Je l’ai annoncé il y a quelques semaines (en parlant de l’encadrement des thèses par les femmes), je travaille actuellement sur les recherches doctorales en France, en parallèle de mes recherches sur les technologies éducatives. Dans ce cadre, j’ai dû naturellement me plonger dans la bibliographie consacrée à la question. L’une des trouvailles les plus significatives fut sans doute la découverte du travail réalisé par des sociologues comme Olivier Godechot et ses collègues (dont Alexandra Louvet). Ces auteurs s’intéressent notamment au localisme dans le recrutement des enseignants-chercheurs, phénomène qui désigne la tendance à recruter préférentiellement sur des postes pérennes des candidats ayant déjà exercé auparavant dans un établissement donné.
Insatisfaits par les métriques trop simplistes comme le pourcentage de candidats locaux parmi les recrutés, ils se sont donné les moyens de calculer d’autres métriques fondés sur des rapports de chance, ou odd-ratios en anglais. Pour ce faire, ils prennent en compte notamment les caractéristiques des candidats ayant postulé, et non seulement ceux qui ont été acceptés. Pour ancrer empiriquement leur travail, ils raisonnent à l’échelle du territoire national dans son ensemble et se procurent des bases de données du ministère comportant l’intégralité des thèses soutenues entre 1976 et 1996. Des centaines de milliers d’individus ont pu ainsi être suivis à la trace dans l’enseignement supérieur. La démarche constitue un progrès notables, mais des approximations sont nécessaires pour les calculs, approximations que ne manquent pas de pointer certains de leurs collègues (comme Cibois, dans un article de 2008) :
« La part des locaux parmi les recrutés, ce qui est la mesure habituelle du localisme, et la mesure du favoritisme dont profitent les candidats locaux […] Le biais fondamental de la mesure ainsi faite est qu’elle ne repère pas le favoritisme dont disposeraient les candidats locaux mais le favoritisme dont disposent les professeurs quand ils ont passé leur thèse dans l’université où ils candidatent. On mesure le localisme d’origine des professeurs et des professeurs seuls, non le localisme tel qu’on l’entend en général. S’il est légitime pour rendre opérationnelle la mesure d’un phénomène de faire des approximations, il ne faut pas que celles-ci dénaturent le phénomène à observer et c’est le cas ici car la définition faite s’écarte des nombreuses attestations du localisme. »
C’est un excellent moyen d’illustrer l’importance que peuvent prendre les débats sur les indicateurs dans l’enseignement supérieur dans les recherches en sciences humaines et sociales. J’adore les recherches d’Olivier Godechot car ils ont inspiré certaines de mes études les plus récentes. Il a réussi à se procurer les CD-ROM qui permettaient de dessiner un portrait relativement complet des thèses soutenues en France, en remontant jusqu’au début des années 1970. Avec les données disponibles actuellement sur theses.fr, vous n’aurez presque rien avant 1985. Il y a donc eu une énorme perte d’information ! Où sont donc passées les données de ces CD-ROM ? Pourquoi n’ont-elles pas abondé la base de theses.fr ? Les chercheurs qui comme moi s’intéressent à l’évolution des recherches doctorales pourraient ainsi sans difficulté suivre près d’un demi-siècle de travaux ! Ce serait magique. Je suis sûr que l’on peut trouver une solution pour boucher les trous dans la raquette et se diriger vers des recherches encore plus glorieuses …
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