La place des femmes dans l’enseignement supérieur et dans la recherche constitue un sujet de préoccupation récurrent tant des politiques publiques, que des fondations privées. Sont tout particulièrement scrutées les filières comme l’informatique ou les sciences de l’ingénieur qui, traditionnellement, en recrutent peu. Tout un chacun connaît le prix l’Oréal, qui vient récompenser des figures féminines reconnues dans leurs champs scientifiques respectifs. S’agissant de la progression dans les carrières au sein des organismes de recherche ou dans les universités, les pouvoirs publics analysent régulièrement des différences entre hommes et femmes. Les analystes de la Direction Générale des Ressources Humaines (DGRH) du Ministère de l’Enseignement Supérieur se penchent notamment sur l’accès à des postes considérés comme prestigieux, ou tout simplement l’accès à la titularisation. Il est intéressant d’éplucher à cet égard les rapports divers et variés que publie ce service.
Ainsi, la DGRH étudie depuis longtemps les proportions relatives de Maîtres ou de Maîtresses de Conférence, ou au niveau du poste de Professeur.e des Universités. La démarche est relativement aisée dans la mesure où leurs statisticiens disposent de toutes les informations nécessaires pour réaliser des traitements approfondis, bénéfice appréciable de la machine administrative centralisée dont dispose l’Etat français. On pourra simplement regretter que les données présentées dans ces rapports ne soient pas davantage reprises dans la littérature scientifique, sous l’impulsion de sociologues versés dans les analyses quantitatives par exemple. Certains se consacrent à ce type de tâche, et les travaux de l’équipe du sociologue du travail Pierre-Michel Menger ou d’Olivier Godechot sont inspirants à cet égard, mais les auteurs s’investissant dans ce type de démarche restent trop rares.
Une fois que l’on a comparé les données sur l’obtention de postes issues de la DGRH, une fois que l’on a contrasté la situation d’une discipline à l’autre, suivant les évolutions au fil du temps, peut-on dire que l’on a fait le tour de la question ? Poser la question, c’est déjà y répondre. Evidemment, la question des inégalités ne saurait se résumer à celle de l’accès à la titularisation, ou de l’accès aux postes les plus prestigieux. Il existe des sources de données méconnues qui peuvent nous aider à appréhender d’autres dynamiques à l’œuvre au sein de l’enseignement supérieur. C’est à l’occasion d’une recherche quantitative sur la base du site theses.fr que j’eus l’occasion de manipuler des données particulièrement éclairantes pour quiconque s’intéresse à la représentation des femmes au sein du milieu académique. Un jour je vous rapporterai en détails quelques-uns des résultats que nous avons obtenus avec une équipe d’étudiants, avant même leur soumission des revues scientifiques (dès lors, je ne vais pas être trop prolixe, car je ne veux pas interférer avec le processus de publication). Ces résultats sont relatifs à la place croissante des femmes dans l’encadrement des thèses. Au-delà de cette thématique, je cherche à travers la démarche à souligner l’intérêt que revêt l’exploitation de bases de données administratives dès lors que l’on s’intéresse.
Lorsque je débutais cette étude l’année dernière, la question du genre était bien loin de mes préoccupations. A vrai dire, je voulais avant tout suivre au fil des décennies l’évolution du taux de direction – le nombre de doctorant.e.s pris en charge simultanément par un.e encadrant.e. Mais le site s’est révélé bien trop riche en informations pour que je me cantonne à cette analyse. Pour mémoire, theses.fr recense l’ensemble des soutenances réalisées en France depuis 1985 de manière relativement exhaustive, et avant cette date de manière plus anecdotique. Les membres du jury sont souvent précisés, et le nom du directeur ou de la directrice de thèse, voir des codirecteurs le cas échéant, est rapporté de manière systématique. Il suffit ensuite de trouver un programme qui, sur la base d’un dictionnaire de prénoms, infère quant au genre de la personne concernée. Bien sûr, le tout est moins efficace qu’un formulaire administratif, notamment parce que les noms épicènes sont légion, mais l’on peut déjà voir se dégager des tendances générales grâce à cette approche.
L’analyse gagne en profondeur lorsque l’on est capable d’attribuer une discipline à un manuscrit de doctorat. En effet, vous remarquerez en naviguant sur theses.fr que la discipline n’est pas entrée de manière standardisée – chacun écrit un peu ce qu’il veut – et nous avons dû mobiliser des techniques relativement poussées de Data Science pour régler le problème. Je vous passe les détails. Après quelques péripéties, nous avons par exemple pu constater que la proportion de femmes en position d’encadrer des doctorant.e.s a augmenté de manière spectaculaire à partir de la fin des années 1990. Certaines progressions sont plus importantes que d’autres, avec des résultats très différents en biologie et en littérature, par exemple. Les proportions de direction seule (par contraste avec une codirection) diffère également significativement entre hommes et femmes. Débute maintenant le long travail d’interprétation – je compte m’associer à des académiques spécialistes de la question, car de fil en aiguille, je me suis bien éloigné de mes champs de recherche habituels, à savoir le numérique éducatif et les sciences de l’éducation.
Quelques lignes sur l’intérêt de telles analyses me semblent appropriées. En premier lieu, il faut insister sur le rôle clé que joue l’encadrement – ou son absence – dans le succès des recherches doctorales. Au risque de proférer une banalité, c’est au cours du doctorat que se forge un chercheur, et le bagage qu’il acquiert à cette étape de sa carrière le suivra toute sa vie. La montée en puissance des femmes dans la formation des jeunes chercheurs et chercheuses que dans l’orientation des recherches qu’ils ou elles mènent est un phénomène qui devrait davantage attirer l’attention. Par ailleurs, dans les disciplines où les thèses sont financées de manière systématique, gagner en influence en termes d’encadrement, cela signifie aussi être capable de sécuriser davantage de fonds pour financer des doctorats. Bref, je n’ai fait ici que lister des considérations de sens commun, et nous voyons déjà pourtant des pistes de réflexion apparaître, pistes qui mériteraient d’être approfondies dans les années à venir.
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