Transformer l'école dans un monde digital

La révolution digitale de l’enseignement supérieur : un retour aux sources

Le digital facilite donc les échanges entre individus et donne un accès plus rapide à différents types de ressource. En particulier, il désintermédie ce qui ne doit plus nécessairement être transmis par un passeur. Pour ce qui concerne l’enseignement supérieur, les étudiants n’ont donc par exemple plus nécessairement besoin qu’un professeur leur lise un cours en présentiel si celui-ci est disponible n’importe où, n’importe quand, et depuis leur téléphone portable ou leur ordinateur. Surtout si ce cours est présenté sur Coursera ou EdX par les plus grands experts de la planète, qui sont parfois ceux qui ont énoncé initialement les théories présentées…

En conséquence, les grands amphis pour « le contenu descendant » vont avoir de moins en moins d’utilité s’ils ne donnent pas à voir des « autorités intellectuelles » renommées. Dans l’école plateforme, la salle de classe sera plus petite, et sera surtout le lieu de la présentation de clés sur un sujet, de l’apprentissage par la pratique, et de l’interaction. L’une de ses conséquences de cette révolution digitale est que le rôle du professeur change : il devient coach, autorité intellectuelle, ou chef de service.

Mais est-ce qu’il s’agit là de quelque chose de vraiment nouveau ? 

Parce que de quoi parle-t-on réellement ? On parle donc de jeunes qui cherchent à se former, grâce à une articulation entre des travaux pratiques en groupes encadrés par un expert et une exposition aux idées et aux méthodes de pointe sur un sujet. Idéalement ces étudiants réalisent des travaux en collaboration avec des entreprises qui accompagnent aussi le projet. L’objectif de ces travaux est, à terme, de réaliser un travail exceptionnel, qui pourra leur mettre le pied à l’étrier en les mettant en valeur auprès de leurs futurs employeurs.

Faisons un instant un exercice de concordance des temps : il y a bien longtemps, un jeune cherchant à se former, pouvait débuter son apprentissage auprès d’un maître reconnu. Il était alors entouré d’autres apprentis ; et ils travaillaient ensemble sur un projet qu’un client, mécène, ou patron, avait commandé au maître. Parfois, l’élève cherchait à s’inspirer des plus grands maîtres de son temps. Pourquoi pas : en voyageant lui-même pour aller à leur rencontre. Après quelques années, l’apprenti pouvait travailler sur un projet personnel. Et s’il avait du talent, ce projet devenait son chef d’oeuvre. Un chef-d’oeuvre qui le consacrait alors comme maître. Et il pouvait dès lors se lancer dans la carrière de ses propres ailes…

Ce modèle est bien connu et il a existé pendant des siècles. On peut penser aux ateliers des grands maîtres de la renaissance (peinture, sculpture, etc.) ou au compagnonnage. Mais on peut surtout remonter aux origines de l’Université, où des étudiants se réunissaient autour d’un maître pour apprendre avec lui. Artistes, « inventeurs » ou médecins, chaque discipline offrait à ceux qui voulaient l’apprendre l’occasion de voir un maître à l’oeuvre et l’opportunité de copier ses gestes… L’apprentissage par la pratique (learning by doing) n’a en effet jamais été l’apanage des métiers purement manuels. 

Notre modèle d’école de commerce inspiré du CHU, où l’étudiant devient interne, travaille sur des projets réels fournis par des entreprise, et où le stage et la formation se confondent, est donc bien dans la lignée de cette tradition. Mutatis mutandis, l’étudiant travaille pour un dispositif qui cherche à améliorer la performance des entreprises, mais ce dispositif est aussi au service de la formation de l’étudiant-interne puisque fondé sur l’apprentissage par la pratique. Cette relation « gagnant-gagnant » peut d’ailleurs avoir aussi un impact sur le modèle économique de l’école puisqu’il est tout à fait envisageable qu’une fois que l’étudiant-interne aura atteint un certain niveau de maitrise de sa discipline, il soit rémunéré pour sa participation au dispositif clinique et à la résolution des projets.

La relation entre le professeur/maître et l’élève/apprenti est directe. Il y a une relation plus personnelle et donc plus forte et plus durable. Ce n’est pas seulement un savoir qui est transmis, mais aussi un savoir faire et parfois même un savoir être. Et encore au-delà de ces savoirs, le maître transmet une vision personnelle et un réseau. Pour retomber dans notre perspective moderne et digitale : il donne accès à un écosystème de ressources, de personnes et d’idées. Ce faisant – et à nouveau aussi grâce au digital – les opportunités d’accès à d’autres experts ou d’autres ressources se multiplient, et l’école joue donc pleinement son rôle de rampe de lancement.

La révolution digitale, de par son processus de désintermédiation et les conséquences qu’elle a sur la relation entre le maître et les étudiants n’est donc pas quelque chose de nouveau. C’est un retour aux sources. 

Commentaire (1)

  1. Cédric

    Article intéressant, je vous rejoins sur le retour au source. La digitalisation a néanmoins des forces qui vont bousculer jusqu’aux secteurs se sentant préservés tels que l’éducation. Des forces telles que la multitude (N. Colin et H. Verdier), l’avènement des plateformes centrées sur l’usage (G. Babinet) et les analytics vont révolutionner la manière d’apprendre et de produire des savoirs et savoirs-faire. A ce jour, les propos de G. Babinet me paraissent pertinents : « Nous avons, en France, un système productif tayloriste dont la racine copie le modèle militaire. Nous avons un système éducatif qui copie ce modèle productiviste et l’alimente en capital humain formé selon ses besoins ». Les générations à venir disposent des outils pour révolutionner cet état. A suivre.

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