Au cours de l’année écoulée, j’ai publié des articles sur deux sujets qui me sont chers, la rédaction incrémentale d’une part (parfois désignée par le vocable écriture itérative) et l’étayage médié par le numérique d’autre part (on dit scaffold en anglais, qui veut aussi dire échafaudage, d’où l’illustration). La première implique qu’une production écrite d’un.e étudiant.e effectue des allers-retours avec les pairs et/ou avec l’enseignant. Elle permet d’aller loin dans quant au niveau d’exigence pour les écrits des étudiant.e.s, mais il est vrai que ce type d’approche est avant tout adapté aux petites classes. La seconde est complémentaire de la première et vise à restreindre l’horizon des possibilités en termes d’écriture; elle passe très bien à l’échelle. Si vous voulez que vos étudiant.e.s apprennent à bien structurer leur pensée et à écrire correctement, quel que soit le domaine, vous devez connaître ces technologies qui seront je l’espère un jour ubiquitaires dans le supérieur. Quelques précisions.
Avec le développement de l’informatique, des applications ont été développées depuis des décennies pour instrumenter la rédaction incrémentale. La plupart des logiciels de revues scientifiques, basées sur le principe de l’itération, possèdent ce type de fonctionnalité. Dans l’enseignement, la pratique semble nettement moins développée.
En pratique, il n’est pas difficile de détourner un LMS pour mettre en œuvre de la rédaction incrémentale. Il suffit de proposer un devoir intitulé V1, faire des retours sur celui-ci, puis créer un devoir intitulé V2. Le problème principal auquel sont confrontés les formateurs qui procèdent de la sorte tient à la difficulté que nombre d’apprenants ont à prendre en compte les retours. Il manque cet outil de comparaison entre deux versions successives du travail de l’étudiant, que l’on mettrait au regard des commentaires effectués. Ou il faut tout faire manuellement et cela devient excessivement long. Déjà que c’est un effort considérable de suivre cette pédagogie exigeante …
Il faudrait un outil qui contraindrait l’apprenant à valider, rétroaction par rétroaction, comme les items d’une liste, qu’il a pris en compte les différents items de la liste des retours du formateur. On peut alors imaginer un système de sanctions qui viserait les apprenants affirmant avoir pris en compte le retour, et qui ne l’ont pas fait en réalité. L’enseignant pourrait avoir une échelle graduée permettant d’évaluer à quel point son retour a été pris en considération.
L’un des avantages de la rédaction incrémentale est qu’elle s’inscrit dans la continuité de pratiques existantes : la correction de rendus. On n’impose pas une nouvelle tâche. En revanche, cette approche impose à l’enseignant de changer de regard sur l’évaluation, l’évaluation intermédiaire correspondant à une évaluation formative.
Il peut être utile de rappeler les réflexions de Favre sur le statut des erreurs : « La diffusion du concept d’évaluation formative ne s’est pas apparemment traduite par des modifications notables d’attitudes dans la façon d’enseigner. Cette conception « nouvelle » de l’évaluation attribue à l’erreur une signification et un statut très différents de ceux qu’elle a lorsqu’elle est confondue avec la notion traditionnelle de faute ».
En plus des questions d’acceptabilité liées au rapport à l’évaluation, la mise en place de la rédaction incrémentale suppose de consacrer davantage de temps sur la correction des copies, puisqu’il y a plusieurs itérations du travail d’évaluation, au même titre qu’il y a plus itérations du travail de production pour les apprenants. C’est un compromis classique entre qualité et quantité, qui suggère dès lors que ce type de fonctionnalités n’est pertinent que pour des groupes d’apprenants de taille réduite.
Quant au scaffolding, la métaphore de l’échafaudage a été pour la première fois mobilisée pour expliquer le rôle que les formateurs peuvent jouer pour orienter les apprenants dans des activités de résolution de problèmes dans les années 1970. L’étayage consiste en essence à ce que l’adulte « contrôle » les composantes d’une tâche qui sont initialement au-delà des capacités de l’apprenant, lui permettant de se concentrer et sur les composantes qui sont à sa portée au regard de ses compétences ». Il s’agit ici de diminuer la charge mentale que subit l’esprit de l’apprenant au moment de l’exécution de la tâche. L’apprenant ne part pas d’une page blanche, ce qui peut accélérer considérablement le processus de rédaction.
Des logiciels prototypiques dédiés à l’étayage ont été conçus pour de nombreuses tâches, comme la recherche d’information ou la rédaction de textes. Ces étayages visent à restreindre la complexité de la tâche permettant à l’apprenant de résoudre des problèmes qu’il ne peut accomplir seul, ils peuvent dès lors prendre bien d’autres formes. Dans les outils numériques, les fonctionnalités d’étayage permettent de guider et structurer la démarche des élèves en proposant des cadres, des « templates », dont la vocation est de normaliser et d’organiser les productions des apprenants. Avec des ouvreurs de phrases aussi. Par exemple, pour aider un.e étudiant.e à formuler une hypothèse, vous pourrez la décomposer en deux. Premier ouvreur : Mon hypothèse est que … Deuxième ouvreur : la conséquence vérifiable de l’hypothèse est …
Un logiciel célèbre de par son ancienneté a été utilisé pendant des décennies : le Knowledge Forum (KF). Il est certes un peu obsolète, mais il a été mobilisé dans le contexte de l’enseignement supérieur et dans le monde de l’entreprise, et si l’ergonomie est à revoir, les concepts qu’il porte sont toujours pertinents. Les développeurs du logiciel sont les fondateurs et plus ardents promoteurs de la théorie du Knowledge Building.
Dans une logique de différenciation pédagogique, l’enseignant peut fournir aux apprenants des étayages personnalisés selon leur niveau d’avancement ou selon la tâche qu’il estime la plus appropriée. C’est probablement l’outil de Microsoft Onenote for Classrooms qui a le plus contribué à démocratiser cette approche d’attribution différentielle d’étayages. Les étayages peuvent prendre de nombreuses formes ; une checklist en amont de la soumission d’un devoir peut constituer un étayage. Les effets de ce type de technologies sur l’apprentissage, et plus particulièrement sur la qualité de la rédaction, ont été démontrés dans de nombreuses disciplines. Il n’y a pas de contrainte théorique à extrapoler la démarche à toute forme de tâche où l’apprenant doit produire un texte structuré, ou un programme informatique par exemple. Je vous renvoie aux références de mon article si vous voulez en savoir plus sur cette démarche très prometteuse.
3 Responses to Rédaction incrémentale et étayages : pour remonter le niveau d’exigence dans les écrits