Le débat sur l’open access agite les milieux académiques depuis plusieurs décennies. Le modèle des éditeurs scientifiques, qui profitent économiquement de travaux financés principalement par des fonds publics, pose question à de nombreux chercheurs et organismes de financement. Les pressions de ces derniers se multiplient, et on citera notamment le Plan S, initié par l’Europe et rejoint peu après par la Chine, qui encourage la publication des résultats des recherches publiques sous le régime de l’open access, c’est-à-dire en libre accès. Loin des échanges parfois houleux autour de la question, qui atteignent également la sphère politique, des discussions moins médiatisées ont vu le jour dans les revues scientifiques sur un autre front de l’open access, méconnu mais néanmoins discuté depuis une vingtaine d’années, celui de l’accessibilité des manuscrits de thèse sur Internet.
On trouve des répertoires centralisant les documents électroniques des thèses à différentes échelles. Dans de nombreux pays, cet archivage en ligne se fait essentiellement à l’échelle d’une institution ou d’un groupement d’institutions. Néanmoins, certains répertoires sont conçus pour fonctionner à une échelle nationale, comme c’est le cas en France avec le site theses.fr et son archive, ou même à une échelle supranationale, DART-Europe moissonnant différents répertoires à l’échelle européenne.
En France, un manuscrit de thèse n’est accessible en ligne sur l’archive TEL que si le ou la jeune docteur.e, après la soutenance, signale explicitement sa volonté de diffuser sur Internet le fruit de son travail archive. Le processus de mise en ligne est généralement dévolu à l’établissement, de sorte que des blocages institutionnels peuvent également impacter la disponibilité en ligne des manuscrits. Il arrive que les décisions relatives à la diffusion du travail soient le fait du laboratoire de rattachement, qui peut décider d’un embargo temporaire sur la publication si le sujet est considéré comme stratégique et qu’il est jugé important de maintenir un avantage compétitif pour l’équipe de recherche. Ce cas de figure reste néanmoins rare, et la décision de diffuser son travail en ligne est principalement prise par l’auteur ou l’autrice du manuscrit. A cet égard, l’accessibilité des thèses en ligne est un sujet qui se rapproche davantage de la question de l’auto-archivage des articles que des rapports de force entre institutions de recherche et éditeurs privés.
L’enjeu est de l’accessibilité en ligne des thèses est suffisamment important pour que des auteurs défendent le caractère obligatoire de la mise en ligne des thèses électroniques issues des financements publics. Certes, les manuscrits sont le fait d’individus en principe moins expérimentés sur le plan de la recherche, par définition, que ceux des chercheurs confirmés. Néanmoins, ces documents concentrent les efforts d’années de travail. Par ailleurs, jeunes docteurs susceptibles de diffuser leur manuscrit de thèse sont nombreux à ne pas obtenir de poste dans le milieu académique, ce qui signifie que la mise à disposition du document sur une archive en ligne constitue une opportunité unique de partager leur recherche. Certes, on peut toujours arguer qu’un manuscrit de doctorat qui n’est pas en ligne est toujours accessible en bibliothèque en version papier, souvent également dans le laboratoire où a été effectué le doctorat.
Dans ce cas, en pratique, seuls les chercheurs géographiquement proches de l’institution en question peuvent y avoir facilement accès, et le déménagement d’une institution peut encourager à la mise à la benne de documents somme toute encombrants. Ces différentes considérations font de l’archivage en ligne des thèses un sujet dont il convient d’étudier les déterminants. Le ou la docteur.e peut par exemple avoir des réserves sur son propre travail et refuser de s’exposer au regard de ses pairs. A cet égard, il convient de mieux la perception que les jeunes docteurs ont vis-à-vis de la mise en ligne. Des amis à moi refusent par exemple de rendre accessible en ligne leur travail car ils n’ont pas eu le temps de corriger des coquilles, et ils craignent que les petites imperfections de leur manuscrit nuisent à leur carrière. Le pire est qu’ils n’ont pas nécessairement tort.
La mise en disposition de la thèse en ligne peut interférer avec une stratégie prédéfinie de publications d’articles, cruciaux pour une carrière académique. La réticence des revues à publier des articles dont les résultats sont déjà présentés dans une thèse en ligne peut être contrebalancée par la plus grande visibilité qu’offrent, pour les jeunes docteur.e.s, les répertoires en ligne.
Tout ça pour dire que j’ai trouvé à travers la question de la diffusion des manuscrits un sujet de recherche qui me passionne au moins autant que les MOOC. Sachez qu’on a scrapé theses.fr avec des étudiants l’été dernier et obtenu des résultats formidables sur les différences entre disciplines vis-à-vis des pratiques de diffusion. Je vous tiendrai au courant de mes avancées dans l’année. Enfin, j’espère, si j’ai le temps …