La digitalisation des enseignements : puits financier sans fond ou économie d’échelle, à vous de choisir

Aujourd’hui, j’aimerais vous parler ressources externes et économies d’échelle (avec à la clef ma première intégration de vidéo de MOOC). Je vais vous présenter un petit budget prévisionnel dans la vidéo qui accompagne ce billet, budget que j’avais développé dans le cadre d’une réflexion sur la digitalisation d’un cursus. Du coup, la question stratégique à se poser au début de chaque projet est la suivante : « est-ce que l’on va développer ses propres ressources pédagogiques, ou intégrer des ressources pédagogiques trouvées ailleurs, sur Internet ? ». Cela peut être très coûteux d’aller en studio et de faire ses vidéos. On va parler un peu de sousous, et du coup c’est nécessairement un peu polémique.

Parfois, il peut être beaucoup plus stratégique d’aller sur FUN MOOC, ou sur tout autre site de ressources éducatives libres  afin de minimiser votre investissement  dans la création de nouvelles ressources. L’approche budgétaire que je vais vous présenter est fondée sur un cas, une étude réelle, et plus précisément  sur l’hybridation d’un cursus, le Bachelor en Data Science  de l’Université CY Cergy Paris Université. On s’est posé la question de ce qu’on allait développer :  nos ressources en interne, les ressources endogènes,  ou aller vers les ressources exogènes. C’est une question stratégique que j’avais posée à plusieurs reprises au cours des trois années passées à travers divers billets. Et le contenu de ma réflexion est un tantinet polémique. Vous allez comprendre pourquoi dès le prochain paragraphe.

Plus l’on se repose sur des plateformes externes,  moins on a besoin d’enseignants pour avoir une bonne couverture des enseignements. On peut ainsi tenir une formation avec une équipe pédagogique importante. Le but n’est pas de mettre les enseignants de data science au chômage, ne vous inquiétez pas pour eux,  mais de permettre avec une équipe réduite de construire un cursus riche. Le problème du coût est essentiel, parce que si vous voulez digitaliser vos cursus en négligeant finalement la fatigue de vos équipes pédagogiques, vous allez vous rendre compte que vous devez vous reposer sur des enseignants surinvestis. Si vous leur demandez de passer de 30 minutes à 3h de travail chaque fois qu’ils doivent créer une petite vidéo de cinq minutes, vous allez les tuer à la tâche. Et quand je dis 3h, parfois c’est 8, 12, 15 h dans les premières vidéos. En vous reposant uniquement sur la création de ressources par vos soins, vous allez épuiser vos équipes et finalement, pas réussir autant que vous le souhaitez votre processus de digitalisation.

Non seulement vous allez avoir besoin  de beaucoup d’enseignants très motivés travaillant tard le soir, voire la nuit, pour faire des ressources, mais en plus, vous aurez probablement à les former aux technologies de conception. Vous allez devoir recruter des gens pour former les enseignants, etc. Les coûts, exponentiellement, augmentent,  augmentent, augmentent. Le numérique peut être un puits budgétaire quand on s’y prend mal (ce qui est le cas bien une fois sur deux). Dans le budget que je présente, j’ai mis le coût approximatif  de la création d’une UE en journée homme d’une part, et en heures équivalent TD d’autre part (les HETD).  Pour ceux qui s’y intéressent, donc, 2 heures équivalent TD,  c’est à peu près une journée de travail.  Il y a un facteur 4, quand l’on est payé 2 h en tant qu’enseignant,  en fait c’est 8 h de travail. Je distingue dès lors création d’une vidéo de novo et curation et adaptation d’une vidéo existante. Donc, pour environ 4/5 heures de cours magistraux  soit 25 % des cours magistraux d’une UE, on monte à environ 64 h équivalent TD.

Donc quelqu’un qui, en plus de sa charge de travail d’enseignant, va faire des heures complémentaires  pour digitaliser, cela coûte à peu près 2 500 €  et facilement le triple,  si c’est un enseignant que vous recrutez spécifiquement pour ça  et qui n’a fait que ça. Cela, c’est pour la création de novo.  Adapté de l’ancien, c’est un petit peu moins.  L’hypothèse ici, quand l’on digitalise une UE complète, est que vous voulez remplacer tous les cours magistraux d’une UE par des vidéos pédagogiques  comme celles que vous êtes en train de regarder maintenant. En procédant de la sorte, cela coûte une dizaine de milliers d’euros par UE quand on repart de zéro, et si l’on doit digitaliser un semestre entier qui contient une dizaine d’UE,  là on parle de à peu près 100 000 € minimum. Le triple environ si l’on ne paie pas en heures complémentaires. Ce sont des sommes considérables. Aucun intérêt de faire cela si l’on a 30 étudiants en face. Et encore, je n’ai pris en compte ici que les coûts de l’enseignant, négligeant les différents services mobilisés.

Comprenez bien, si l’on prend la solution un peu chère, rémunérée pour cela, tournée en studio (par opposition à l’enregistrement d’un cours sur Teams ou via Ubicast), cela coûte une centaine de milliers d’euros pour digitaliser un semestre entier. Au lieu de raisonner en termes d’euros,  finalement, je préfère vous faire la comparaison  à partir du service typique d’un enseignant chercheur  qui n’a pas de charge dans une université.  Donc en fait le service d’un enseignant-chercheur,  il doit faire à peu près 192 h équivalent par an.  S’il doit faire une UE de 30 heures un enseignant chercheur,  il va être grosso modo responsable d’une demi douzaine d’UE de 30 heures.  Donc ça, c’est une UE.  Et si vous devez le payer une année pour complètement digitaliser ton UE  à sa juste valeur, en terme de temps investi, cela sera à peu près 80 heures minimum pour digitaliser complètement son UE. Et si vraiment l’on veut une digitalisation de qualité, on est à largement plus de 180 heures. Donc finalement si vous y allez fort, avec studio etc., et que vous rémunérez normalement, quasiment tout le service d’un enseignant chercheur d’une année va être mobilisé pour digitaliser une seule unité d’enseignement.

Tout son service va y passer si vous repartez de zéro. D’où l’importance des stratégies avec des ressources externes, et, en ce qui me concerne, la stratégie « plateforme ». Au lieu de développer moi-même mes ressources, j’ai trouvé une plateforme d’enseignement sur laquelle j’ai envoyé mes étudiants,  nos étudiants, puisqu’on était plusieurs enseignants. DataCamp en l’occurrence. Finalement, cela nous a coûté à peu près une quinzaine d’heures équivalent TD par enseignant.  Juste le temps de trouver quelques ressources,  les cours adaptés et tous les cours magistraux  sont passés comme ça avec une quinzaine d’HETD à notre charge,  au lieu de 180. Un vrai petit miracle économique. Et le tout avec un résultat bien meilleur sur le plan pédagogique. La suite au prochain épisode.

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