enseignants (en diminuant le temps de face à face en amont de l’organisation de l’année). A un moment il faudra que l’on fasse des calculs de coin de table pour voir dans quelles conditions c’est économiquement intéressant tout en étant pédagogiquement pertinent. Je le ferai à un moment, promis. Voilà déjà un billet assez riche en contenu et en controverses. Je suis curieux de savoir ce qu’ont vécu des collègues qui ont mené des démarches analogues.

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