La qualification et le recrutement des enseignants-chercheurs français ont relevé jusqu’à présent du périmètre du Conseil National des Universités (CNU) et des établissements d’enseignement supérieur, respectivement. Sur le plan technique, des applications comme Galaxie, ou Antarès, passages obligés pour les candidats, impliquent une forme de centralisation de ces différentes procédures, ce qui permet la collecte de multiples données sur les candidats. Leur analyse met en évidence certaines dynamiques à l’œuvre dans l’enseignement supérieur.
Au Ministère, la Direction Générale des Ressources Humaines publie ainsi régulièrement données agrégées et notes de synthèse sur les candidats, focalisant son attention sur des thématiques aussi variées que l’âge de recrutement ou l’évolution des inégalités de genre au sein du monde académique. Ces études ont connu divers prolongements dans la littérature scientifique. Sur la base de ces données, des sociologues du travail ont notamment étudié la manière dont les liens entre disciplines se traduisaient dans les résultats des campagnes de qualification. Ces travaux ont ainsi pu montrer que la multi-qualification était rarissime dans des sections comme le droit public, et la norme dans certaines sections universitaires. Je pense notamment aux recherches de Pierre-Michel Menger. Les données de candidature et de recrutement permettent de caractériser les individus qui évoluent dans le monde académique sur le plan démographique, et le cas échéant d’étudier l’impact de ces caractéristiques sur leurs trajectoires professionnelles. Elles répondent à la question du « qui ». Elles restent en revanche aveugles à la question du « par qui ? ». Je me suis amusé avec mes étudiants du Bachelor Data Science à analyser le processus de recrutement via la composition des COS de la section 70 (sciences de l’éducation et de la formation), qui dispose de wikis relativement complets (en tout cas ils l’étaient quand j’ai fait l’analyse) sur la période 2017-2020. Nous avons fait quelques analyses type « réseaux sociaux » intéressantes.
Les recrutements sont décidés par des jurys dont la composition et le fonctionnement façonnent les organigrammes des laboratoires de recherche, et partant de là, le paysage d’une section universitaire. A notre connaissance, la question des jurys de recrutement des enseignants-chercheurs reste sous-investie, pour ne pas dire absente des travaux scientifiques francophones. Nous avons fait une analyse de la composition des jurys réunis pour les postes à pourvoir au sein de la section des sciences de l’éducation. Le choix de se focaliser sur la section 70 tient d’une part à notre appartenance à cette section, et d’autre part au fait que depuis 2017, les données relatives aux auditions sont en partie publiques ; ce n’est pas le cas dans toutes les disciplines. L’association des chercheurs en sciences de l’éducation (AECSE) a en effet mis en place depuis 2017 une page collaborative de type wiki pour rassembler des informations sur les jurys, ou comités de sélection (COS), page que viennent alimenter les membres de ces derniers.
Les données recueillies sont relativement limitées. On trouve parfois le nom des candidats retenus. En termes de données postées de manière systématique, nous ne disposons que du nom et du statut (Maître de Conférences, Professeur des Universités) des membres internes du jury d’une part, c’est-à-dire choisis parmi les futurs collègues au sein de l’établissement de recrutement, et de ceux des membres externes d’autre part, c’est-à-dire des membres provenant généralement d’autres institutions. Les membres internes ont la réputation d’avoir davantage d’influence sur le choix du recrutement, dans la mesure où ils fréquenteront en principe davantage la personne recrutée. Prises seules, ces données sont peu informatives. En revanche, lorsqu’elles sont conjuguées avec d’autres données relatives à l’engagement dans la vie universitaire, comme l’investissement dans l’encadrement ou l’évaluation de thèses, elles permettent d’affiner notre connaissance des membres de ces jurys, et de révéler des dynamiques à l’œuvre dans leur composition.
En mobilisant et croisant ces différents types de données, nous nous intéressons dans cette contribution à l’engagement dans les auditions et à ses déterminants. Le nombre de participations à des jurys peut être interprété de plusieurs manières. On peut l’analyser en premier lieu comme un qualité d’indicateur d’influence, et l’on s’intéresse alors aux conséquences de la participation aux auditions. Chaque nouvelle participation constitue une occasion supplémentaire d’influer sur un recrutement, et dès lors de contribuer à façonner le paysage d’une section universitaire.
On peut en second lieu l’analyser sous l’angle des causes de la présence dans un jury. Le fait d’être sollicité souvent, notamment en tant que membre externe d’un jury, peut être le reflet de la place, plus ou moins centrale, que peut occuper un individu au sein d’une section universitaire. A cet égard, il convient de se poser déterminer si la présence conjointe de collègues au sein d’un même jurys ne révèle pas, d’une certaine manière, l’existence de réseaux préexistants. L’étude de tels réseaux constitue une thématique classique dans la littérature scientifique, mais elle passe généralement par les réseaux de citations, notamment pour étudier l’interdisciplinarité. Je n’ai pas vu beaucoup de publications sur des comités de sélection (en fait, je n’en ai pas encore trouvée, mais je n’ai pas beaucoup cherché).
Sur un jury interne, cela donne quelque chose comme ça (2017). Nous avons colorié en fonction du statut … C’est normal que les jurys soient isolés les uns des autres, puisque ce sont des établissements différents, et par définition, le jury est interne. Si des jurys sont connectés, comme c’est le cas sur le bas de la figure, c’est a priori qu’il y a plusieurs recrutements au sein du même établissement (pour la même section), et que des personnes sont présentes dans les différents jurys. Pour des raisons évidentes, j’ai évité de mettre les noms et prénoms associés à chaque point.
Sur un jury externe, les personnes circulent (la figure ci-dessous porte sur la section 70 en 2017). Il y en a des billets de train financés à cette occasion. On s’est amusés avec les étudiants à représenter et le statut (PU, MCF, etc.), et la « node betweenness » (je vous renvoie à google), qui représente peu ou prou la centralité d’une personne. Oh, surprise, les PU (et personnes notées PR dans la base) sont centraux. C’est là qu’on a les résultats les plus probants, logiquement, puisque l’on peut voir des réseaux à l’échelle nationale, et non plus locale, mais en même temps il est dit que les jurys externes ont moins de poids.
Bon, mon analyse ne va pas plus loin. C’est que je n’ai pas vraiment le cadre notionnel et théorique pour publier ce genre de chose. Au passage, si ce sont des sujets qui vous intéressent sur le plan scientifique, n’hésitez pas à me contacter (par message sur le blog). Si un article doit être écrit, je cède volontiers ma place de premier auteur, car ce ne sont que quelques journées de travail de traitement de données – j’avais juste un intérêt sur la question. L’expertise sur le sujet a autrement plus de valeur à mon sens.