Les trajectoires académiques vues par theses.fr : quelles discriminations dans l’enseignement supérieur ?

Aujourd’hui, je ne vais pas réellement parler de discrimination dans l’enseignement supérieur comme annoncé dans le titre, car cela relèverait de la surinterprétation; il y a plein d’autres paramètres en jeu (choix personnels, autocensure). J’ai fait ça pour avoir un titre un peu punchy, je ne vais pas vous mentir. Néanmoins, les données mobilisées révèlent sans doute des phénomènes de cet acabit. Alors quand je dis enseignement supérieur, vu qu’avec mes étudiants nous avons travaillé sur theses.fr, je pense uniquement à la transition entre la position de jeune docteur.e (au moment de la soutenance), et celle de directeur/trice de thèse, car ce sont les deux positions que l’on voit apparaître dans la base. Nous avons porté l’attention et sur les inégalités de genre, et sur l’origine des prénoms (européen, etc.)

Si l’on focalise l’attention uniquement sur ceux des jeunes docteur.es qui finissent par devenir encadrant.es (ou au moins qui se lancent dans une co-supervision), l’on constate qu’il faut en moyenne 11 ans, avec des écarts extrêmement importants, comme on peut le constater dans la figure ci-dessous. Je pense que lorsqu’il n’y a que 3 ans, c’est de la cosupervision, car au vu du temps que prend une thèse, il faudrait enchaîner la soutenance et l’HDR dans la même année, ce qui est absolument impossible.

Bien évidemment, ce délai varie selon les disciplines, et le genre. S’agissant du genre, compter environ deux ans de plus pour les femmes. J’ai de belles figures, mais vu que j’envisage de publier avec une collègue sur le sujet l’année prochaine, je ne vais pas me griller en dévoilant ma main trop tôt. Pour vous consoler, je vous mets une figure produite par des collègues qui avaient eu aussi planché un peu sur cette base et produit des graphiques sur le sujet dans des billets de blog.

Il faut noter néanmoins que le genre est inféré à partir du prénom grâce à des librairies (gender guessr en Python par exemple), et que, du coup, il y a un peu d’imprécision. Certains de mes étudiants étrangers se sont intéressés à la question de l’ethnicité « perçue » du prénom ou du nom de famille, pour voir s’il y avait aussi un enrichissement ou un appauvrissement de certains types de prénoms, selon leur origine (grâce à la librairie ethnicolr). J’ai échangé succinctement avec Baptiste Coulmont, sociologue qui constitue sans doute LA référence sur le sujet en France. Il y a pas mal de discussions méthodologiques sur le sujet en sociologique (je vous en mets une à cette adresse). J’ai beaucoup de doutes sur l’utilisation des prénoms en combinaison avec cette librairie (car les prénoms européens en Afrique de l’Ouest ou centrale sont légion, notamment), et B. Coulmont a confirmé ces doutes. Il m’a recommandé de me concentrer sur les noms de famille et d’utiliser la base de données des noms de famille qui circulaient en France en 1900 (fournie par l’INSEE), pour mesurer l’enrichissement en « nouveaux noms de famille ». Peut-être utiliserai-je un jour une combinaison des deux approches.

En tout cas, on observe parmi les doctorant.e.s (figure ci-dessous) soutenant en France une grande stabilité des prénoms d’origine européenne. Je vous épargne par contre les décompositions par discipline. Idem, je vous épargne les décompositions de niveau inférieur (Europe de l’ouest vs. Europe de l’est, etc.) car les résultats sont douteux.

S’agissant de l’enrichissement en prénoms au moment de la transition jeune docteur.e / encadrant.e, le résultat est sans appel. Si vous avez un prénom européen, vous avez plus de chances de devenir directeur/trice de thèse. On observe que 13,6% y parviennent parmi ceux qui ont un prénom européen, contre 8 à 9% pour les autres, comme vous pouvez le constatez dans la table ci-dessous. Bien sûr, ce ne sont que des estimations à la louche, car il faudrait entrer dans le détail des calculs (mais il faut une publication pour cela, pas un billet de blog). Néanmoins, il me semble que nous avons levé un lièvre dans notre cours de « Projet en autonomie » du Bachelor Data Science de CY Tech, où l’on s’exerce sur des problématiques nouvelles comme ça, sur des questions dont le résultat n’est pas connu à l’avance, sans nécessairement pousser jusqu’à la publication. Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire mais je vais m’arrêter là pour aujourd’hui. Désolé d’en laisser certains sur leur faim.

PS : En termes de cadre conceptuel, je suis trèèèèès loin de ma zone de confort, du coup je ne pense pas publier un jour sur la question. En revanche, si cela intéresse quelqu’un une collaboration, voire que je vous donne nos bases purement et simplement pour en faire ce que vous voulez, n’hésitez pas à me faire signe, je ne suis pas avare en termes d’authorship au regard du nombre de publications que j’ai déjà dans les tuyaux …

 

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