Vendredi j’ai quitté certains de mes étudiants en leur souhaitant de s’amuser durant leur stage de 10 semaines qui devait débuter lundi. Je leur avais demandé de m’envoyer un mail pour clôturer leurs projets tutorés.
Et puis… vendredi soir.
Le 8 janvier 2015, au lendemain de la tuerie de Charlie, le Président de la République avait demandé qu’une minute de silence soit observée. J’étais en surveillance d’examen ce jour-là, cela devait finir à 12h30 mais étant donné les circonstances je l’avais écourté. Alors que je pressais les derniers étudiants de sortir, un dernier est resté et m’a dit « Mais je n’ai pas envie de la faire cette minute de silence ». Je n’ai rien trouvé d’autre à lui répondre que « bah ne m’empêche pas de la faire alors, dépêche-toi! ». L’émotion passée, j’aurais voulu dire tant de chose à ce jeune homme, l’écouter aussi. Mais c’était le jour de l’examen et je ne l’ai pas revu. Comment aborder le sujet cette fois-ci ?
Dimanche 15 Novembre, un étudiant m’a envoyé ce fameux mail. Il a commencé par me dire qu’il était choqué de ce qu’il venait de se passer et il prenait de mes nouvelles. Je lui ai répondu et j’ai écrit aux deux étudiantes dont je suis tutrice de stage pour leur demander si elles allaient bien. L’une d’entre elles m’a dit que oui, mais l’autre m’a dit éprouver une profonde tristesse. Que répondre à cela ? Je ne sais pas s’il y a une bonne réponse, mais je lui ai dit que cela était normal d’autant plus que son environnement de travail changeait du tout au tout. Je lui ai dit que dans ces moments la famille et les amis étaient très importants et qu’il fallait passer du temps avec eux… Je continuerai de la suivre pour être sûr qu’elle passe ce coup dur
Mon premier cours – avec d’autres étudiants – a eu lieu mardi matin. Avant de débuter mon cours, je leur ai demandé s’ils allaient bien. Ils se sont regardés, m’ont répondu « oui » et m’ont remercié de leur avoir posé la question. J’ai demandé si quelqu’un voulait dire quelque chose. Personne n’a pris la parole ou juste pour dire que de toutes manières, nous sommes tous d’accord sur le sujet.
La différence entre ces 3 situations ? Dans le premier cas, l’étudiant aurait pu quitter la salle sans faire la minute de silence et je n’en aurais rien su mais il a tenu à le manifester. Il a voulu me dire quelque chose et je n’ai pas pris le temps d’écouter. Dans le deuxième cas, j’étais seule à seule avec des étudiants que je connaissais bien. De plus, l’écran d’ordinateur aide parfois à délier les mots. Ces étudiants m’auraient ils parler de la sorte en classe entière ? Dans le dernier cas, même si les étudiants ont entendu mon message, je n’ai pas réussi à les faire parler. Je suis pourtant sûr que certains d’entre eux ont des choses à dire.
Le problème du cours magistral est que l’on s’adresse à un grand voire très grand groupe et cela ne se prête pas à la prise de parole. J’ai résolu ce problème en TD puisque je ne les organise plus que par petits groupes de 4. J’aurai l’occasion d’en reparler : je ne corrige plus les exercices au tableau, je me ballade de groupe en groupe à l’écoute des raisonnements, des débats, des questions… L’un des effets inattendus de cette technique est que je me suis beaucoup rapprochée de mes étudiants. J’ai ainsi pu aborder certains sujets avec eux qui n’avaient aucune raison d’être abordés dans un TD de physique (le racisme, les clichés sur les origines sociales et culturelles, etc).
Les émotions et le bien être jouent un rôle fondamental dans l’apprentissage et, en tant qu’enseignants nous ne pouvons pas nous permettre d’ignorer les traumatismes que vivent nos étudiants. Voilà pourquoi, peu importe la discipline, nous devrions débuter nos cours en parlant du massacre qui a eu lieu vendredi 13 novembre en grande partie contre la jeunesse de France.