Transformer l'école dans un monde digital

Une stratégie de blockbuster pour les MOOCs ?

De plus en plus d’institutions d’enseignement supérieur conçoivent, produisent, et diffusent dorénavant des MOOCs. Des formations en ligne, visant le plus grand nombre, et ouvertes à tous. Ils convient donc de se poser la question de la stratégie de production qu’il faut adopter dans un monde où toutes les universités et écoles du monde, s’adressent à la planète entière…

Le numérique : un monde où seulement quelques institutions seront audibles

Du coté de l’étudiant, il lui est possible d’avoir accès à toutes les productions disponibles sur la toile : qu’il soit à Paris, en province ou outre-mer, la contrainte de distance n’en est plus une. Tous les contenus lui sont accessibles n’importe où et n’importe quand. Et pour peu qu’il parle la langue de Shakespeare, c’est la plupart des productions mondiales qui s’offrent à lui. Du coté de l’institution académique, le numérique est le lieu du « coût marginal zéro » ; c’est-à-dire que donner accès à un contenu à des centaines de personnes, ou à des milliers, ne présente qu’une différence négligeable en terme de coût. L’audience historiquement réduite des universités ou des écoles ne l’est plus : elles peuvent s’adresser à la planète entière.

Si on cherche à apprendre un sujet technique, la logique va alors être de se tourner vers les grandes institutions dont le prestige est établi, le MIT en tête. Pourquoi en effet se tourner vers une institution de second rang si on peut apprendre de la bouche de celui ou celle qui a été à l’origine des concepts, méthodes ou solutions qu’on cherche à maitriser ? Si on cherche à apprendre l’économie, pourquoi ne pas se tourner vers l’Université de Chicago, qui a accueilli tant d’experts reconnus sur ce sujet ? La Harvard Business School sera évidement l’une des premières écoles qui attira l’attention de celui qui s’intéresse au management…

Du point de vue du producteur de contenus éducatifs, le numérique est un monde où le gagnant prend tout !

Pour l’enseignement comme ailleurs, l’accès facile pour n’importe qui à des contenus dont les coûts de mise à disposition sont marginalement décroissants (ou nuls) va amener à la création de grands monopoles (naturels, puisque nous sommes dans une économie de réseau), qui risquent peu à peu de contrôler la grande majorité du marché. Coursera ou EdX – une plateforme dont le contrôle est plus centralisé d’un coté et une autre qui a une logique plus coopérative – sont pour le moment les deux candidats les plus probables à une telle dynamique.

Face au marché de masse : une stratégie de blockbusters?

Si une institution académique décide de concevoir, produire, et diffuser des MOOCs – par exemple pour des raisons de prestige ou d’image de marque – quelle stratégie doit-elle alors adopter ?
 
On peut analyser ce qui s’est passé ailleurs, dans l’un des premiers secteurs a avoir été boulversé par la « révolution digitale » : le secteur des médias. On peut alors distinguer deux grandes familles de stratégies éditoriales : soit le média fait appel à la foule et à la création participative (à l’instar de Youtube), soit le média s’appuie sur des contributeurs professionnels et payés (comme la plupart des médias classique de TF1 au Monde.) La première stratégie a l’avantage de garantir un foisonnement créatif et une dynamique sociale qui maximise à la fois la production de contenu et leurs échanges sur les réseaux sociaux. La deuxième stratégie garantit la qualité du contenu et son professionnalisme.
 
Une institution académique dont la mission est de garantir la qualité de son enseignement doit avoir une stratégique qui s’appuie avant tout sur une création de contenu dont la rigueur est assurée. Il faut donc se tourner principalement plutôt vers les médias professionnels que participatifs pour trouver notre modèle.
 
Et en la matière, pour les médias audiovisuels, comme le sont les MOOCs, le modèle dominant est de plus en plus celui du blockbuster. Les grands studios hollywoodiens décident en effet de plus en plus d’investir massivement dans des productions à très gros budgets, avec plusieurs grandes stars, et avec un plan marketing très ambitieux. Dans un monde où la compétition est de plus en plus rude, et où le public n’a plus vraiment le temps de chercher des « perles rares », il vaut mieux être le « Star Wars » ou le « Game of Thrones » dont tout le monde parle, plutôt que le film qui est peut-être remarquable, mais confidentiel, et que personne n’ira voir…
 
Ce marché est en effet sans pitié : la grande majorité des productions ne sera jamais rentable, et seulement quelques films ou séries auront un succès gigantesque qui permettra de couvrir les pertes causées par ces échecs. A nouveau, il s’agit d’un monde où les gagnants prennent tout, et il faut donc plutôt miser sur un ou deux grands succès par an, que toute une série de petites productions qui ne trouvent pas leur public.
 
On peut bien sûr espérer qu’un MOOC puisse être fait avec peu de moyen, depuis son garage, un peu à la manière d’un « Blair Witch Project » qui avec peu de moyen et un excellent bouche-à-oreille avait eu un grand succès en salle. Mais si ces exemples existent, et il faut s’en réjouir, force est de constater que, de plus en plus, les grands studios décident de se concentrer sur quelques grandes productions plutôt que de se disperser dans toute une série de projets moins prometteurs.
 
Il faut donc que les institutions académiques qui ont l’ambition de rentrer sérieusement dans la conception, production et diffusion de MOOCs prennent acte de cette réalité. Il convient donc de « mettre les moyens » : engager les meilleurs profs « stars », mobiliser une équipe de production d’un niveau professionnel, et avoir une action marketing à la hauteur des investissements lors de la diffusion du MOOC… 
 
En réalité, il ne suffit pas de mettre au moins autant de moyens que ceux qu’on mobiliserait lors du développement et du lancement d’un programme important pour l’école. Il faut financer et mobiliser les ressources pour un MOOC en comprenant qu’il n’y a pratiquement que deux voies envisageables pour un produit qui fait face à une compétition numérique mondiale : être le premier sur son segment, ou être inaudible.
 

Une stratégie de masse ou de niche ?

Il est évidemment envisageable d’essayer de refuser cette logique. Plutôt que de rentrer dans une dynamique de marché de masse, on peut très bien décider de se concentrer sur une partie plus réduite de l’éducation. C’est d’ailleurs l’idée des nouveaux formats, les COOCs, MOOCs pour entreprise (corporate), ou les SPOC, réservés à une communauté plus réduite et fermée. On peut aussi penser que certaines institutions existantes ne sont pas les mieux placées – aussi à cause de leur structure de coûts – pour gagner cette bataille. Et qu’il vaut mieux voir les MOOCs comme une activité annexe, alimentant leur activité historique.

Mais, quoiqu’il en soit, les institutions académiques vont devoir faire un choix, qui sera déterminant pour la place qu’elles occuperont dans le secteur éducatif des années à venir…

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