Concrètement, comment mettre en place une transformation digitale dont le centre est l’étudiant ? Et d’une manière plus générale, comment mettre en place une transformation digitale au service des usages et des utilisateurs plus qu’au service d’un « coup de com' » qui viserait à utiliser la dernière technologie à la mode comme prétexte plutôt que quelque chose de vraiment utile ? Et enfin, comment adapter les systèmes d’information traditionnels à cette nouvelle réalité ?
Tout d’abord, il faut comprendre que la transformation digitale d’une institution de l’enseignement supérieur ne peut pas s’appuyer uniquement sur ses ressources internes. Une grande école ou une université n’ont a priori pas au sein de leur organisation au sens stricte les codeurs, designers, ou ingénieurs nécessaires à la conception, la production et au déploiement d’outils informatiques originaux et à la hauteur des standards du 21ème siècle. Développer un logiciel ou une app « from scratch » est un métier à part entière qui est dorénavant complètement professionnalisé et qui donc est soumis à la même règle que tous les autres secteurs économiques : il vaut mieux se concentrer sur son coeur de métier et se faire aider par des spécialistes quand des compétences spécifiques sont requises.
Par contre, les grandes école ou les universités ont des écosystèmes sur lesquels elles peuvent s’appuyer pour se transformer, en intégrant, par cercles concentriques, l’innovation. On peut alors concevoir trois niveaux d’accompagnement afin de s’assurer que les principes de la transformation digitale (l’utilisateur au coeur du dispositif, permettre l’expérimentation et l’apprentissage, un développement depuis une plateforme) sont bien respectés.
Premier niveau : accompagner l’utilisateur pour le rendre autonome dans son usage du digital
Tout d’abord, à un premier niveau, plutôt que de mettre à disposition des outils informatiques, c’est un accompagnement qui doit être proposé aux utilisateurs du système d’information de l’école. Il ne faut pas concentrer le service proposé sur un catalogue de logiciels, d’applications, ou d’appareils, mais proposer à ses utilisateurs que des « experts du digital » les accompagnent dans leurs usages. Ceux-ci devront donc d’abord comprendre les besoins spécifiques des responsables des programmes, des professeurs, ou même des étudiants, afin d’identifier le logiciel, l’app ou l’appareil qui offre les fonctionnalités recherchées. Dans quasiment tous les cas, une telle solution existe déjà sur le marché et est très souvent gratuite ou à un prix très bas pour peu qu’elle offre une « licence éducation ». Et même quand elle est payante, la plupart des institutions académiques ont des « licences campus » a prix très réduit pour tous les utilisateurs affiliés à l’institution.
Dans ce contexte, le premier contact qu’un utilisateur doit avoir avec le système d’information de l’école n’est donc pas une solution informatique, mais un interlocuteur – idéalement bien réel – qui l’accompagne dans la recherche d’une solution. Et sa première réponse ne doit donc pas être de lui développer une solution spécifique, mais bien de s’appuyer sur un catalogue de solutions existantes ; et en pratique souvent développées par des fournisseurs externes à l’école.
Deuxième niveau : faciliter l’interface entre les modules autonomes et le système d’information de l’organisation
A un deuxième niveau, il convient de se poser la question de comment ces solutions externes peuvent se « brancher » aux systèmes d’information déjà existants et propres à l’école. Il existe en effet toute une série d’informations qui doivent bien être contrôlées d’une manière centralisée par le département informatique de l’organisation : le système de gestion des ressources, des personnes, et des cours (ERP: Enterprise Resource Planning), la plateforme d’apprentissage (LMS : Learning Management System, comme Moodle ou Blackboard), etc. La question est alors de savoir comment les solutions décentralisées et utilisées avec une certaine autonomie du premier niveau peuvent s’interfacer avec le coeur du système d’information de l’école qui sera un troisième niveau d’analyse.
Ce deuxième niveau est donc un niveau intermédiaire. Et une école moderne – une école plateforme – se doit donc d’ouvrir autant que possible, et qu’il est raisonnable, la possibilité à ses utilisateurs de brancher des solutions innovantes : externes ou développées par les membres de l’écosystème élargi (étudiants ou entreprises partenaires.) Une politique d’API (Application Programming Interface : les « portes » qui définissent les échanges d’information qui peuvent avoir lieu entre les programmes) intelligente et proposant une ouverture contrôlée et sécurisée aux informations de l’école, permettrait alors à ses communautés qui en ont les moyens – suivant le niveau de complexité – de tester une application qu’ils auraient vue ailleurs sur le LMS de l’école, ou de carrément développer une petite app qui utilise les données de cours pour faciliter la vie des étudiants ou des professeurs…
Il ne faut jamais oublier qu’une grande école ou une université est une organisation bien différente d’une entreprise classique en matière d’ouverture : nous sommes depuis toujours des organisations semi-ouvertes. Contrairement à une entreprise classique dont le périmètre organisationnel, de ressources, et de personnel, doit en général être bien défini, une institution académique a un modèle d’organisation ouvert. Participent à l’activité de l’école les professeurs, le personnel administratif, les étudiants, les anciens, les entreprises qui participent aux activités académiques, et même souvent tout un écosystème local et parfois international d’acteurs contribuant à l’enseignement et la recherche…
Pour cette raison, le deuxième niveau de services informatiques – niveau intermédiaire et semi-ouvert – est un niveau stratégique pour le développement et l’animation d’une école. C’est un niveau bac à sable : qui doit encourager tout l’écosystème à contribuer à l’activité du système d’information de l’institution académique. Plus que le « Bring Your Own Device », nous rentrons dorénavant dans l’ère du « Bring Your Own IT » d’une manière beaucoup plus large ; qui doit permettre l’émergence de solutions innovantes pour l’enseignement et la recherche mais qui doit aussi arriver à ce que ce dynamisme et ce vitalisme aillent dans le sens de la mission de l’école…
Troisième niveau : le SI-plateforme permet la modularité tout en garantissant l’intégrité du référentiel de données
Très concrètement, pour que tout ceci puisse avoir lieu, le troisième niveau, celui plus classique des systèmes d’informations traditionnels (ERP, LMS, applications pour les fonctions de support, etc. et surtout les serveurs et les infrastructures IT) doit être robuste et fiable, mais doit surtout se concevoir différemment et s’ouvrir en partie.
Tout d’abord, les responsables des SI doivent comprendre que le nouveau coeur de la dynamique est bien l’utilisateur et plus le système. Ils doivent donc comprendre que plus que des solutions techniques, ce qui doit être avant tout proposé est un accompagnement de l’usage. Quitte à ce que cet accompagnement se traduise par la proposition d’utiliser des solutions techniques qui sont « en dehors » du système d’information historique, plutôt que des solutions internes.
Du fait de la révolution digitale, pour l’informatique comme pour l’enseignement, ce n’est plus la technologie qui doit être au centre des préoccupations des responsables des systèmes d’information, c’est le service envers les utilisateurs et leurs usages.
Mais pour pouvoir s’appuyer sur les ressources existantes de l’école, il faut que ces utilisateurs y aient accès. Le troisième niveau « traditionnel » doit donc s’ouvrir au deuxième, le niveau « participatif ».
Il faut donc prévoir une politique de SI (en particulier en matière d’API) intelligente. Or, cet objectif est complexe, puisqu’une telle politique doit permettre de donner accès à des systèmes d’informations pertinentes, correctes et fiables, tout en garantissant que celles-ci soient mises à disposition dans le respect de la sécurité et de la confidentialité.
Finalement, même si nous sommes dans une logique différente (l’utilisateur avant le système), la dynamique agile doit s’appuyer sur un SI robuste et fiable. Le système d’information « organisationnel » doit donc évidemment avoir pour mission de veiller à l’intégrité du référentiel de données de l’organisation. Notre « troisième niveau », le système d’information de l’organisation au sens strict (ERP, LMS, etc.), géré par des informaticiens de métier (architectes, développeurs, spécialistes informatiques en général), est en effet bien la base sans laquelle toute la belle dynamique émergente décrite jusqu’à présent ne pourra pas se développer.
A l’instar du système éducatif qu’il sert, le SI traditionnel se transforme. Il devient accompagnateur des usages et donneur d’accès à des ressources afin de donner lieu à un développement participatif. Le SI de l’école devient à son tour une plateforme, qui intègre toute une série de solutions externes, utilisées avec plus ou moins d’autonomie par ses utilisateurs. Et un SI agile et intelligent trouve le bon équilibre entre intégration et autonomie, et ouverture et contrôle.
Une intégration progressive, agile, et contrôlée de l’innovation
L’objectif est donc de concevoir un SI qui permette une intégration progressive, agile, mais contrôlée de l’innovation.
L’un des buts de la transformation digitale – et à plus forte raison dans une école – est bien de rendre autonomes les utilisateurs dans leur usage de la technologie. Il faut pour cela les accompagner dans leur utilisation plus que leur mettre à disposition un logiciel ou une application sans explication. Ensuite, pour une utilisation en lien avec le coeur de métier de l’institution, il convient de mettre à disposition un accès contrôlé aux systèmes d’information et au référentiel de donnée de l’école, afin que cet environnement « bac à sable » permette une expérimentation et donc un développement en agilité. Ce niveau intermédiaire permettra aussi de distinguer ce qu’il convient d’intégrer au système d’information commun – et donc de mutualiser – de ce qui doit rester au niveau d’une couche périphérique de la plateforme… Enfin, un SI moderne est le coeur nucléaire de ce dispositif ; la plateforme sur laquelle tout s’appuie. Puisqu’il permet d’une part l’innovation modulaire, mais il doit aussi veiller à mutualiser ce qui doit l’être afin d’avoir une gestion efficace des ressources. Il doit donc être conçu en gardant en tête que l’utilisateur final est bien l’alpha et l’omega de la transformation digitale, comme un facilitateur d’innovation plus qu’une contrainte.
Repensons à Facemash, le prédécesseur de Facebook, qui fut créé en hackant l’annuaire des étudiants d’Harvard. Ce fut en effet une blague de potache qui visa à déterminer qui était sexy de qui ne l’était pas parmi les étudiantes qui fut à l’origine du fameux réseau social. On voit que cette combinaison de la créativité émergente des étudiants, et l’utilisation des ressources institutionnelles de l’école, a permis au pire d’aboutir au meilleur : ce hacking ne respectait pas les règles de l’école américaine et a donc été réprimandé, mais par la suite la dynamique initiée a été à l’origine de l’un des plus grands succès économiques de tous les temps… N’aurait-il pas été plus intelligent, plus productif, et surtout plus convergent avec la mission d’une institution d’enseignement supérieur, de les accompagner dans leur utilisation des ressources de l’école, en les invitant dès lors à en respecter les règles ?
Cet exemple nous montre qu’il ne faut ni empêcher complètement ce genre de dynamique, ni accepter un « laisser faire » dangereux. Il faut l’accompagner… A nous donc – ceux qui veulent une transformation digitale innovante, mais respectueuse de nos valeurs et de notre mission – de trouver le bon équilibre entre ouverture pour l’innovation et contrôle pour le respect de nos principes.
Synthétique, réaliste, clair mais extrêmement ambitieux.
Il faut vite nommer l’auteur de l’article conseiller des 5 prochains Ministres de l’enseignement supérieur.
Tout est dit ! Nous accompagnons plusieurs grandes écoles dans leur transformation numérique et c’est exactement ce que nous préconisons et appliquons comme méthodologie !
« Tout d’abord, les responsables des SI doivent comprendre que […] ce qui doit être avant tout proposé est un accompagnement de l’usage. »
frederic.digleria@bewe.eu
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Très bon à savoir ! Merci beaucoup.